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A quoi vont servir les diagnostics territoriaux « à 360 ° »

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Ces documents visant à mettre en adéquation l’offre et les besoins en matière d’hébergement et d’accès au logement sont en cours de finalisation dans les territoires pilotes. Mais des doutes planent sur leurs effets concrets à court terme.

Au moment où ferment des places d’hébergement ou­vertes temporairement pour l’hiver, dans un contexte de tension accrue du dispositif d’urgence et d’insertion, où en est la stratégie nationale visant à adapter l’offre d’hébergement et d’accès au logement aux besoins dans les territoires ? Demandés par les associations, annoncés dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, les diagnostics territoriaux de l’hébergement et de l’accès au logement – dits « à 360 ° » parce qu’ils doivent, par la concertation, décloison­ner l’observation et les réponses – sont en cours de finalisation dans les ter­ritoires pilotes. Quatre départements (le Doubs, la Loire, l’Oise et la Somme) se sont lancés dans la démarche dans le courant de l’année dernière pour construire la méthodologie, suivis d’une dizaine d’autres qui ont intégré une deuxième phase de test. Après quelques tâtonnements, le processus, copiloté par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) avec l’appui du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, devrait être achevé, au mieux, d’ici à la fin de l’année, soit avec quelques mois de retard.

Croiser les données

Identification des besoins (de la sortie de la rue au logement autonome, en ­passant par le logement accompagné), mesure de l’offre, analyse des parcours des publics, de leurs besoins d’accom­pagnement sanitaire, médico-social et social, prise en compte des manques et des ajustements nécessaires dans les dispositifs… L’idée est de croiser, à partir d’indicateurs homogènes, toutes les données pouvant être fournies par l’Etat, les collectivités locales, les associations, les bailleurs… « Les SIAO [services intégrés de l’accueil et de l’orientation] sont, ou devraient être, parce que leur système d’observation n’est pas encore partout optimal, l’une des sources principales, explique Marie-Françoise Lavieville, adjointe au délégué interministériel à l’hébergement et l’accès au logement. Les conseils généraux fournissent également des renseignements en matière d’accompagnement. Mais les analyses ne sont pas seulement statistiques, elles sont aussi qualitatives dans le cadre de groupes de travail thématiques. » L’enjeu est donc de combler les lacunes de l’information à l’échelle des territoires, avec la perspective de nourrir ce travail dans la durée, précise l’adjointe d’Alain Régnier.

Problème néanmoins, la « co-construction » affichée est très disparate selon les territoires et les acteurs de terrain ont souvent le sentiment de manquer de visibilité sur les travaux. « Pour réussir, la démarche doit être un exercice partagé, qui ne se limite pas à demander une note de contribution aux associations. Or la concertation n’a pas été partout suffisante », estime Laura Charrier, chargée de mission « veille sociale et hébergement » à la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), membre du comité de pilotage national. Dans la région des Pays-de-la-Loire, la consultation a été inégale entre les cinq départements concernés, témoigne Céline Caillet, conseillère technique à l’Uriopss (Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), qui regrette, plus globalement, des difficultés à associer le conseil consultatif régional des personnes accompagnées et accueillies. « Les différences reflètent les habitudes de travail implantées dans les territoires, commente-t-elle. Dans certains départements, des acteurs qui ont peu l’habitude de se rencontrer, comme l’aide sociale à l’enfance et les services pénitentiaires d’insertion et de probation, ont été mis autour de la table. La démarche a impulsé une dynamique, même si des interrogations subsistent sur ce qui va en ressortir… »

Quelles incidences sur la programmation ?

La question taraude en effet les partenaires de la démarche. Les diagnostics territoriaux, qui seront agrégés et ana­lysés au plan régional puis national, devraient, à terme, avoir une incidence sur les allocations de moyens, même si ce n’est clairement pas leur objectif premier. Aucune incidence de ce type n’est en tout cas prévue en 2015, « d’autant plus que la généralisation des diagnostics va s’étaler, en fonction des dynamiques propres à chaque territoire, entre le troisième ­trimestre 2014 et le premier trimestre 2015 », précise Marie-Françoise Lavieville. Plus directement, les documents ont vocation à nourrir les plans départementaux pour l’accès au logement et à l’hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD), qui, selon la loi « ALUR », doivent fusionner les PDAHI (plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion), pilotés par l’Etat, et les PDALPD (plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées), copilotés par l’Etat et le département. Les diagnostics doivent donc constituer des outils de pilotage pour ces futurs plans, « la fusion des PDAHI et PDALPD devant intervenir à la première échéance de l’un d’entre eux », ajoute Marie-Françoise Lavieville.

