La proposition de loi tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires, votée par le Sénat le 14 mai, pourrait, si elle était définitivement adoptée en l’état, aggraver la question de la raréfaction des terrains de stage pour les étudiants en travail social. Dans l’objectif de renforcer les droits des stagiaires, les sénateurs ont en effet augmenté le niveau de la gratification minimale (de 436,05 € à 523,26 € par mois) et abaissé de deux à un mois le seuil à partir duquel elle devient obligatoire. Trois mois après l’annonce, par les ministres des Affaires sociales et de l’Enseignement supérieur, de la création d’un fonds de transition, jugé insuffisant, pour aider les établissements nouvellement soumis à l’obligation de gratifier par la loi du 22 juillet 2013 (ceux qui relèvent de la fonction publique hospitalière et des collectivités territoriales), la pilule risque d’être très amère. A moins que la commission mixte paritaire, qui doit encore se réunir pour trancher les divergences entre les deux chambres, n’en décide autrement.
Une chose est sûre, la Haute Assemblée n’a pas retenu la proposition d’amendement de l’ADF (Assemblée des départements de France), qui avait pourtant été reprise par des sénateurs de la majorité et de l’opposition, visant à assurer la pérennité et la traçabilité des financements de la gratification des stages en travail social. Dans sa proposition, l’ADF rappelait que, en 2008, 20 millions d’euros avait été dégagés pour financer les gratifications dans le secteur associatif. « Faute d’une ingénierie financière adaptée, ces crédits ont été dispersés et se sont dilués dans les budgets des établissements et services sociaux et médico-sociaux », explique-t-elle. D’où sa préconisation de créer une enveloppe d’intérêt général pour ces établissements, financée par un redéploiement de crédits et par le fonds de transition annoncé par le gouvernement. L’ADF proposait, pour les établissements d’accueil de jeunes enfants, un avenant à la convention d’objectifs et de moyens entre la caisse nationale des allocations familiales et l’Etat permettant de redéployer les financements nécessaires pour ces structures.
Lors des débats, ses motivations ont été rejetées en bloc par la secrétaire d’Etat chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Geneviève Fioraso a indiqué que pour les structures relevant de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, une enveloppe annuelle de 4,7 millions d’euros est depuis 2008 « fléchée, dans les circulaires de campagne budgétaire », pour la gratification. « Depuis leur mise en place, ces crédits sont systématiquement sous-consommés. Si donc certains étudiants rencontrent des difficultés pour trouver un stage, ce n’est pas à cause de l’obligation de gratification », a-t-elle affirmé. Et de rappeler la décision de créer un fonds de 5,3 millions d’euros pour « vaincre les difficultés temporaires rencontrées par les petites structures, notamment les petites communes et les petits établissements publics relevant de la fonction publique territoriale ». Pour la secrétaire d’Etat, ces nouveaux crédits correspondent à « une évaluation assez large » et, « à l’instar de l’enveloppe qui existe déjà, ne seront pas totalement consommés ». Un argument que Jean-Pierre Hardy, directeur délégué aux solidarités et au développement social de l’ADF, juge « intellectuellement malhonnête ».
Depuis son adoption à l’Assemblée nationale, l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis) se mobilise également sur le texte, qui a par ailleurs pour effet d’étendre la gratification aux stagiaires dont le niveau de formation est inférieur au bac. « Nous ne sommes pas contre un principe qui va dans le sens de l’équité, mais très inquiets du risque d’asphyxie de l’alternance pour les formations en travail social », explique Diane Bossière, directrice générale de l’Unaforis. « Nous allons réinterpeller les ministères sur les mesures mises en œuvre pour développer les possibilités de stage dans les trois fonctions publiques et pour dégager des moyens pour les structures publiques ou privées à but non lucratif qui montrent qu’elles ne peuvent pas, financièrement, gratifier les stagiaires ». Quant au fonds de transition, ajoute Diane Bossière, « il ne s’est pas traduit par de l’argent en plus, mais par la réactivation de crédits de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, par le biais de directives adressées aux agences régionales de santé ». Un geste, certes, mais qui ne semble pas à la hauteur des besoins.