J’évite d’employer le terme de « crise » car, dans le domaine du logement, elle est récurrente. Néanmoins, on observe depuis une quinzaine d’années une dégradation dans l’adéquation entre l’offre immobilière et les capacités financières des gens. Ce n’est donc pas qu’un problème de pénurie, même s’il est clair que le système fonctionne mal. L’an prochain, on ne produira que 250 000 logements neufs, ce qui est très loin du compte.
On dit qu’il manque 500 000 logements, peut-être un million, mais cela n’a pas de sens en soi. Il y a cinq ans, les Espagnols construisaient 700 000 logements par an, soit plus que l’Allemagne, la France et l’Angleterre réunies. C’est pourtant une catastrophe, car ces logements n’étaient pas situés aux bons endroits et ne correspondaient pas à la demande. Par ailleurs, la difficulté de se loger n’est pas la même selon les régions. Il y a, bien sûr, le lourd problème posé par la région Ile-de-France. La Côte d’Azur, pour sa part, dispose d’une offre fixe face à une demande potentiellement infinie, tirée par les acquéreurs étrangers. Mais dans les régions où les prix sont moins élevés, les gens peuvent aussi avoir du mal à se loger en raison de la progression du chômage et donc du manque de revenus. Enfin, dans les grandes villes, les jeunes sont terriblement handicapés car, même lorsqu’ils travaillent, ils ne disposent pas de revenus en rapport avec les prix de l’immobilier.
Nous avons toutes les peines du monde à obtenir des chiffres au plan national, mais les études partielles montrent que la part du foncier dans le coût de production de logements neufs est beaucoup plus élevée en France qu’ailleurs. C’est d’autant plus étonnant que la France est beaucoup moins urbanisée que, par exemple, les pays du Nord et constitue une grande réserve foncière. Cela s’explique par une étonnante absence de politique foncière. Actuellement, si vous êtes propriétaire d’un terrain constructible, tout pousse à ne pas y toucher. Rien n’est fait pour inciter les propriétaires à mettre en valeur ces terrains classés fiscalement comme des friches sur la base d’une instruction datant de 1908. Personne n’ose s’y attaquer, car cela impliquerait de changer les méthodes d’évaluation de la valeur foncière. Pourtant, il faut en finir et être bien plus interventionniste. Le PLU [plan local d’urbanisme] doit devenir une machine à produire des terrains à bâtir. C’est ce que les Anglais appellent le positive planning. On conçoit un plan et on le met en œuvre avec l’outillage réglementaire et fiscal nécessaire. Si l’on acceptait de changer les choses, la réserve foncière française serait largement suffisante. En dehors de Paris intra-muros, de quelques communes de proche banlieue et de certaines zones touristiques, on dispose d’au moins trente ans de terrains à bâtir.
En la matière, l’expression « remettre à plat » s’impose. Il faut en finir avec la défiscalisation du logement locatif telle qu’elle fonctionne actuellement. Elle est trop régressive en termes de redistribution et produit des logements aux mauvais endroits. Cela revient à prendre l’argent des pauvres pour le donner aux riches. Concernant les aides au logement, nul n’ignore qu’elles contribuent à la hausse des loyers en allant dans la poche des propriétaires. Là aussi, il faut davantage d’interventionnisme, mais à un niveau adéquat entre l’Etat et la commune. Le monde HLM a lui aussi besoin de revoir son fonctionnement, car il est devenu cher. Et dans beaucoup de grandes villes, il faut attendre des années pour obtenir un logement social. Pour des dizaines de milliers de personnes, la solution la moins onéreuse est aujourd’hui d’acheter un terrain éloigné des centres-ville, des transports en commun et des écoles.
