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En Eure-et-Loir, un dispositif départemental accompagne des jeunes présentant des troubles du comportement et de la conduite grâce à une prise en charge modulable qui s’appuie sur un Sessad et deux ITEP… Et qui implique les familles.

« Un, deux, trois, tournez ! » Encouragés par la monitrice-éducatrice et guidés par la musique de la vidéo, les cinq enfants exécutent un tour sur eux-mêmes. Certains, comme Antoine (1), ont du mal à suivre le mouvement et restent un peu à l’écart. D’autres, à l’instar de Romane, débordent d’énergie et profitent pleinement de ce moment de défoulement que constitue l’atelier danse. Le morceau terminé, l’adolescente se précipite vers l’appareil : « On met celle-là ! » Emmené par la monitrice-éducatrice et l’infirmière, le groupe commence alors une nouvelle chorégraphie sur l’air d’Alexandrie Alexandra.

LA PEUR DE LA SÉPARATION

Souriante et plutôt fluette pour ses 12 ans, Romane passe la semaine dans l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) de Senonches, avant de retrouver ses parents tous les week-ends. Lors de son arrivée en 2008, les problèmes de comportement de l’adolescente perturbaient sérieusement sa vie de famille et sa scolarité. « Avant, elle ne tenait jamais en place, elle courait partout, criait et piquait des crises. On avait du mal à la canaliser. Et c’était la même chose à l’école. La directrice de l’école maternelle nous a même dit un jour qu’elle était folle », se souvient le père de Romane. Aujourd’hui, celle-ci fait partie des 56?jeunes accueillis au sein du dispositif départemental d’accueil d’enfants présentant des troubles du caractère et du comportement (TCC) d’Eure-et-Loir. Créé en 2000 et géré par l’ADPEP 28 (2), ce dispositif réunit un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad), installé à Chartres, et deux ITEP, situés non loin (3). Il propose un suivi global à des jeunes garçons et filles de 6 à 18?ans souffrant de troubles du comportement. « Nous sommes partis de l’idée qu’il fallait offrir à ces enfants, très effrayés par l’extérieur, une base de sécurité suffisante pour leur permettre d’aller explorer le monde, de se lancer, mais toujours avec des professionnels derrière pour récupérer et reprendre les choses quand ça dérape », raconte la directrice du dispositif, Isabelle Cappellaro. La plupart du temps, les jeunes arrivent ici parce que l’institution scolaire comme les parents ne parviennent plus à faire face à leurs débordements. Familles et enfants sont orientés en première intention sur le Sessad par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Les professionnels recherchent alors avec les familles le type d’accompagnement le plus adapté aux besoins de l’enfant, en ambulatoire ou en internat. Pour certains, comme Romane, l’orientation vers un ITEP semblait plus à même d’apaiser les fortes tensions et les crises au sein de la famille. Quant à Michel, 14 ans, il est arrivé à l’ITEP de Senonches en septembre dernier. Attablé avec d’autres garçons de son âge pour le déjeuner, il évoque les raisons qui l’ont amené ici. Scolarisé dans une école spécialisée, il ne supportait plus le cadre trop contraignant de l’internat de son école. « Là-bas, c’était trop sévère et il n’y avait qu’un éducateur pour 14?jeunes. J’étais tout le temps énervé, je tapais contre les murs. Ici, c’est différent, je suis plus calme, je peux faire des activités, comme le squash ou la danse », raconte le garçon tout en attrapant un croque-monsieur que lui tend la maîtresse de maison.

