Médecin responsable entre 1982 et 2013 d’un service de protection maternelle et infantile (PMI), Dominique Goriaux, depuis peu retraitée, a tout connu des évolutions de la PMI. « La période de la DDASS », alors que les missions de suivi des femmes enceintes et des nourrissons, héritées de l’après-guerre, ont déjà été complétées par des actions de promotion de la santé avec les permanences de puéricultrices, les visites à domicile, les bilans de santé en école maternelle, l’information sur la contraception et la sexualité conduite dans les centres de planification familiale. Puis, à partir de 1983 et le passage sous la tutelle des départements, de nouvelles salves de compétences, comme la participation à la prise en charge des mineurs maltraités ou l’agrément et la formation des assistantes maternelles. « Une évolution considérable, qui, explique-t-elle, s’est traduite par une amélioration jusqu’au milieu des années 1990, avec des recrutements de médecins et de puéricultrices qui ont permis d’étendre les missions. Nous sommes passés ainsi de sept médecins au début des années 1980 à quatorze médecins. » Et enfin, les années d’incertitude. De départs en non-remplacements, il ne restait plus, à la fin 2013, que huit médecins dans le service de PMI de ce département rural. Si l’hémorragie est moins visible chez les autres personnels centraux que sont les sages-femmes et les puéricultrices, la moindre absence d’un agent se traduit par une suppression d’activité.
Pour Dominique Goriaux, son service, comme tant d’autres en France, a payé le prix d’un positionnement à la charnière de la santé et du social jamais vraiment clarifié par les pouvoirs publics. « Alors que la PMI dépend du conseil général, ses missions sont inscrites dans le code de la santé publique, ce qui en fait la seule compétence sanitaire du département dans un océan de social. Si bien que très peu d’élus connaissent l’action de leurs professionnels de PMI et négligent l’investissement. »
Le constat est unanime : née en 1945, l’idée d’une médecine sociale développée en soutien aux familles et aux enfants se porte mal. En 2006, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) estimait que la protection maternelle et infantile suivait plus de 140 000 femmes enceintes et un million d’enfants de 0 à 6 ans, dont la plupart de moins de 1 an. « Fondamentalement sociale et médicale », soulignait l’IGAS, la PMI permet à une population « essentiellement marquée par la précarité et la vulnérabilité psycho-sociale » de bénéficier de consultations gratuites, financées par le département avec la contribution des organismes de sécurité sociale, et cela avec une légèreté des formalités et des demandes de justificatifs. Elle représente aussi « la seule politique publique à mener des actions de planification familiale et d’information en direction des populations d’origine étrangère ».
Pourtant, depuis la décentralisation, le nombre de points de consultation infantile s’est réduit de plus du tiers, passant de 6 530 à 4 280 en 2011. En dépit de l’inscription dans la loi des missions et des normes minimales d’activités de la PMI, les personnels peuvent varier d’un département à l’autre dans des proportions considérables, avec des écarts allant de 1 à 17 pour les sages-femmes et de 1 à 3,5 pour les puéricultrices. L’idée même d’un service public égal sur l’ensemble du territoire est remise en cause : 48 départements n’assurent aucune consultation prénatale tandis que 56 ne proposent pas le nombre de consultations infantiles prévu dans les textes. Même les conseils généraux qui continuent de prioriser les actions de PMI dans leurs schémas de l’enfance et de la famille sont rattrapés par les difficultés. Entre 2009 et 2011, les 20 départements les mieux dotés en personnels médicaux ont perdu 11 % de leurs effectifs. « On constate depuis des années que les conseils généraux appliquent très diversement la responsabilité qui leur a été confiée. Certains ont continué à assurer autant que possible l’ensemble des missions de la PMI. D’autres ont délocalisé les différentes activités dans des unités territoriales où les professionnels de PMI se trouvent très isolés, puisqu’ils sont les seuls professionnels de santé sur le terrain. Beaucoup ont simplement lâché prise », explique Pierre Suesser, président du Syndicat national des médecins de PMI (SNMPMI).
