« Opposer recherche en travail social et recherche appliquée est une impasse. L’Association française pour le développement de la recherche en travail social (Affuts), qui existe depuis 1993, a pour finalité la promotion de la recherche sur les pratiques, les acteurs, les institutions et les politiques dans le champ social. Il ressort de nos débats que la recherche en travail social poursuit une logique de compréhension et d’intervention sur les phénomènes ; elle s’intéresse à toutes recherches portant sur des problèmes sociaux et incluant la compréhension et la transformation des pratiques ; c’est une recherche pluridisciplinaire, qui relie action, recherche et formation professionnelle. Penser la recherche en travail social, c’est considérer que la production de connaissances est inséparable d’un projet d’émancipation des clients. Il s’agit d’une recherche impliquée qui appelle à la proximité distante.
Il faut donc se méfier de ce qu’on peut considérer comme le piège de la pensée canonique ou classique, consistant à opposer l’implication et l’objectivité, en donnant prise à une sorte de débat disjonctif de rejet de l’une ou de l’autre. La cécité qui enferme certains dans une opposition permanente entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée est une impasse qui ne fait pas progresser la recherche dans le champ de l’intervention sociale. Privilégier “la recherche en travail social” n’est en rien faire une confusion entre ingénierie sociale et recherche scientifique.
Nous considérons que les activités réelles des praticiens, comprises dans leur totalité et dans leur complexité, sont des objets propres au travail social intéressant des recherches scientifiques, qui participent au développement d’une discipline pratique et d’une discipline d’enseignement professionnel supérieur. Pour l’Affuts, qui s’inscrit dans une démarche de la valorisation de la recherche et reste fidèle à ses engagements depuis sa création, l’appareil de formation et le terrain constituent le terrain d’expérimentation pour produire des recherches scientifiques en travail social. Ainsi, dire que le travail social ou la recherche en travail social, c’est une “alter science”, c’est s’inscrire dans une forme d’agnotologie (1) qui méconnaît les théories du travail social développées dans plusieurs pays. Mais précisons que notre objet n’est pas la construction du travail social en tant que science, il est de proposer un débat autour de la question “travail social, discipline pratique, discipline académique, et discipline d’enseignement professionnel supérieur, un champ de recherche scientifique à développer”.
Comment contribuer alors au développement de la recherche en travail social ? Pour cela il faut :
1. Créer une discipline académique : l’institutionnalisation de la recherche se faisant autour d’une unité mixte de recherche, comment le travail social pourrait-il se placer à l’avenir sans prendre en compte cette épineuse question de la discipline académique, au-delà de la discipline pratique qui le caractérise ? Si l’un des objectifs de la recherche en travail social est d’initier à la production de connaissances par une démarche scientifique, celle-ci se fait le plus souvent en dehors des travailleurs sociaux et des formateurs des instituts du travail social. L’institutionnalisation de la recherche en travail social ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur le travail social en tant que champ académique parce qu’on ne peut dissocier profession et discipline dans les évolutions historiques, comme l’ont montré les sciences de l’éducation, et que la discipline constitue un mode d’organisation de connaissances scientifiques, une communauté de recherche avec un réseau institutionnalisé de communications entre chercheurs (2). Enfin, je considère que la question de la recherche en travail social et celle de la discipline sont d’abord politiques avant d’être scientifiques.
2. Soutenir et coordonner des praticiens-chercheurs dans la valorisation de leurs recherches et la promotion d’expertises de pratiques professionnelles en travail social.
3. Participer à la construction, à la structuration, au développement et à la diffusion de la recherche dans le champ social.
4. Faire en sorte qu’à l’instar de la majorité des pays européens le secteur du travail social et de la formation, souvent réduit à des pratiques, devienne un domaine de recherche en France et reconnu comme tel ; et qu’à ce titre il inventorie et observe “les lieux de recherche, universitaires ou non, qui ont fait des choix épistémologiques et méthodologiques permettant d’approcher les pratiques professionnelles et d’en rendre compte”.
5. Progresser dans l’organisation et la structuration des savoirs issus de la recherche, souvent disparates et cloisonnés.
Contact :
(1) L’agnotologie est l’étude de la production culturelle de l’ignorance.
(2) Voir l’introduction et la conclusion d’Emmanuel Jovelin et l’article d’Eliane Leplay dans Quels modèles de recherche scientifique en travail social ? – Affuts (Coord.) – Ed. Presses de l’EHESP, 2013.