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Le gouvernement dévoile son plan d’action contre la traite des êtres humains

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Au menu, trois priorités: mieux identifier et accompagner les victimes, sensibiliser le grand public et les populations à risque, et faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière. Des mesures de protection spécifiques aux mineurs sont également annoncées.

Selon l’Organisation internationale du travail, en 2012, il y avait près de 22 millions de victimes de la traite des êtres humains dans le monde. Un phénomène qui ne cesse de s’amplifier puisque, selon le ministère des Droits des femmes, les dernières statistiques de l’agence Eurostat montrent une hausse de 18 % des victimes en 2013 au sein de l’Union européenne (UE), 62 % d’entre elles ayant été victimes d’exploitation sexuelle (1). La France est, elle, à la fois un pays de destination des victimes mais aussi un « important pays de transit », indique en introduction le plan d’action national contre la traite des êtres humains, présenté en conseil des ministres le 14 mai par Najat Vallaud-Belkacem. Elaboré avec le concours des associations pour la période 2014-2016, ce plan « pose pour la première fois les fondements d’une véritable politique publique ». Il complète l’arsenal juridique et social prévu par la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (2) et la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France (3).

Tour d’horizon des principales mesures envisagées par le gouvernement, qui seront financées par un fonds dédié aux victimes de la traite des êtres humains et pour l’insertion des personnes prostituées, prévu par la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et qui sera constitué en loi de finances pour 2015 (4). La Commission nationale consultative des droits de l’Homme sera, elle, chargée d’en assurer le suivi et de les évaluer.

L’identification des victimes

La ministre des Droits des femmes veut améliorer l’identification des victimes – qu’elle juge actuellement « embryonnaire » – pour mieux les protéger. Pour ce faire, elle entend créer 50 postes de médiateurs culturels « pour faciliter les actions de prévention et de détection à l’égard des groupes à risque d’exploitation au sein des communautés ». Parmi les actions de prévention, trois priorités ont été identifiées :

→ dans les secteurs professionnels les plus exposés au risque d’exploitation (bâtiment, hôtellerie, agriculture…), les médiateurs seront mobilisés au sein d’associations spécialisées pour faciliter la transmission d’informations sur l’accès aux droits pour les personnes en situation de vulnérabilité (migrants irréguliers, mineurs…) ;

→ dans les secteurs d’activité liés à la prostitution et à l’exploitation sexuelle, les associations bénéficieront de moyens supplémentaires pour aller à la rencontre des victimes ;

→ en matière de servitude domestique, seront développées les activités des médiateurs culturels ainsi que les actions de prévention, d’information et d’orientation des victimes et des groupes à risque.

Dans le même objectif, le gouvernement souhaite développer la formation initiale et continue des professionnels luttant contre la traite et prenant en charge les victimes (médecins, travailleurs sociaux, magistrats, personnels enseignants, police…). Des outils pédagogiques portant notamment sur l’identification des victimes, leurs droits, les dispositifs de protection seront en outre réalisés avec les administrations, les organismes et les associations les plus impliquées. Toutes ces ressources seront ensuite accessibles via un site Internet dédié que le gouvernement entend créer.

Au-delà, il s’agit aussi d’informer et de sensibiliser le grand public, en particulier les publics à risque (collégiens et lycéens, militaires et fonctionnaires en poste à l’étranger, employeurs) pour « décourager la demande », estime Najat Vallaud-Belkacem.

La mise en sécurité des victimes

En vertu de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sauf si leur présence constitue une menace à l’ordre public, les victimes de la traite des êtres humains et de proxénétisme peuvent bénéficier d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » lorsqu’elles déposent plainte contre l’auteur de ces faits ou témoignent dans une procédure pénale concernant cet auteur poursuivi pour ces mêmes infractions. Toutefois, déplore la ministre des Droits des femmes, certaines victimes de la traite des êtres humains ne peuvent profiter de ces dispositions en raison de menaces de représailles sur leur personne ou leur famille. Aussi va-t-elle faire inscrire dans la loi la possibilité pour ces victimes de bénéficier d’un titre temporaire de séjour en dépit de leur non-coopération avec les autorités judiciaires et dont le renouvellement perdurera jusqu’au terme de leur parcours d’insertion. Et, pour faciliter les démarches de régularisation sur le territoire des victimes de la traite, le plan prévoit qu’elles pourront se faire domicilier auprès d’une association agréée ou de toute autre personne désignée par elles (par exemple, un avocat).