Quatorze organisations et syndicats professionnels, réunis dans un collectif « Assurer l’avenir de la PMI », tentent depuis 2011 de sensibiliser les représentants des départements et le ministère de la Santé à leur situation (1). L’enjeu n’est autre que de maintenir « une certaine idée de la prévention en santé » pour les enfants, les adolescents, les femmes et les familles. « Avec son approche globale des problématiques et s’adressant à toutes les familles, la PMI est à l’interface de multiples acteurs de la petite enfance, comme les intersecteurs de pédopsychiatrie, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté [RASED], les maternités, les centres d’action médico-sociale précoce. Nous sommes une place forte dans la mise en œuvre de partenariats autour des besoins de l’enfant et de la famille. Le regard que nous portons sur les situations est lui aussi pluriprofessionnel avec des médecins, des puéricultrices, des sages-femmes, souvent des psychologues, des psychomotriciens, des éducateurs de jeunes enfants », défend Pierre Suesser.
Pour les organisations, les problèmes se sont tellement accumulés qu’une relance politique nationale est nécessaire. La réduction de la durée de séjour en maternité (trois jours au maximum) et la précarisation de pans entiers de la population ont conduit de nouveaux publics vers les consultations de la PMI, avec le risque pour les conseils généraux de se transformer en roue de secours du système de santé. Mais, à l’intérieur des services, on pointe aussi les effets d’une greffe restée inaboutie de la culture médicale dans le paysage institutionnel du département. Obligatoirement dirigée par un médecin, la PMI continue de réveiller à chaque négociation budgétaire la question lancinante de sa spécificité dans la définition des priorités de santé publique. « Les conseils généraux vivent cela comme une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. De nombreux élus préfèrent nous voir comme des professionnels venant compléter la panoplie des métiers de l’aide sociale à l’enfance, et rêveraient de mettre un administratif à notre place », dépeint une médecin responsable d’une PMI, qui tient à conserver l’anonymat. Cette singularité de la PMI est bien souvent aussi ce qui fait sa faiblesse, déplore cette médecin. « Personne, par exemple, ne fait la publicité de nos centres de planification familiale et la possibilité d’y recevoir les non-assurés, les mineurs, tous ceux qui ont besoin d’accéder rapidement à une contraception. Chez moi, ils sont même quelquefois en baisse d’activité alors que les besoins s’intensifient. » Les jeunes médecins qui seraient tentés de rentrer dans le métier n’y sont guère encouragés, avec des tarifs de vacation plancher de l’ordre de 23 € brut l’heure, soit une quinzaine d’euros net. « En tant que médecin responsable, j’ai honte de proposer de tels tarifs. D’autant qu’une consultation de nourrisson est remboursée au conseil général 25 € par la caisse d’assurance maladie et qu’un médecin en fait deux par heure, ce qui représente une activité très rentable pour le département ! »
A l’Association nationale des sages-femmes territoriales (ANSFT), on dénonce les dérives entraînées par la décision de la caisse nationale de l’assurance maladie, en décembre 2010, de ne plus financer l’activité de PMI au forfait, mais en fonction de l’activité (voir encadré, page 28). Problème : la nomenclature des actes établie par la sécurité sociale s’appuie sur le soin et laisse donc sans correspondance nombre d’activités de prévention qui faisaient la spécificité des sages-femmes territoriales, comme les visites à domicile des femmes enceintes isolées ou en situation de vulnérabilité. « Du coup, on est amenés soit à tricher en faisant passer un acte pour un autre, soit à s’orienter vers des activités qui vont faire rentrer de l’argent. On assiste, par exemple, dans les centres au développement des consultations prénatales assurées par des sages-femmes », explique Brigitte Pierron, sage-femme territoriale et membre de l’ANSFT. Grave, estime-t-elle, dans la mesure où les sages-femmes ont dû renoncer à faire des visites dans des foyers souvent très défavorisés. « Amener une personne à parler de ses difficultés est en soi un acte thérapeutique. Alors que la sécurité sociale réfléchit à d’autres modes de rémunération des professionnels libéraux, notamment par des forfaits ou des parcours de soins coordonnés, imposer à la PMI cette logique de tarification est une pure aberration. »
Le malaise est identique du côté des puéricultrices. Profession centrale de la PMI, elles ont vu leurs activités de suivi des enfants et des familles rattrapées par l’investigation des signalements de maltraitance, auxquels elles sont tenues de participer depuis la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance. « Les collègues réalisent qu’elle ne peuvent plus assurer leurs missions telles qu’elles sont prévues, ce qui les met en grande difficulté. Certaines en arrivent à rallonger leur journée pour essayer de répondre à la demande des familles », observe Elisa Guises, vice-présidente de l’Association nationale des puéricultrices diplômées et des étudiantes (ANPDE).