L’équipe profite de l’accueil préalable au Sessad pour préparer avec la famille l’entrée de l’enfant à l’internat. « Dans l’esprit de beaucoup de familles, la notification de la MDPH s’apparente à une mesure de placement et l’admission du jeune au sein de l’ITEP peut être perçue comme une sanction », note Isabelle Cappellaro. Pour les parents de Romane, faire entrer leur fille cadette en ITEP alors qu’elle n’avait jamais quitté la maison n’a pas été une décision facile. « On se posait des questions, on se demandait ce qu’on avait fait pour devoir la laisser toute la semaine à l’internat. On se disait qu’on allait être jugés », explique son père. Pour d’autres jeunes, la peur de la séparation rend impossible toute entrée directe en internat. Elle peut même avoir des effets désastreux, comme dans le cas d’un jeune garçon très fragile qui n’a pas supporté la vie en collectivité et a décompensé peu après son arrivée à l’ITEP de Senonches. « Il faut faire attention aux schémas tout faits selon lesquels on va favoriser l’autonomie d’un jeune qui est trop collé à sa mère en le séparant tout simplement de celle-ci, souligne Jean-Pierre Goudot, pédopsychiatre au sein du dispositif. En général, lorsqu’un enfant est trop collé à sa mère, ce n’est pas parce qu’il l’aime trop, mais parce qu’il a peur qu’elle l’abandonne. Certains enfants ici nous disent que s’ils ne sont pas à la maison, leur mère va les oublier. »

UN SUIVI ADAPTÉ SELON L’ÉVOLUTION DES BESOINS

Rien n’est figé dans cette organisation départementale, qui privilégie l’idée d’un suivi souple et modulable et permet aux jeunes de passer d’un mode d’accompagnement à un autre, selon leur cheminement et l’évolution de leurs besoins. Venu au Sessad avec sa mère, Hedi a bénéficié de cette souplesse tout au long de son suivi. Après la séparation de ses parents en 2006, le jeune garçon était devenu très agité à l’école, ne supportait plus aucune remarque et multipliait les bagarres, au point que le collège a proposé à sa mère de rencontrer la directrice et le pédopsychiatre du dispositif. Aujourd’hui âgé de 15 ans, l’adolescent a d’abord été suivi par l’équipe du Sessad, puis a intégré l’ITEP de Senonches lors de son entrée en classe de 6e. « Après un passage en ambulatoire, nous avons proposé un accompagnement en internat parce que les diffi­cultés relationnelles et de socialisation devenaient trop importantes et que la maman ne pouvait plus suivre, notamment pour le soutien à la scolarité », précise Isabelle Cappellaro. Mais au bout de deux ans, Hedi n’a plus supporté d’être séparé de sa mère durant la semaine. Il est donc revenu au Sessad où, deux fois par semaine, il vient rencontrer la psychologue et préparer son insertion professionnelle. Il profite également d’activités, comme le bowling et la patinoire, ainsi que des sorties organisées pendant les vacances.

Grâce à la présence d’une équipe pluridisciplinaire forte d’une quarantaine de professionnels (dont 12 moniteurs-éducateurs, 6 éducateurs spécialisés, 4 psychologues, 3 psychomotriciens et 2 enseignants), les enfants bénéficient d’un suivi adapté à leurs difficultés. Entretiens individuels avec les psychologues, ateliers de danse, improvisation ou art-thérapie, activités sportives ou à la ferme, jeux de société avec les plus jeunes, séjours en petits groupes… L’équipe tente de remettre peu à peu ces enfants sur la voie d’une vie sociale qui ne soit plus vécue de façon violente. Psychologue à l’ITEP de Senonches, Séverine Desjardins montre les tableaux de fleurs qui trônent en évidence derrière son bureau, réalisés le matin même par les jeunes dans une ferme. Ceux-ci ont ensuite soigné les animaux jusqu’au déjeuner, au cours duquel deux d’entre eux sont entrés violemment en conflit. Insultes, coups… L’altercation a été rapide, imprévisible. « Il est très difficile pour ces jeunes d’être dans un groupe. Ils ont besoin de manifester leur différence et recherchent une attention exclusive. La plupart ont des angoisses d’abandon et sont constamment en train d’attaquer le lien, de tester l’adulte pour voir s’il va tenir et répondre à leurs attentes », observe Séverine Desjardins. Les équipes du Sessad et des ITEP s’appuient sur la théorie de l’attachement (4) pour amener les enfants, mais aussi les familles quand c’est nécessaire, à s’ouvrir sur l’environnement extérieur et à faire des expériences de socialisation, sans craindre les ruptures qui ont jalonné le plus souvent leur parcours. « On essaie de constituer autour des enfants et des parents une base de sécurité et un cadre rassurant pour favoriser une ouverture dans le corps social, pour les accompagner vers des lieux et des activités habituellement inquiétants pour eux. Cette base de sécurité peut les aider à réguler leurs mouvements émotionnels et à maîtriser leur peur. A partir de là, un travail de prise en charge individuelle est entrepris pour leur permettre d’élaborer mentalement tous ces vécus », détaille Jean-Pierre Goudot.

