Deux ans après la révélation de la crise majeure traversée par l’IRTS (Institut régional du travail social) de Lorraine (1), la décision du conseil régional d’engager une procédure de redressement judiciaire de son association gestionnaire – l’Alforeas (Association lorraine de formation et de recherche en action sociale) – a sonné, pour les quelque 120 salariés de l’établissement, comme un coup de grâce. Une décision, selon le communiqué du conseil régional diffusé le 9 mai, prise avec le préfet de région, en accord avec l’association, « pour relancer une nouvelle dynamique en faveur des formations adaptées aux métiers du travail social en Lorraine ». La situation financière de l’établissement « et la gouvernance en place, malgré les efforts engagés et les résultats positifs enregistrés à fin 2013, ne permettent pas d’éviter la menace d’une cessation de paiement imminente », assure le communiqué.
Face à un déficit estimé à près de 4 millions d’euros, et qui avait été mis au jour par une procédure d’alerte engagée par les salariés, un plan de redressement avait été voté en juin 2012 par l’Alforeas. Pour l’intersyndicale CGT-SUD Santé sociaux, qui impute cette crise à une sous-dotation financière du conseil régional et à des erreurs de gestion de l’association, le redressement judiciaire conduirait à un démantèlement de l’appareil de formation. « Les comptes d’exploitation de l’IRTS de Lorraine sont revenus à l’équilibre grâce aux efforts consentis par les salariés (économie de 1,5 million d’euros correspondant à la suppression de 25 emplois) », s’insurge-t-elle. Une délégation de salariés et de représentants du personnel a été reçue le 16 mai par le président du conseil régional, Jean-Pierre Masseret (PS), pour manifester son opposition.
Lors de cette réunion, l’élu a « indiqué qu’il s’engageait à maintenir l’IRTS dans sa structuration actuelle et son expertise, en vue de constituer une Hepass (haute école professionnelle en action sociale et de santé), rapporte un salarié membre de la délégation. Sachant qu’avec des formations dispensées du niveau V au niveau I, une activité de recherche et d’animation régionale, ainsi qu’un service de relations internationales, l’IRTS a déjà les caractéristiques d’une plateforme régionale. Il a assuré qu’il nous mettrait dans la boucle de l’évolution juridique de la structure. » Mais le président du conseil régional a aussi posé des conditions, reflets de la crise de confiance du financeur à l’égard de l’association gestionnaire. Dans des éléments de compte rendu destinés à être communiqués aux salariés, le conseil régional a en effet indiqué qu’il affirme depuis 2011 « sa volonté politique et stratégique de développer des “pôles des compétences” dans les différents métiers et secteurs économiques de la Lorraine », et que « le projet Hepass sur le champ des métiers du travail social est en parfaite cohérence avec cette volonté ». Néanmoins, cet engagement à assurer l’avenir de l’établissement et la pérennité de ses emplois est conditionné « à un changement de président avec une refonte immédiate de la gouvernance » de l’Alforeas et de ses statuts. Le 20 mai, le bureau de l’Alforeas annonçait accepter la démission d’Yvon Schléret qui, quelques jours auparavant, avait par ailleurs contesté la décision du conseil régional, précisant ne pas y avoir été associé.
Si elle se satisfait d’avoir obtenu la tête de l’association gestionnaire, l’intersyndicale CGT-SUD Santé sociaux souhaite désormais éviter le redressement judiciaire. La CFDT Santé-sociaux s’oppose également à cette décision, qu’elle perçoit comme « un moyen de pression à un changement de gouvernance ou de fonctionnement de l’outil régional de formation en travail social, alors même que la réflexion sur cette évolution n’a pas encore été produite en région Lorraine ».
Du côté du conseil régional, les derniers rebondissements ont changé la donne. « Pour l’instant, il y a une procédure d’alerte sur le risque de cessation de paiement, explique Laurence Demonet, vice-présidente du conseil régional, déléguée aux actions relevant de la formation et de l’accompagnement des parcours de vie. Si, au 30 juin, l’Alforeas a modifié ses statuts et sa gouvernance, dans l’esprit d’un groupement d’intérêt public, pour se mettre en capacité de préparer un projet d’Hepass prête à être labellisée, cela nous laissera jusqu’à septembre pour étudier la question financière. Dès lors, la région prendra ses responsabilités. » En d’autres termes, le redressement judiciaire serait évité.
Cette situation de tension pourrait-elle, au final, se transformer en opportunité d’accélérer la création de la première Hepass ? « On souhaiterait qu’à la suite des “états généraux du travail social”, l’Etat, en lien avec l’Association des régions de France, prenne position sur un cadrage réglementaire avec un système de type accréditation. L’initiative de la Lorraine pourrait se rapprocher de ce cadre ou être vue comme une sorte d’expérimentation », commente Diane Bossière, directrice générale de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en action sociale). « Nous sommes intéressés par cette volonté du conseil régional de Lorraine de reprendre le projet d’Hepass, dans l’esprit et la manière que nous proposons pour créer une plateforme régionale avec une approche territoriale [2], et nous serons attentifs à ce que ce soit bien de cela dont il s’agit », ajoute-t-elle néanmoins. La préservation d’un ensemble cohérent de formations initiales et continues et en lien avec les partenaires sont des préalables. Seront-ils faciles à réunir dans un contexte de crise ? Ironie de l’histoire, l’IRTS pourrait participer au premier projet d’Hepass sans être passé par l’étape de préfiguration « plateforme labellisée » par l’Unaforis.
(1) Voir ASH n° 2767 du 6-07-12, p. 23.
(2) Selon la conception de l’Unaforis, l’Hepass doit pouvoir, à terme, proposer l’ensemble des diplômes en travail social du territoire (niveaux V à I), rattachés au processus européen des certifications, être en lien avec l’université, avoir une activité de recherche, d’expertise et d’animation, être ouverte sur l’international et avoir une démarche qualité.