« J’essaierai d’être le ministre du goût du travail et non du dégoût. » C’est le mot d’ordre de Marc Evarist, qui vient d’être nommé ministre du Travail dans le gouvernement fictif imaginé par le philosophe Christophe Schaeffer. Un gouvernement uniquement composé de citoyens handicapés. Avant d’obtenir ce maroquin imaginaire, Marc Evarist était formateur en informatique, reconnu travailleur handicapé en raison de troubles psychiques. Il lui a été demandé, comme à dix autres « ministres », de formuler ses intentions à l’adresse de tous les Français. Ces programmes sont réunis dans Le gouvernement des différences. Pourquoi, finalement, serait-il si inconvenant d’avoir un ministre aveugle ou infirme moteur cérébral ?
C’est ce que s’est demandé Christophe?Schaeffer, selon qui la « force de caractère » des personnes handicapées permet de faire « jaillir une vision libre et sensible ». Si bien qu’il a nommé au ministère du Logement Jacques Zeitoun, secrétaire du conseil d’administration de l’Association des paralysés de France et paraplégique. Dans son plan d’action, celui-ci parle d’encadrement des loyers, d’interdiction pour les communes de s’exempter de la loi SRU ou encore de la création d’une agence recensant les logements vacants. Bien sûr, il n’oublie pas l’accessibilité.
Quant à Jérôme Goust, chargé d’enseignement au CNAM et malentendant, nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, il s’attachera à lutter contre le dopage et à plafonner les salaires des joueurs d’élite tout en renforçant le secteur associatif. Le ministre de l’Europe, Ryadh Sallem, handicapé de naissance (sans jambe et aux mains atrophiées), est sportif de haut niveau. Il envisage de créer un réseau d’énergie européen et fera en sorte de privilégier l’agriculture naturelle, sans oublier d’investir dans la recherche pour développer les énergies du vivant. On dit souvent que la justice est aveugle ? Le gouvernement compte un non-voyant, l’animateur radio Benjamin Mauro, au ministère de la Justice et des Libertés. Lequel assure qu’il « fera en sorte de lui ouvrir les yeux et de lui donner les moyens d’avoir une vision plus juste, moins parcellaire » ! Au-delà de l’utopie, il est clair que ces 11 personnes handicapées ont des choses à dire en ce qui concerne l’environnement, l’Europe, les prisons, la famille, le sport, etc. Leurs « programmes » parlent de responsabilités, d’engagement, d’intérêt général, de prise de conscience dans un monde de compétition, de maîtrise de la vitesse et d’hyperindividualisme.
Ils font surtout preuve de bon sens et montrent que le handicap n’empêche aucunement d’occuper de hautes responsabilités. Mais, comme le précise Jean-Christophe Parisot, premier préfet tétraplégique, qui signe la préface de cet ouvrage, le handicap n’est pas non plus « une assurance contre l’incompétence ou l’absence de probité. C’est néanmoins une interpellation sur l’homme dans son être, le civisme redécouvert, une autre sensibilité au “vivre ensemble” ».
Car au-delà de la dimension professionnelle, c’est souvent la dimension humaine qui l’emporte sur tout le reste, la manière de se tenir à l’écoute, de porter un regard sur les situations. De ce point de vue, on perçoit dans ces textes comme le handicap peut être riche de potentialités et d’ouvertures.
Le gouvernement des différences. Des citoyens handicapés à l’Elysée… Utopie politique ?
Christophe Schaeffer – Ed. Les Points sur les i – 14 €