Faute d’une disponibilité suffisante, des PMI en arrivent alors à ne plus prendre en charge que les enfants de 0 à 2 ans, voire de 0 à 18 mois. Dans les quartiers populaires, il n’est pas rare non plus qu’un filtrage soit mis en place pour réserver l’accueil aux familles les plus précaires, en réorientant celles qui le peuvent sur des consultations privées. Pourtant, aucun décideur ne s’inquiète encore vraiment, s’étonne Elisa Guises. « On se dit qu’il sera toujours possible de réparer plus tard ce qui n’a pas été fait en prévention. Si ce n’est que nous commençons à observer un ensemble de petits déficits qui se met en place sans bruit. Des parents inquiets qui amènent leur bébé aux urgences parce que la puéricultrice n’a pu les recevoir, des conseils psycho-éducatifs qui ne sont plus donnés, des situations familiales complexes laissées sans solution. »
Du côté des départements, on réfute toute idée d’un désengagement. « La question de l’accès aux soins et de la prévention ne concerne pas seulement la PMI. Elle s’inscrit dans le cadre plus large de la démographie médicale, en particulier sur les territoires ruraux et dans les quartiers de la ville où il n’y a plus de médecins traitants, plus de pédiatres, où la santé scolaire est sinistrée et se reporte sur la PMI », défend Jean-Pierre Hardy, directeur délégué aux solidarités et au développement social à l’Assemblée des départements de France (ADF). C’est d’abord dans le retrait de l’Etat et des caisses de sécurité sociale qu’il faut rechercher les sources du malaise, estime-t-il. « Quand la loi de 2007 sur la protection de l’enfance a donné de nouvelles missions à la PMI, celles-ci devaient être compensées par le Fonds national de financement de la protection de l’enfance à hauteur de 150 millions d’euros par an. Or il n’y a rien eu. » De même, le nouveau cadre de remboursement des actes de PMI, décidé par la caisse nationale de l’assurance maladie, a conduit l’ADF a saisir le directeur général de l’assurance maladie et les ministres concernés sur les conséquences « d’un désengagement mettant en péril la pérennité des services de PMI » (voir page 29).
Reste que le contentieux hérité de la décentralisation continue de freiner la recherche de solutions. « Plutôt que de créer un service unifié de l’enfance regroupant activités de PMI et aide sociale à l’enfance, comme le suggérait, en 1980, le rapport Bianco-Lamy [2], on a fait de la PMI un service autonomisé au sein des départements et doté de ses missions propres. Aujourd’hui, la PMI peut par exemple être sollicitée directement par l’agence régionale de santé [ARS]. Face à des services de protection de l’enfance répondant, eux, à la direction politique des élus, on a introduit un bicéphalisme générateur de tensions », reconnaît Jean-Pierre Hardy.
Quelles seraient les voies de sortie de crise ? « Aujourd’hui, la gouvernance de la santé sur les territoires dépend de l’ARS. Faudrait-il une gouvernance plus forte des ARS sur la PMI ? Peu de gens le souhaitent. Faudrait-il, comme le gouvernement semble y être favorable, une nouvelle loi de santé publique, plus marquée du côté de l’enfant ? C’est ce que nous attendons », brosse Elisa Guises.
Mobilisées le 30 janvier dernier dans le cadre d’une journée nationale d’action (3), qui s’est traduite par une série de manifestations et de grèves, les organisations membres du collectif « Assurer l’avenir de la PMI » ont réaffirmé « la nécessité de confier l’impulsion des politiques de santé familiale et infantile à une instance nationale », placée auprès du ministère de la Santé et travaillant en lien avec les conseils généraux, les ARS et les caisses d’assurance maladie. « Dans la mesure où les départements, tout en demeurant responsables de la PMI, n’ont pas toute l’infrastructure pour répondre à l’ensemble de la question, la déclinaison, au plan local, d’un service public de santé de l’enfant et de la famille, qui articulerait de façon collégiale l’action des différents partenaires institutionnels et professionnels, serait une avancée formidable », soutient Pierre Suesser.
L’idée pourrait faire son chemin. A l’issue de cette journée d’action, le cabinet de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, s’est dit favorable à l’ouverture d’un dialogue avec les professionnels. Deux axes ont d’ores et déjà été définis, indique le collectif. Une concertation sur les conditions d’exercice en PMI, à travers notamment la démographie des métiers et l’attractivité des carrières. Et une concertation sur la place même de la PMI dans la politique de santé, incluant les modalités de coordination entre ARS, conseils généraux, assurance-maladie et réseaux de santé, en même temps qu’un réexamen des missions des services.
