« A qui appartient la gouvernance associative ? La question se pose avec autant d’acuité que les données ont été durablement modifiées par les nouvelles dispositions contenues dans la loi “hôpital, patients, santé et territoires” (HPST) relative à l’appel d’offres.
Jusqu’à l’entrée en vigueur de ladite loi, les structures associatives ne demeuraient pas totalement libres de leur développement, mais conservaient une vie propre qui se traduisait souvent par une capacité à se projeter, à anticiper, à faire évoluer leur offre de service afin de tenter de répondre à des besoins non couverts tout en affirmant leur singularité. Les comités régionaux de l’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS) étaient saisis, avec leur lourdeur administrative et leur inertie, pour émettre un avis qui se révélait plus ou moins pertinent en fonction des débats et de la voix des personnes qualifiées qui pouvaient parfois être juges et parties…
Ce dispositif, aussi imparfait et critiquable fût-il, conservait un avantage indéniable : celui d’encourager le projet, c’est-à-dire de préserver l’essentiel, la substance du fait associatif qui n’est autre que la volonté de se grouper pour développer un but, un objet de manière philanthropique. Ce fait associatif demeure une particularité historique de notre pays et est l’apanage des grandes démocraties. Il est largement mis en avant, exposé comme un témoignage de notre liberté et de notre capacité de création désintéressée au bénéfice du vivre ensemble. Il n’est de jour sans que soit évoqué dans la presse dite “grande” le “militantisme” associatif bien que personne ne se soit risqué à en décrire le contenu. La belle loi de 1901 sur la liberté d’association, qui précédait de peu celle de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat – en lui ayant largement ouvert la voie – et qui suivit celles sur la liberté de la presse, la création des syndicats ou des sociétés mutuelles, fut très tôt mobilisée pour se superposer et remplacer, puis finalement évincer, les charités confessionnelles en servant de socle à ce qui n’était pas encore l’action sociale.
Cette loi, qui n’avait pas vocation à jouer un rôle probant au sein de l’économie nationale, cette petite loi, qui favorisait les “sociétés” sportives, de musique ou de pêche, a créé le premier secteur d’emploi au plan national puisqu’on dénombre actuellement entre 800 000 et 1 000 000 équivalents temps plein directement attachés au monde associatif.
L’engouement a été croissant après la guerre et a permis l’émergence d’un secteur non marchand qui devient, peu à peu, le très mal défini secteur “parapublic”.
De désintéressée, cette disposition, faute de mieux, a réuni sous sa bannière toute une kyrielle d’activités “inclassables”, entre l’entreprise et le secteur public. Elle s’est développée en tant que modèle économique non pensé et sert de support unique aux multiples objets. Elle est parfois utilisée pour “tester un marché”, avant de déposer un statut plus commercial, elle peut également être adossée à des structures à vocation clairement identifiée du côté du secteur marchand en mettant en avant un altruisme de bon aloi qui n’est autre qu’un prétexte à la vente de produits dérivés.
C’est parfois l’inverse qui se produit quand certaines formes associatives particulières que sont les fondations reprennent le nom de grands groupes pour en porter l’image à travers des encouragements financiers parcimonieusement distribués à grand bruit. A côté de ces aspects quelque peu dévoyés de l’esprit “associatif”, perdurait un secteur dit “social” largement structuré sur le modèle de 1901. Ce secteur irrigué par des fonds publics, souvent départementaux, conservait un degré d’initiative appréciable. Il servait de marqueur social en fonctionnant dans un double flux : une activité descendante par rapport à la mission explicitée et consacrée par la dotation publique y afférent, et une activité ascendante de remontée d’informations destinée à ajuster tel dispositif ou à en améliorer le ciblage. Cette double fonction, assez peu formalisée, entretenait une forme de souplesse et favorisait, dans la plupart des cas, un dialogue entre financeurs et dirigeants, en permettant souvent de faire l’économie de démarches évaluatives formalisées. L’association, à l’interface entre l’institutionnel et la population, relayait dans les deux sens les discours des uns aux autres en les rendant audibles.
