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Immigration : le régime juridique de Mayotte se rapproche du droit commun… mais conserve d’importantes dérogations

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A compter du 26 mai prochain, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) sera applicable à Mayotte… avec toutefois des dérogations importantes par rapport au droit commun que les pouvoirs publics justifient notamment par la pression migratoire pesant sur l’île. C’est une ordonnance du 7 mai dernier qui organise cette évolution pour un territoire devenu, rappelons-le, une région « ultrapériphérique » de l’Union européenne le 1er janvier 2014 après avoir accédé au statut de département français le 1er avril 2011. Et qui doit donc, de ce fait, se conformer aux normes européennes et nationales. Le gouvernement aurait pu opter pour une révision de l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour à Mayotte, actuellement en vigueur. Mais il a choisi une autre voie : celle d’abroger ce texte et d’appliquer, via une nouvelle ordonnance, le Ceseda à l’île en y introduisant des mesures dérogatoires.

Toujours pas d’effet suspensif du recours en cas d’expulsion

Pour plusieurs d’entre elles, il s’agit d’étendre à Mayotte des dérogations actuellement applicables dans certains départements d’outre-mer (DOM). Ainsi, l’ordonnance étend à Mayotte l’exception faite pour Saint-Martin et la Guyane les autorisant à ne pas mettre en place de commission du titre de séjour (1). L’absence d’une telle instance sur ces territoires « s’explique par une pression migratoire très forte induisant un nombre élevé de demandes de régularisations susceptibles de relever de la commission, entraînant des délais importants qu’il convient de ne pas allonger », justifie le ministère de l’Intérieur dans son rapport relatif à l’ordonnance, adressé au chef de l’Etat et paru le même jour.

Autre exemple : à l’instar du régime existant aussi en Guyane et à Saint-Martin de façon pérenne ou en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy de façon temporaire, le recours contre une décision d’éloignement ne sera toujours pas suspensif à Mayotte. Explications du pensionnaire de la Place Beauvau : « 13 000 reconduites à la frontière (soit l’équivalent de la moitié du volume des éloignements effectués en métropole) sont réalisées annuellement depuis Mayotte ». Ainsi, « le caractère exceptionnel de l’immigration irrégulière à Mayotte justifie de ne pas renoncer à ce régime spécifique auquel les obligations européennes ne s’opposent pas ». Pour Bernard Cazeneuve, « une solution contraire aboutirait à une complexification de l’action administrative ainsi qu’à un engorgement de la juridiction administrative dont pâtirait aussi, in fine, le justiciable ».

On notera enfin que l’ordonnance prévoit la création, à Mayotte, d’un observatoire de l’immigration similaire à celui qui est institué dans les autres DOM. Sa mission sera d’évaluer l’application de la politique de régulation des flux migratoires et les conditions d’immigration sur l’île. Il devra être convoqué par le préfet de Mayotte d’ici au 10 novembre 2014.

Des dérogations pour « ne pas accroître l’attractivité » de Mayotte

D’autres dérogations sont propres à Mayotte. Trois d’entre elles « découlent de la volonté de ne pas accroître l’attractivité de [l’île] pour les candidats à l’immigration irrégulière, notamment pour les parents qui envoient leurs enfants à Mayotte où ils vivent ensuite dans des conditions extrêmement précaires ». En effet, explique le ministre de l’Intérieur dans son rapport, « le conseil général n’a pas les moyens de financer un dispositif d’aide sociale à l’enfance suffisant ». Ainsi :

→ un titre de séjour ne pourra être délivré avant l’âge de 13 ans que pour les seuls mineurs entrés avec au moins un parent en séjour régulier ;

→ les dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour (Ceseda, art. L. 313-14) ainsi qu’à l’admission au séjour pour les mineurs isolés entrés en France entre 16 et 18 ans et engagés dans un projet de formation qualifiante (Ceseda, art. L. 313-15) ne seront pas applicables à Mayotte ;

→ la délivrance d’une carte de résident au bout de trois ans aux parents et conjoints de Français sera subordonnée à la justification de ressources.

Dans son rapport, le ministère de l’Intérieur glisse, au passage, que « le préfet dispose néanmoins d’un pouvoir général de régularisation, au cas par cas, même sans texte ».

Des étrangers en rétention et en zone d’attente accueillis dans un même lieu

Autre différence de taille par rapport au droit commun : l’ordonnance écarte le dernier alinéa de l’article L. 221-2 du Ceseda, qui dispose que le même local ne peut accueillir simultanément des étrangers relevant du régime de la zone d’attente et des étrangers relevant de celui de la rétention administrative. Elle rend ainsi possible, à Mayotte, cette mixité d’usage. L’idée étant, selon le ministère de l’Intérieur, de « pallier l’absence actuelle de lieu d’hébergement dans la zone d’attente du port de Mamoudzou […] en permettant à l’administration d’héberger des non-admis dans le centre de rétention administrative ». Cette disposition dérogatoire est toutefois limitée à une période de cinq ans. « En effet, explique le rapport, la construction d’un nouveau bâtiment est programmée, qui comprendra des locaux distincts pour la zone d’attente et pour la rétention administrative, ce que ne permet pas le centre de rétention actuel ». On notera que, « afin d’éviter toute ambiguïté », l’ordonnance précise expressément que les étrangers concernés, bien qu’hébergés dans les mêmes locaux, demeurent soumis, selon la mesure administrative dont ils font l’objet, au régime juridique applicable respectivement aux non-admis et aux reconduits.

Un régime d’aides au retour spécifique

L’ordonnance écarte l’application, à Mayotte, du titre III du livre III du Ceseda relatif aux aides au retour. Elle prévoit à la place un régime d’aides spécifique :

→ une aide à la réinsertion économique accordée « dans des circonstances exceptionnelles » et « sous réserve de l’existence d’un projet économique viable » ;

→ des mesures d’accompagnement qui pourront comprendre des aides financières au profit des personnes regagnant leur pays accompagnées d’un ou plusieurs enfants mineurs à charge. L’objectif, avec cette disposition, est clairement affiché par le minitère : il s’agit de « favoriser le retour des mineurs vivant à Mayotte en situation de grande précarité ».

Un arrêté précisera le régime de ces aides.

A retenir également

Parmi les autres dérogations significatives, on relèvera notamment que ne seront pas applicables à Mayotte :

→ la règle du « jour franc », qui permet à un étranger non autorisé à entrer en France de refuser d’être rapatrié avant l’expiration du délai d’un jour franc ;

→ le contrat d’accueil et d’intégration, ainsi que le dispositif de formation aux droits et devoirs des parents bénéficiant d’un regroupement familial et ayant un ou des enfants ;

→ la disposition de l’article L. 211-2-1 du Ceseda qui prévoit que le conjoint de Français qui sollicite un visa pour venir s’installer en France est soumis à une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République.

Par ailleurs, il sera possible de recourir à la visioconférence lors de la tenue de la commission de l’expulsion, afin que l’empêchement de la venue sur place d’un ou de plusieurs des magistrats concernés ne constitue pas un obstacle à la validité de la réunion de cette instance consultative.

Enfin, la validité territoriale des titres de séjour délivrés par le préfet de Mayotte sera modulée en fonction de la nature du titre.

[Ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014 et rapport au président de la République, NOR : INTX1409906P, J.O. du 10-05-14]
Notes

(1) Commission chargée d’émettre des avis – ne liant pas l’administration – en cas de refus de délivrance ou de renouvellement de certains titres de séjour prévus de plein droit.

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