Il est temps d’en finir avec le mythe de la propriété. En Europe, les pays matures en matière de logement comptent environ 40 % de propriétaires et 60?% de locataires. L’illusion du « tous propriétaires » est d’ailleurs en perte de vitesse, notamment parce que les prix de l’immobilier risquent de stagner durablement. Le mythe du « ça ne peut que prendre de la valeur » a donc un coup dans l’aile. Il est désormais parfois plus rentable d’être locataire que propriétaire. En outre, les jeunes voient que leurs parents se sont saignés aux quatre veines pour rembourser pendant parfois plus de trente ans un crédit immobilier. Cela ne leur donne pas envie. Face aux accidents de la vie – chômage, divorce, etc. –, il faut un système plus flexible.
Certes, il existe un volant de logements vacants. Cécile Duflot, comme d’autres ministres avant elle, avait annoncé son intention d’encourager leur réquisition. Mais il serait illusoire de fonder une politique de l’offre là-dessus. Il me paraît plus réaliste de mobiliser les terrains vacants en appliquant les documents d’urbanisme et en modifiant la fiscalité. Mais il faut pour cela retirer aux maires la capacité de modifier le PLU, d’user du droit de préemption et de signer les permis de construire. On ne peut pas leur demander d’être tous compétents dans ce domaine complexe. Le bon échelon serait plutôt celui des agglomérations ou des métropoles, à condition de recréer la compétence qui était celle des directions départementales de l’équipement et d’y adjoindre l’intelligence urbaine et architecturale.
Les assureurs disposent d’une capacité d’investissement d’environ 1 400 milliards d’euros, liés à l’assurance vie. Tout le monde rêve de les voir mettre cet argent au service du logement locatif. Mais depuis vingt ans, ils se sont plutôt désengagés, au profit notamment de l’immobilier de bureau et des centres commerciaux. Historiquement, le logement n’est pas rentable. Il rapporte moins de 2 % par an. Actuellement, la grande majorité des logements en location appartiennent à des petits propriétaires qui ont mis de côté pour leur retraite. Mais là aussi, c’est en voie de diminution. Au bout du compte, pour financer la construction, je ne suis pas opposé à la défiscalisation, à condition de demander une contrepartie, y compris sociale. Quant aux investisseurs institutionnels, ils ne reviendront que si on leur accorde des avantages réels. Ou bien il faut sortir du système marchand…
L’idée d’augmenter le coefficient d’occupation des sols en rajoutant des étages aux immeubles existants ne fonctionne pas. A Paris, dans le tissu haussmannien, c’est tout à fait impossible. Ailleurs, les maires ne veulent pas densifier, les propriétaires non plus, et ce n’est pas rentable pour les promoteurs. En outre, passé cinq ou six étages, le coût est plus élevé en équipements collectifs, en sécurité et en maintenance. Là aussi, nous pourrions prendre exemple sur les pays scandinaves, qui font des bâtiments de deux ou trois étages et parviennent à des densités moyennes plus fortes que dans nos grands ensembles. Les HLM savent réaliser ce type de programmes. Malheureusement, ils restent chers et il n’y en a pas assez.
Le maire pèse d’un poids bien trop lourd. En Angleterre, c’est l’urbaniste en chef de la grande agglomération, nommé à la fois par l’Etat et par le niveau local, qui dirige. Et quelqu’un qui se risquerait à un permis de construire douteux se mettrait lui-même hors jeu. Nous ne disposons pas d’un tel système. Autrefois, le corps des Ponts et Chaussées s’en chargeait, mais ce n’est plus le cas. A l’image de ce qui s’est fait à Lyon ou à Nantes, il faut créer au niveau des agglomérations une structure mixte locale et Etat regroupant des urbanistes, des juristes, des financiers et des représentants des institutions locales. Il faut enfin que le PLU centralise toute la planification, comme aux Pays-Bas, où ce document fait l’objet d’une véritable consultation populaire.
Propos recueillis par Jérôme Vachon
Ancien directeur de recherche au CNRS, l’économiste Vincent Renard est spécialiste des questions d’économie foncière et immobilière. Le 10 avril dernier, il a participé à la conférence parlementaire « Politique du logement. Quel engagement pour créer un choc d’offre ? ».