Actuellement, cette fonction a été balayée d’un trait de plume dont les conséquences ont été très largement sous-estimées : la loi HPST ne permet absolument plus la remontée de terrain et, si elle consacre les expertises centralisées à l’échelle d’un département ou d’une région selon que l’on se situe dans le champ du social ou du médical, elle reste d’une grande lourdeur dont l’inertie entretenue favorise surtout, de manière plus ou moins explicite, l’économie d’argent public. A ce sujet, par exemple, dans le cadre du plan Alzheimer (1), une agence régionale de santé (ARS), au deuxième semestre 2013, a pu répondre à une structure qui l’avait interpellée, qu’elle n’avait pas encore achevé, sur les départements de son ressort, le recensement des places en accueil de jour…
On assiste ainsi non seulement à une reconcentration de l’expertise qui transite de l’acteur de proximité vers l’administration compétente, mais également à une maîtrise absolue des coûts dans la mesure où les appels d’offres ne sont quasiment pas publiés, ou le sont avec des délais tels qu’ils sont déconnectés des besoins identifiés parfois des années auparavant.
Ces nouvelles pratiques ont simplement un peu plus étouffé le dynamisme associatif déjà largement entamé par les divers contrôles imposés par les financeurs institutionnels. Il ne reste plus dans le domaine social, pas plus que dans le domaine du soin, le moindre espace pour permettre aux associations d’oser être créatives.
A ce jour, peu de voix se sont élevées face à ce constat dont les enjeux remettent pourtant durablement en question les précédents équilibres en consacrant un peu plus la tutelle du public sur le privé non lucratif. La conséquence risque d’être, à très court terme, de renforcer la “crise de recrutement de bénévoles” dès lors que chacun percevra l’absence totale de pouvoir de décision des administrateurs sur l’activité associative.
Il convient, de manière très urgente, de se saisir de ce problème, faute de quoi le domaine de l’aide sociale perdra durablement ce qui fonde sa capacité de réactivité historiquement assise sur la richesse, la qualité et la pluralité des bonnes volontés, qui ont, jusqu’à une date récente, largement infléchi son destin.
Les rigidités procédurales, mal français s’il en est, devraient pouvoir être dépassées et un rééquilibrage des décisions ne pourra que voir le jour. Sans quoi, il ne restera plus aux conseils d’administration qu’à statuer sur la date de l’assemblée générale et sur la composition du repas qui lui succèdera. Les administrateurs, personnes engagées, constituent une richesse par la pluridisciplinarité de leurs horizons socio-professionnels ; leurs propositions ne peuvent plus être constamment bloquées tant sont étroites les marges de manœuvre. Il faut tout faire pour ne pas laisser se développer une “association prétexte”, qui ne porte que juridiquement une activité ayant une vie déconnectée de l’engagement des professionnels qui remplissent la mission d’aide sociale.
Actuellement, et de plus en plus, les conseils d’administration apparaissent en décalage avec les directives tutélaires tant s’est considérablement complexifié l’environnement juridico-réglementaire du secteur. Le risque est d’isoler les directions qui ne peuvent déjà plus, dans certains cas, s’appuyer sur leurs élus pour définir des stratégies. A terme, une forme d’oligarchie bicéphale financeur/direction se renforcera dans une proximité de fait d’où seront exclus les décideurs juridiques. Ce paradoxe conduira à faire endosser la responsabilité sociale, organisationnelle à des administrateurs qui détiennent de moins en moins les clefs pour accomplir leurs tâches. Le système associatif, l’“économie solidaire”, apparaît donc en péril, eu égard au mouvement centripète qui prive de plus en plus le bénévole de son action de pilotage, si ce n’est qu’on ne manquera pas de lui rappeler les conséquences de ses choix en cas de problème.
La procédure par appel d’offres porte en elle un autre écueil, qui est, à travers la volonté de rationalisation de l’offre de service, de favoriser les très grandes structures qui disposent seules de la logistique exigée par les cahiers des charges. C’est cette “mise en concurrence” qui signe la fin de l’ancrage territorial des petites ou moyennes associations dont la reconnaissance, consacrée par le temps, rimait souvent avec la confiance qu’on leur accordait à l’échelon communal ou cantonal.
Comme on le voit, le ciel s’est considérablement assombri sur le paysage associatif de notre pays. Ce qui était mis en avant en tant que “substance démocratique” se trouve nié. Il faut rapidement faire preuve d’audace et saisir le législateur sur cet aspect non anticipé de la loi de 2009. »
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(1) Après la remise du rapport d’évaluation du troisième plan « Alzheimer » 2008-2012, un nouveau plan 2014-2018 est en préparation – Voir ASH n° 2826 du 27-09-13, p. 8.