Les simulations réalisées en 2013 par la Commission pour l’avenir des retraites ont montré que, si rien n’avait été fait, le poids des retraites serait passé à plus de 20 % du PIB [produit intérieur brut] à l’horizon 2060. Un ajustement était donc nécessaire. Selon les mêmes projections et les travaux du COR [Conseil d’orientation des retraites], les différentes réformes ont permis de rabattre presque complètement la courbe du ratio retraites / PIB.
Des mesures de désindexation des pensions ont été actionnées bien avant la réforme de 1993, dès la fin des années 1980. Dans le privé, la retraite dépend de la séquence des salaires passés. Ceux-ci ont besoin d’être actualisés à la date de la liquidation. On le faisait sur la base de la croissance du salaire moyen et, désormais, on le fait sur la base des prix, qui bougent moins vite. On est aussi passé à l’indexation « prix » pour les retraites en cours de service. Des évaluations récemment publiées par l’INSEE (1) montrent que ces modifications pèsent pour une bonne moitié dans l’ajustement du système de retraite, en faisant décrocher le niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs. Les autres leviers sont connus. Il s’agit de la modification de l’âge du départ à la retraite, du calcul des pensions sur les 25?meilleures années et de l’augmentation de la durée requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Il fallait 37 années et demie de cotisations avant 1993. En 2020, il faudra 41 ans et trois trimestres.
Contrairement à une idée répandue, elles sont ou devraient être assez efficaces en termes financiers. En longue période, le ratio retraites / PIB devrait être contenu, à l’importante réserve près que cette efficacité dépend assez fortement des hypothèses de croissance. Le passage à l’indexation sur les prix est, en effet, financièrement efficace lorsque la croissance est forte, au prix d’un décrochement plus rapide des pensions par rapport aux salaires. Si la croissance est faible ou nulle, ce mécanisme ne fonctionne pas. Selon les hypothèses de croissance économique, le ratio retraites PIB passerait ainsi de 12 % à pratiquement 15 % du PIB en 2060. Or les niveaux de croissance actuels sont bien inférieurs aux scénarios les plus pessimistes du COR. Si cette tendance se maintenait, les déficits ne se résorberaient pas et une nouvelle réforme serait inévitable.
Dire ce qu’est un niveau de vie décent relève du débat politique. Actuellement, en France, le pouvoir d’achat moyen des retraités est comparable à celui des actifs. Cette parité n’existe pas dans les autres pays développés, et je pense qu’on n’échappera pas à une certaine diminution du niveau de vie relatif des retraités. La question est plutôt de savoir comment et jusqu’où ? J’insiste, cela dit, sur le terme « relatif » car, tant qu’il y a un niveau minimal de croissance, le niveau de vie des retraités augmente, même si c’est moins vite que celui des actifs.
Avec l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension complète, les gens qui ont été au chômage se montrent inquiets car ils pensent que seules sont prises en compte les périodes de travail passées en emploi stable. Mais cela n’est pas le cas, au moins pour le régime de base. On peut valider des trimestres de cotisation même avec des taux d’activité très partiels et les périodes de chômage indemnisées sont comptées. Le système reste donc assez protecteur, en corrigeant en partie des inégalités induites par les accidents de carrière. En revanche, pour ceux qui subissent des périodes de chômage non indemnisées ou qui ont du mal à intégrer le marché du travail, cela repousse d’autant l’âge de leur départ à la retraite.
Sur le plan intergénérationnel, la notion d’équité est difficile à définir et les marges de manœuvre sont réduites. Certains estiment que chaque génération devrait récupérer à peu près ce qu’elle a cotisé. Mais dans un système par répartition, ce n’est pas possible. Les premières générations de retraités récupèrent beaucoup par rapport à ce qu’elles avaient cotisé. Ensuite, le rendement doit progressivement se réaligner sur le rythme de la croissance économique. Dans ce système stabilisé, chaque génération récupère ce qu’elle a cotisé pour ses parents, augmenté de la croissance économique entre le moment où les cotisations ont été versées et celui où elle part à la retraite.
Ils auront bénéficié d’un bon retour sur cotisations, c’est indéniable. A l’inverse, on entend souvent dire que les jeunes cotisent désormais à perte. Mais ce ne serait le cas que si l’on faisait fortement régresser la taille du système de retraite en parts de PIB. Or ce n’est pas ce qu’ont visé les réformes. Il me semble que c’est plutôt la succession de ces réformes qui alimente cette croyance. On laisse entendre à chaque fois que ce sera la dernière et, quelques années plus tard, on recommence. Cela accrédite l’idée qu’on grignote progressivement le système de retraite. En outre, compte tenu de la complexité des règles, chacun peut avoir l’impression qu’on lui demande plus d’efforts qu’à d’autres.
Il y a en effet dans le système une composante anti-redistributive liée aux écarts d’espérance de vie entre les groupes sociaux. Mais elle est contrebalancée par un certain nombre d’avantages non contributifs qui font que le niveau des pensions est relativement plus avantageux pour les gens ayant eu de plus faibles salaires. Créé lors de la réforme de janvier 2014, le compte « pénibilité » va aussi dans ce sens d’une meilleure équité. Mais il est assez difficile de se faire une opinion précise des propriétés redistributives du système compte tenu de son caractère complexe et morcelé. Il serait d’ailleurs utile de s’attaquer à ce problème.
Je dirais plutôt que le minimum vieillesse est l’une des composantes de la redistribution effectuée par le système, celle qui joue en dernier recours. Il y a aussi le minimum contributif, censé éviter que les gens ayant eu des carrières complètes à bas salaire basculent dans le minimum vieillesse. Mais un problème à venir de ce minimum vieillesse est que, par défaut, il est lui aussi indexé sur les prix. Cela contribue aux bons résultats financiers à long terme, mais d’une manière qui est très discutable. Un minimum social doit garantir un certain niveau de vie relatif, et non pas décrocher indéfiniment par rapport aux salaires lorsqu’il y a de la croissance économique.
C’est le cas en ce qui concerne l’instauration d’un régime par capitalisation, même si des dispositifs d’épargne-retraite peuvent permettre aux ménages de s’assurer des compléments de revenus. Le débat qui subsiste porte sur les différentes façons de faire de la répartition. Si l’on souhaite harmoniser progressivement les règles du privé et du public, il faudra bien se demander si l’on converge plutôt vers des annuités généralisées ou vers des points généralisés, voire une solution de type « comptes notionnels ». Ces derniers constituent un système intéressant mais connotés « capitalisation » et qui comporte des aspects techniques complexes (2). Les points ont l’avantage d’être dans la tradition française. Si l’on se dirige vers un système par points unifié, il faudra cependant le rendre très lisible. Actuellement, il lui est reproché de ne donner aucune garantie sur les retraites, du fait que les valeurs d’achat et de service des points sont en permanence révisables. Afin d’éviter cette critique, il faudrait fixer des règles rationnelles et compréhensibles pour l’évolution de ces deux paramètres.
Propos recueillis par Jérôme Vachon
Didier Blanchet est économiste, chercheur associé à la chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » (Institut de recherche en économie et finance Louis-Bachelier, à Paris). Le 6 mai, il a participé au séminaire « Tous égaux face à la retraite ? » organisé par la Caisse des dépôts.
(1) INSEE Analyses n° 17 (avril 2014).
(2) Dans le système des comptes notionnels, chaque assuré est titulaire d’un compte d’épargne virtuel crédité chaque année. Le régime fonctionne par répartition, les cotisations collectées finançant les dépenses de retraite courantes. Le compte ne sert que d’intermédiaire de calcul.