« Pour la première fois depuis de longues années, se félicite Pierre Suesser, la protection maternelle et infantile revient dans le champ affirmé de préoccupation et d’intervention du ministère de la Santé, qui s’est de plus engagé à l’inscrire clairement dans la perspective de la stratégie nationale de santé en cours d’élaboration et de la future loi de santé publique. » Trois rencontres – dont la première doit se tenir le 21 mai – sont prévues avec la direction générale de la santé. L’avenir dira si ces concertations suffiront à débloquer une situation traversée par les clivages entre politiques de santé et politiques sociales.
→ Près de 11 000 agents travaillent dans les services départementaux de protection maternelle et infantile (PMI), dont plus de 5 000 puéricultrices et infirmières puéricultrices, 2 300 médecins et 950 sages-femmes, auxquels il convient d’ajouter les personnels paramédicaux (psychologues, psychomotriciens, orthophonistes), sociaux (conseillères conjugales et éducateurs de jeunes enfants) et administratifs.
→ Ses grandes missions sont définies à l’article L. 2112-2 du code la santé publique :
– la promotion de la santé maternelle, via des consultations prénatales et des actions de prévention médico-sociale assurées, notamment à domicile, par des médecins et des sages femmes ;
– la promotion de la santé des enfants de 0 à 6 ans, via les consultations infantiles, les bilans en écoles maternelles, les visites à domicile, les actions collectives d’éducation à la santé, l’agrément et le suivi des 300 000 assistantes maternelles et le contrôle des établissements d’accueil de jeunes enfants de 0 à 6 ans ;
– le suivi sanitaire des enfants de l’aide sociale à l’enfance en réponse à un signalement ou lors d’une mesure de placement, la prévention, le dépistage et l’accompagnement des enfants en danger ou en risque de l’être ;
– les activités de planification ou d’éducation familiale, avec notamment la délivrance de la contraception, la prévention et le traitement des infections sexuellement transmissibles et l’éducation à la sexualité.
→ Le coût annuel de la PMI, qui recouvre essentiellement des dépenses de personnel départemental, est estimé à 700 millions d’euros, soit 1,8 % des budgets des départements. La part des caisses d’assurance maladie dans le financement des actes de PMI se monte, quant à elle, à moins de 60 millions d’euros.
Tous les rapports sur la situation de la protection maternelle et infantile (PMI) convergent vers la nécessité pour les pouvoirs publics de légiférer. Pour l’inspection générale de affaires sociales (IGAS) (4), l’absence de respect des normes d’activité de la PMI, ainsi que le faible empressement des préfets à les faire appliquer, rendent obligatoire leur remplacement par quelques objectifs élaborés par la loi. « Ces objectifs seraient déclinés au niveau local dans le cadre d’un dialogue rénové entre l’Etat et l’assurance maladie d’un côté et les départements de l’autre ». Deux conditions sont nécessaires à l’installation de ce dialogue, estime l’IGAS. Premièrement, que l’Etat et l’assurance-maladie « réinvestissent fortement ce secteur stratégique » et que les conventions entre les départements et les caisses soient renégociées sur la base d’une convention cadre nationale. Deuxièmement, qu’un « Conseil national de la politique de l’enfance » puisse servir de support à l’élaboration de recommandations nationales.
La Cour des comptes, en 2012 (5), reprend cette logique en l’affinant. Constatant les piètres résultats de la France dans la lutte contre la mortalité infantile (passée du septième rang européen en 1999, au vingtième en 2009), elle estime primordial de remettre la PMI au premier plan. La Cour des comptes propose pour cela que l’activité des services soit guidée par la fixation d’objectifs définis en commun par les différentes parties prenantes (agences régionales de santé, collectivités locales, caisses d’assurance maladie, etc.). « Ces objectifs devraient être fixés en fonction des caractéristiques locales en matière de périnatalité et dans le cadre des orientations de santé publique fixées au plan national. Leur suivi devrait faire l’objet d’évaluations régulières, rendues publiques, afin de faciliter la prise de conscience collective des marges d’amélioration à mobiliser. »
(1)
(2) Rapport de Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy, L’aide à l’enfance demain – Contribution à une politique de réduction des inégalités – Ed. La Documentation française, 1980.
(3) Voir ASH n° 2846 du 7-02-14, p. 18.
(4) « Etude sur la protection maternelle et infantile en France » – IGAS, novembre 2006 – Voir ASH n° 2483 du 8-12-06, p. 5.
(5) Rapport public annuel 2012 – Février 2012.