GARDER UN LIEN ÉTROIT AVEC LA FAMILLE…

Toutes les situations sont exploitées par les équipes du Sessad et des deux internats pour observer les comportements des jeunes dans des environnements différents, et enrichir de cette manière le travail permanent d’évaluation et de construction des projets individuels. Certains professionnels évoquent les déjeuners au restaurant, au cours desquels ils peuvent regarder comment les enfants se tiennent à table et vérifier s’ils savent commander un plat ; les jeux de société, qui montrent ce que signifie perdre ou gagner pour des jeunes qui se sont construits autour d’une image négative d’eux-mêmes ; ou encore ces temps informels entre deux portes, qui apportent des éclairages nouveaux sur l’état d’esprit d’un jeune ou l’inquiétude d’une maman face à un suivi qui lui paraît très long. D’autres mettent en avant les apports d’une activité comme l’improvisation théâtrale, durant laquelle adultes et jeunes peuvent se lâcher un peu et se voir différemment en faisant tomber, l’espace d’un moment, les barrières habituelles. Les très nombreux temps de transport pour accompagner les jeunes jusqu’à leur école ou sur des lieux d’activité extérieurs sont également mis à profit par les équipes pour aborder les choses différemment, laisser émerger des non-dits, des souffrances ou des questionnements. Les professionnels qui côtoient les jeunes tous les jours au sein des ITEP apportent éga­lement leur vision sur les difficultés de ces jeunes garçons et filles. « Nous les accompagnons sur les tâches quotidiennes, et notamment en matière d’hygiène. Ils ont en général une mauvaise image d’eux-mêmes, et certains ont du mal à prendre soin d’eux. Il y a, derrière, le refus de grandir, l’envie de rester une petite fille ou un petit garçon », indique Karine Millard, éducatrice spécialisée attachée à l’unité des filles de l’ITEP de Senonches.

Ce suivi global, fort d’un taux d’encadrement élevé, n’a pourtant pas vocation à couper l’enfant de son milieu de vie ordinaire, assurent les responsables. Dans les deux internats, par exemple, on ne pousse pas les jeunes à s’installer durablement, comme le montre l’intérieur peu personnalisé de la plupart des chambres. Pas question de se substituer à la famille ou d’obliger les jeunes à suivre une scolarité en dehors de l’école de leur secteur. « Il est très important qu’ils ne soient pas désinsérés le jour où ils retourneront vivre à la maison », martèle Isabelle Cappellaro. Dans ces conditions, il est essentiel d’entretenir des relations étroites avec les familles, quand elles sont présentes, et de les impliquer dans les projets. A son arrivée, en 2003, la directrice a ainsi mis en place un système de permanence téléphonique afin que les parents puissent joindre facilement des membres de l’équipe. Outre les points hebdomadaires faits par les équipes des internats avec les familles et les écoles, le dispositif a également établi un programme de réunions mensuelles pour rencontrer les familles et les jeunes, échanger et apporter le cas échéant un soutien à des parents dépassés. « Nous recevons des parents qui eux-mêmes ont subi des traumatismes graves et souvent irrésolus, note Jean-Pierre Goudot. On ne peut donc pas se centrer exclusi­vement sur l’enfant, il faut essayer de comprendre la place que celui-ci occupe dans la dynamique familiale. »

… ET AVEC L’ÉCOLE

Il revient également aux éducateurs du Sessad d’assurer le lien entre les familles et les différents partenaires. « L’éducateur est présent sur presque toutes les aires de travail internes ou externes, confirme Dominique Ferron, éducateur spécialisé. Du coup, il devient rapidement l’interlocuteur privilégié de la famille, des écoles et des autres partenaires. C’est aussi le canal par lequel transitent toutes les informations. » Envers l’institution scolaire, l’éducateur joue ainsi un rôle essentiel de médiateur, chargé d’apporter des éclairages sur certains comportements de l’enfant et d’apaiser les tensions en écoutant les enseignants en difficulté, mais aussi en redonnant une place à des familles qui se sentent parfois stigmatisées et n’osent pas toujours prendre la parole. Les enseignants qui interviennent dans le dispositif pour faire du soutien à la scolarisation complètent ce travail de mise en lien avec les établissements scolaires. « Nous travaillons ensemble pour essayer de mener un programme commun pour le jeune, insiste Céline Thibault, enseignante spécialisée au Sessad. Il faut éviter qu’il vienne dire ici : “Ce n’est pas vrai, à l’école ils m’ont expliqué comme ça.” »

