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« Ascension de l’Everest de la recherche en travail social : oui à une autre voie ! »

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« Il y a quelque chose d’étonnant dans les débats d’aujourd’hui : la contradiction encore très forte entre la volonté exprimée de vouloir réellement développer la recherche en travail social dans la suite de la conférence de consensus (1) et la constatation qu’il conviendrait encore pour certains d’adopter une attitude unique, une voie et une seule, en devant suivre un chemin tracé.

L’apologue récent de Manuel Boucher a pourtant un vrai mérite : nous faire réaliser, par la démonstration a contrario qu’a constitué la journée de restitution de la conférence de consensus, que les choses ont fortement bougé et que, “même si celle-ci et l’avis du jury ne clôturent pas les débats, ils ont apporté des pistes éclairantes et pragmatiques qui permettent de dépasser ce qui faisait clivage…”, comme le dit Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale (2).

La défense de la recherche s’exprime tous azimuts mais avec un cahier des charges élitiste et tellement contraignant qu’on se demande si, par “défense”, il ne faut pas entendre au final “défense d’entrer”. Un des éléments majeurs émergeant aujourd’hui est la pluralité des approches. Il peut effectivement y avoir d’autres positions que celle qui consisterait à décrire ce que l’on a fait, et ainsi justifier qu’il ne pourrait en être autrement que la seule voie autochoisie et dont il serait, de plus, dangereux de s’écarter puisqu’il s’agit “de définir les conditions essentielles du développement de la recherche scientifique”, rien de moins !

Un entre-soi qui perdure

Pour étayer les choix possibles, prenons l’image de l’alpinisme. Bien que les chercheurs et acteurs de la recherche ne soient, à aucun moment, considérés comme “les conquérants de l’inutile” (3), il faut bien reconnaître qu’il y a un entre-soi qui perdure et qui laisse à penser qu’en dehors des guides de haute montagne, qui plus est de “l’école de Chamonix”, il n’y aurait pas de légitimité à s’attaquer à l’ascension des sommets les plus hauts… Si l’on rajoute à cela qu’il ne serait possible d’emprunter que “la directissime” pour gravir la montagne, on comprend à quel point, les premiers de cordée sont encore maîtres du jeu, sans oublier qu’ils ont une responsabilité écrasante : par leur bon ou mauvais rythme, ils entraînent toute la cordée dans le succès ou l’échec.

Il convient donc de revenir sur quelques points saillants. Le premier point est que la construction de la recherche dans l’appareil de formation dépend de l’histoire particulière de chacun des établissements. Cette histoire est intéressante à explorer car il n’y a pas tant de laboratoires que cela (4) et elle est signifiante dans les volontés particulières de développer la recherche en l’intégrant à la formation.

Le deuxième point concerne le nombre et la qualité des chercheurs dans l’appareil de formation en travail social. Il faut avoir le courage et l’honnêteté de reconnaître que nous n’en sommes qu’aux pionniers. Leur nombre est encore trop limité, rendant ainsi un peu superficielle la question de leur statut. Cette question se posera, mais elle nécessite un développement non encore atteint qui rend inopérant notre préoccupation dans le cadre des rénovations de conventions collectives – à moins que n’arrive dans quelques années la convention collective unique étendue du secteur…

Une partie des chercheurs en question se retrouve déjà à la commission “Recherche” de l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis), mais sans que cela soit un gage suffisant de reconnaissance, semble-t-il. J’en veux pour preuve le fait que quatre d’entre eux sont intervenus lors de la restitution de la conférence de consensus sans que soit évoquée cette appartenance à la commission “Recherche”…

Comment identifier et caractériser les chercheurs des établissements de for­mation en travail social ? Les efforts de sémantique n’arrivent pas à mettre tout le monde d’accord même si chacun s’accorde à reconnaître qu’il y a pluralité d’acteurs. Aussi, à côté des chercheurs qui seraient “reconnus” par la “communauté scientifique”, trouve-t-on les “enseignants-chercheurs”, les “formateurs-chercheurs” ou “praticiens-chercheurs” et même les “directeurs-chercheurs” et la liste n’est pas exhaustive. Ce qui est en jeu, au-delà des appellations, c’est la reconnaissance de cette pluralité en termes de crédibilité et de légitimité, les recherches produites étant souvent cautionnées en fonction d’un CV censé être le sésame absolu, à l’université notamment.

