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Profils de pères incestueux

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Une enquête auprès de pères incarcérés permet d’approcher leur vécu de l’inceste. Au-delà de la diversité de leurs profils, un même manque de compassion pour les victimes.

Entre 1994 et 2010, Luc Massardier, psychiatre hospitalier (1), a réalisé une enquête auprès de 25 pères incarcérés pour inceste, suivis à Nice ou à Paris dans sa consultation en maison d’arrêt. Dans le cadre d’un accompagnement des liens familiaux par la Maison Jean-Bru d’Agen, spécialisée dans l’accueil des filles victimes d’inceste, le psychiatre a rencontré cinq autres pères, également poursuivis en justice. Toutes les victimes de ces trente agresseurs étaient des filles. A l’exception de cinq adolescentes, il s’agissait d’enfants de moins de 10 ans, violentées sur une période moyenne de 2,5 ans. « Les mères n’ont jamais signalé elles-mêmes l’inceste, constate Luc Massardier, même si quatre d’entre elles avaient surpris des attouchements antérieurs au signalement. » Ce dernier a toujours été le fait de professionnels socio-éducatifs, hormis deux révélations par un membre de la fratrie.

QUATRE FIGURES-TYPES

L’hétérogénéité des tableaux cliniques est bien sûr une donnée incontournable, note le psychiatre. Néanmoins, il est possible de repérer chez ces agresseurs quatre types de personnalité. Il y a les « pères carencés », au machisme affirmé, dont les pulsions génitales sont le seul guide de conduite. Au nombre de cinq, ces hommes ne voient dans leur incarcération qu’une galère de plus dans une vie de margina­lisation douloureuse, dont chacun doit s’accommoder – à commencer par l’enfant victime. « La mère qui n’a rien dit […] est incluse dans cette même fatalité, qui permet au moins de ne pas réfléchir et de souffrir le moins possible, souvent avec l’aide de l’alcool. » Deuxième profil psychologique : les « pères narcissiques » (sept dans cette enquête), chez qui la repré­sentation de leur place de père et du masculin est incertaine. Ces hommes, qui sont les plus demandeurs de soins pour démontrer toutes leurs qualités de bons pères, « ne se sentent pas concernés par l’interdit de l’inceste, qu’ils estiment ne pas avoir transgressé tant ils demeurent convaincus que leurs intentions auprès de l’enfant étaient bonnes. » Viennent ensuite quinze « pères passifs-inhibés et dépendants », sans autre pathologie que celle d’un manque de personnalité. Ces hommes disent avoir vécu la situation d’inceste sans se rendre vraiment compte de ce qu’ils faisaient, et la question de leur responsabilité et de celle de la mère ne les préoccupe pas. Elle n’embarrasse pas non plus les « pervers moraux » (trois pères), qui ne viennent que ponctuellement à la consultation psychiatrique pour jouir du déballage de leurs perversions.

Aucun de ces trente agresseurs n’a été lui-même victime d’inceste. Néanmoins trois d’entre eux, élevés par leur mère seule, ont grandi dans un contexte nettement incestuel et cinq autres ont vécu une absence de reconnaissance de leurs besoins d’intimité avec un étalage du sexuel dans les relations familiales, qui alimentera un sexisme propre à minimiser l’importance de leur inceste ultérieur. Trois pères disent avoir subi des agressions sexuelles par des amis de la famille alors qu’ils étaient âgés de 9 à 16 ans. « Ils ne font pas du tout le lien avec leur pratique incestueuse, sinon pour la banaliser, car les attouchements subis ayant été pour eux synonymes de cadeaux et de valorisation, ils imaginent que pour leur fille, ce n’est pas plus grave que ça », commente le psychiatre.

Les hommes rencontrés se plaignent tous d’une enfance malheureuse, essen­tiellement marquée par l’agressivité de leur père et l’ambivalence d’une mère soumise, qui s’est dévouée pour eux mais n’a pas su les protéger de la violence paternelle, pas plus qu’eux-mêmes n’ont pu la préserver de la tyrannie de son époux. S’agissant du choix de leur propre conjoint, les pères ont pour point commun une absence de réelle histoire d’amour avec la femme épousée. Leur mariage résulte de l’obligation de régulariser l’arrivée d’une grossesse accidentelle et, plus encore, d’échapper à la tutelle de leur famille et de réparer leur enfance en devenant, avec leur épouse, de super-parents. « Dans tous les cas, cette union […] sans véritable affection amoureuse se soldera par l’inexorable dégradation de leur couple », souligne Luc Massardier. Au dire des intéressés, cette mésentente est à la source de leur inceste sur un enfant instrumentalisé au service de leurs règlements de compte conjugaux. Le choix de la victime est fonction de sa position dans ces conflits : ils se rapprocheront de l’enfant qui prend leur parti.

UN SENTIMENT D’IRRESPONSABILITÉ

Même s’ils minimisent l’impact de leurs actes, tous les pères se déclarent soulagés de l’intervention judiciaire. Ils savaient confusément que « ce n’était pas bien », qu’il fallait arrêter. Tous déplorent la défaillance de leur femme qui a laissé faire. « Ils revendiquent ainsi leur irresponsabilité face à l’épouse, mise en place de “super-mère” qui a failli à son devoir », précise Luc Massardier. Sur les trente mères concernées, seules cinq ont immédiatement voulu divorcer à la suite de la judiciarisation de la situation. Ce divorce est vécu par les maris avec une consternation désolée, qui les conforte dans leur statut d’éternelles victimes. De leur côté, aucun des pères n’envisage le divorce : tous mettent en avant leur fidélité exemplaire. Et « du fond de leur cellule, ils vont supplier leur femme de ne pas les abandonner et de leur donner une nouvelle chance “pour le bien sacré des enfants” ». Au fil de l’incarcération, lorsque l’épouse n’a pas demandé la séparation, elle redevient celle qui doit les protéger et va venir les consoler au parloir. Pour ces hommes qui se sont comportés dans leur couple en enfants irresponsables, « c’est l’administration pénitentiaire, la justice, le juge, la prison, qui a pris la place de la mauvaise mère » – la leur et celle de leur enfant.

Notes

(1) Intervenu lors du colloque organisé le 31 janvier dernier à Paris par l’Association Docteurs-Bru et auteur d’une contribution au livre éponyme Inceste, lorsque les mères ne protègent pas leur enfant (éd. érès, 2013).

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