Le temps où les troubles du comportement de Hedi empêchaient toute possibilité d’apprentissage et en faisaient une petite « bombe » à l’école semble bien révolu. « Depuis un an, il n’y a eu aucune remarque de l’école », glisse sa mère en souriant. Aujourd’hui en 3e, il dit vouloir s’orienter vers un CAP de commerce. Une insertion professionnelle qui sera sans doute compliquée, du fait des retards accumulés au cours de sa scolarité, mais que l’adolescent aborde avec optimisme. Avec l’aide de l’équipe du Sessad, il vient d’ailleurs de décrocher un stage dans l’animation. Romane, quant à elle, revient du centre d’équitation où elle a fait une balade à poney. Radieuse, elle retrouve ses parents venus rencontrer la directrice. « J’ai été sage pendant trois jours », lance d’emblée la fillette, avant de raconter avec fierté les galops réalisés dans la campagne. « Romane a fait un chemin énorme, assure Séverine Desjardins. Toute petite, elle était incapable d’être dans un groupe, elle avait une instabilité psychomotrice telle qu’elle ne prêtait attention à rien. Aujourd’hui, c’est une enfant lectrice, capable d’avancer dans sa scolarité et de créer des liens avec les autres. » Encore toute excitée de sa promenade avec son poney favori, la jeune fille embrasse ses parents avant d’aller se changer. Du bout du couloir, elle fait un signe de la main à ses parents. Aujourd’hui, ils sont venus discuter avec la directrice de l’entrée dans le dispositif de son petit frère.

Du côté de l’agence régionale de santé (ARS), on se félicite de la réussite de ce dispositif né d’un changement de logique. « Ce système a contraint les acteurs de terrain à ne pas s’inscrire d’emblée dans des logiques d’orientation en institutions fermées, et à étendre à l’ensemble des autres structures l’important travail de collaboration réalisé au sein du Sessad avec les familles et les principaux partenaires. En outre, il s’inscrit dans des logiques de parcours et permet de ne pas raisonner en termes de “cases” », estime Gérald Naullet, inspecteur en charge de l’unité médico-sociale à la délégation territoriale d’Eure-et-Loir de l’ARS. Des résultats encourageants, qui ne doivent pas dissimuler certaines difficultés apparues au fil des années, tempère la directrice. « On oriente aujourd’hui vers notre dispositif beaucoup de jeunes qui viennent de la pédopsychiatrie et pour lesquels nous ne pouvons pas apporter de réponse », regrette Isabelle Cappellaro. En septembre prochain, l’ITEP de Morancez ouvrira une section d’évaluation et d’observation de cinq places pour mieux travailler en interne l’orientation des jeunes qui arrivent, et les adresser le cas échéant vers des dispositifs plus adaptés (centres de référence pour les troubles du langage ou instituts médico-éducatifs). Cette unité fournira également un mode d’accompagnement à mi-chemin entre le suivi en ambulatoire du Sessad et celui de l’internat, et permettra d’accueillir des publics sur des demi-journées durant la semaine.

Notes

(1) Les prénoms ont été changés.

(2) Association départementale des pupilles de l’enseignement public : 1, rue du 14-Juillet – 28 000 Chartres.

(3) Le financement du dispositif est assuré par la CPAM. En 2013, le budget s’élevait à 390 621 € pour le Sessad, 1 510 572 € pour l’ITEP de Senonches et 180 946 € pour celui de Morancez, qui fonctionne en « ouverture anticipée ».

(4) La théorie de l’attachement souligne l’importance pour le bébé de se lier à quelqu’un afin de construire un socle de sécurité à partir duquel il pourra s’autonomiser.

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