Il convient aussi d’organiser la mise à l’abri des victimes en prévoyant des places d’hébergement dédiées et adaptées. Un recensement des besoins sera donc effectué au moyen des diagnostics territoriaux dits à « 360 degrés » (5). Dans le cadre des futurs plans départementaux d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (6), les préfets devront aussi « développer une approche intégrée de l’accompagnement social des victimes, depuis la mise à l’abri jusqu’au retour dans le logement durable », indique le plan. Pour faciliter cette démarche, un « référent traite » devra être identifié dans les centres d’hébergement et les services intégrés d’accueil et d’orientation.

S’agissant des victimes de la traite à des fins de prostitution, Najat Vallaud-Belkacem rappelle qu’elles pourront prétendre au parcours de sortie de la prostitution tel qu’il est prévu dans la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Quant aux autres victimes de la traite, en particulier les victimes de servitude domestique, elles pourront bénéficier d’un système de protection et d’assistance renforcé, assuré et coordonné par l’Etat et destiné à assurer, avec l’appui des associations, un parcours d’insertion sociale et professionnelle. Pourront leur être offerts une aide financière à l’insertion sociale et professionnelle et un soutien médico-psychologique adapté.

Un accompagnement spécialisé pour les mineurs

La France est « particulièrement touchée » par la traite des mineurs, affirme la ministre des Droits des femmes, qui souhaite leur assurer une « protection inconditionnelle » dans le cadre de la protection de l’enfance. Elle demande donc notamment aux préfets et aux procureurs de la République de créer des groupes spécialisés sur la traite des mineurs au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. Ils seront chargés à la fois de mettre en œuvre des actions pour protéger les mineurs et poursuivre les auteurs. La ministre proposera aussi à l’Assemblée des départements de France de conclure une convention en vue de clarifier les compétences des services de l’aide sociale à l’enfance dans le suivi des mineurs victimes. Ceux-ci seront d’ailleurs sensibilisés à la spécificité des situations vécues par ces jeunes et, dans ce cadre, une réflexion sera menée sur l’adaptation des modalités d’accueil.

Les mineurs victimes devront aussi bénéficier d’un accueil et d’un hébergement adaptés, indique Najat Vallaud-Belkacem, hébergement qui devra permettre leur « éloignement géographique aux fins de les soustraire aux personnes qui les exploitent ». A cet effet, indique-t-elle, « un centre d’hébergement offrant des places sécurisantes et sécurisées, basé sur [cet] éloignement et la volonté du mineur, sera expérimenté en lien avec les associations spécialisées. La scolarisation des mineurs sera une des priorités » (7).

Signalons enfin que la ministre entend proposer aux autres Etats membres de l’UE de créer une plate-forme européenne de lutte pour la protection de ­l’enfance qui abordera la question de la traite. Objectifs, selon elle : « mutualiser les bonnes pratiques et permettre à chacun de connaître les mesures d’assistance aux mineurs qui ont été ordonnées dans d’autres pays pour une meilleure mise en cohérence du suivi socio-éducatif ».

Notes

(1) La grande majorité des victimes (80 %) étaient des femmes et des filles mineures, essentiellement en provenance des pays d’Europe de l’Est, d’Afrique subsaharienne, du Brésil, du Maghreb et de Chine.

(2) Après avoir été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 décembre dernier, le texte doit prochainement être débattu au Sénat – Voir ASH n° 2837 du 13-12-13, p. 5.

(3) Cette loi donne une définition élargie de la traite des êtres humains et rétablit le crime de réduction en esclavage, notamment – Voir ASH n° 2822 du 30-08-13, p. 38.

(4) Ce fonds sera alimenté par des crédits de l’Etat, des recettes provenant de la confiscation des biens et produits issus du proxénétisme et d’un prélèvement sur le produit des amendes forfaitaires prévues pour le recours à la prostitution.

(5) Voir en dernier lieu ASH n° 2859 du 9-05-14, p. 10.

(6) Rappelons que ces plans résulteront de la fusion des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées et des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion – Voir ce numéro, p. 49.

(7) Il appartiendra au délégué interministériel à l’hébergement et l’accès au logement de définir le cahier des charges de ce nouveau dispositif.

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