Ce qui légitime le travail n’est plus tant la reconnaissance de cette “communauté scientifique” que celle des prescripteurs, du terrain, des professionnels qui trouvent les réponses qu’ils n’avaient plus parfois de l’université. Le laboratoire Espass (Espace scientifique et praticien en action sociale et en santé) de l’IREIS se construit actuellement aussi bien avec le soutien de la mission “Droit et justice” (CNRS et ministère de la Justice) qu’avec celui du conseil régional Rhône-Alpes ou des Sauvegardes du Rhône, de l’Isère, de la Savoie, du Prado, de la Drôme, de la CNAPE [Convention nationale des associations de protection de l’enfant] et de l’Uriopss Rhône-Alpes dans le cadre de l’Espace de recherche et de prospective de l’enfance en danger, créé il y a quelques mois à partir des recherches déjà entreprises par le laboratoire.

Il ne s’agit pas ici de remettre en cause quelques fondamentaux sur lesquels chacun s’accorde, dont celui de la “reconnaissance par les pairs”, mais de défendre la pluralité d’actions qui nous éloigne de la parole unique. La conférence de consensus a d’ailleurs eu la vertu de montrer que nombre de questions franco-françaises étaient dépassées. La question est donc de savoir comment peut s’inscrire institutionnellement ce travail de recherche qui nécessite par ailleurs une autonomie certaine. Reprenant l’expression de Stéphane Rullac, je crois important de travailler sur une “hybridité” qui permettrait à chacun d’y trouver son compte. C’est une voie plus prometteuse à mon sens que celle des “espaces partagés autonomes” que prône François Sentis, et qui risque, en voulant “ménager la chèvre et le chou”, de ne contenter ni les uns ni les autres.

Le troisième point, peut-être le plus important, est celui du collectif. Comment, à partir de la situation existante qui montre une cartographie des laboratoires et lieux de recherche en France encore assez “espacée”, densifier l’activité de recherche ? L’émergence des pôles de recherche et d’étude pour la formation et l’action sociale (Prefas) est une première réponse pertinente mais qui ne permet pas encore de faire véritablement émerger la recher­che au niveau national. Elle a permis de construire, même de façon hétérogène, des réponses régionales. Il faut multiplier les formes d’action et atteindre des tailles critiques permettant de répondre de façon nationale et internationale aux besoins et demandes exprimés. La création de “la Médiane sociale” (5) entre plusieurs établissements de formation en travail social répond à cela. En mettant en commun chercheurs et formateurs-chercheurs, en provoquant séminaires de recherche, réponses aux appels d’offres, propositions d’études et de recherches-actions, liens avec les laboratoires universitaires, la Médiane sociale se propose de faire avancer concrètement la recherche intégrée. Elle cherche aussi à caractériser l’articulation entre la formation et la recherche et les allers-retours entre ces deux activités afin de les nourrir mutuellement.

« La pratique tranchera »

Je crois finalement comme Pierre Gauthier, président de l’Unaforis, que “la pratique tranchera un ­certain nombre de débats de principe et que cette pratique tiendra beaucoup aux outils qui pourront ou pas être mis en place autour de ces activités de recherche…” (6). Concernant les acteurs de cette recherche dans nos établissements de formation, si différents soient-ils, respectons chacun d’entre eux et illustrons à nouveau par quelques faits d’alpinisme pour finir : si l’histoire retient le nom du premier vainqueur de l’Everest, l’alpiniste Edmund Hillary, c’est un sherpa inconnu du grand public, Apa sherpa, qui détient aujourd’hui le record avec 21 ascensions victorieuses. Si deux voies principales sont empruntées par la plupart, 18 voies différentes existent.

Je ne doute pas que, en quelques années, le travail social sera riche de chercheurs se comptant en centaines et non plus en dizaines, confortant la réalité d’une légitimité encore trop partiellement accordée à leurs travaux. Je ne doute pas non plus qu’il faille que chaque établissement de formation en travail social trace sa propre route sans faire trop attention aux modes actuelles. »

Contact : pelissie.manuel@ireis.org

Notes

(1) Dont la restitution s’est faite le 3 avril dernier – Voir ASH n° 2855 du 11-04-14, p. 17.

(2) In Conférence de consensus : le travail social et la recherche – Coordonné par Marcel Jaeger – Ed. Dunod, 2014.

(3) Selon le titre du livre de Lionel Terray (éd. Gallimard, 1961) et le film de Marcel Ichac (1966), membres de l’expédition victorieuse de l’Annapurna avec Maurice Herzog et Louis Lachenal en 1950.

(4) Citons notamment le Lerfas de l’ITS de Tours, le CREAS de l’ETSUP à Paris, le CERA de Buc Ressources dans les Yvelines, Praxeo du CCRA à Lyon et l’Espass de l’IREIS à Lyon.

(5) La Médiane sociale regroupe six établissements de formation en travail social engagés dans la recherche intégrée : Askoria, l’IRTS Basse-Normandie, Buc Ressources, l’IRTS Champagne-Ardenne, l’IREIS, l’IRTS Nord-Pas-de-Calais. Son objectif : « faire recherche ensemble ».

(6) In Conférence de consensus – Op. cit.

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