Sur le terrain, les échéances sont ­néanmoins loin d’être évidentes. Dans la Haute-Garonne, le diagnostic territorial, auquel les associations ont été pleinement associées – plusieurs instances et groupes de travail ont été installés – devrait être bouclé le 15 mai. « Mais nous n’avons encore aucune réponse claire sur le lien établi avec le plan dé­partemental », regrette Claire Migot, conseillère technique à l’Uriopss Midi-Pyrénées. Et pour cause : le PDALPD a été signé en 2013 pour une période qui court jusqu’en 2017. Le diagnostic a permis de confirmer les manques en termes de places d’urgence (200 places d’hébergement ont été créées dans le cadre du plan territorial de sortie de ­l’hiver de 2013 mais les places temporaires ouvertes en 2014 n’ont pas été pérennisées), en structures d’insertion pour fluidifier le dispositif, et les besoins de prise en charge en santé mentale. « Au-delà des recommandations for­mulées dans le diagnostic, nous avons d’ores et déjà décidé de travailler sur des axes prioritaires, comme l’identification de lieux et d’outils de coordination de travail sur des situations individuelles et l’amélioration de la lisibilité et de ­l’articulation de l’offre d’accompagnement social », souligne Bertrand Le Roy, directeur départemental de la cohésion sociale. Pour le reste, « nous n’avons pas encore d’instructions du ministère en termes d’actualisation et de fusion de nos documents de programmation », complète Stéphanie Maciotta, responsable du service « insertion et développement social » à la DDCS. En d’autres termes, le calendrier reste encore flou pour les prévisions chiffrées…

Le Doubs a rencontré une situation inverse : dans le territoire, le plan départemental avait déjà été renouvelé en intégrant le volet hébergement. « Le fait d’avoir déjà élaboré les instruments depilotage a provoqué des interrogations de la part des associations et des collectivités territoriales sur l’utilité du diagnostic, alors que celui-ci est un document vivant, destiné à évoluer en continu », rapporte Marie-Dominique Thiébaut-Rousson, ancienne respon­sable du pôle « cohésion sociale » de la DDCS du Doubs, aujourd’hui adjointe du directeur départemental de la cohésion sociale de la Somme. Pour la DIHAL en effet, les diagnostics doivent servir, dans la durée, « de cadrage à la réflexion collective ».

Respecter le plan « pauvreté »

Parmi les premiers territoires expérimentateurs, la Somme fait office d’exemple par l’ampleur de la concertation engagée après son séminaire régional de lancement, en septembre dernier. Tous les acteurs se sont mobilisés, même si le directeur départemental de la cohésion sociale a dû insister pour obtenir la participation de l’agence régionale de santé. Les partenariats déjà engagés, la montée en charge du SIAO, la dynamique impulsée par les rencontres régionales sur la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté ont constitué un terrain favorable. Surtout, la dé­marche a idéalement coïncidé avec la période de renouvellement du PDALPD. C’est donc le prochain plan – soit le PDALHPD conformément à la loi « ALUR » – qui com­portera, d’ici à début 2015, les recommandations issues du diagnostic en cours de finalisation. « Lorsque la démarche sera généralisée, elle devrait permettre de territorialiser davantage les réponses et d’objectiver les allocations de moyens », espère Christine Jaafari, responsable du pôle cohésion sociale à la DRJSCS (direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale) de Picardie. Des réorien­tations qui devraient, en toute logique, être cohérentes avec les objectifs du plan « pauvreté ». Selon les instructions du 8 janvier dernier aux directions départementales interministérielles, le plan quinquennal « vise une approche équilibrée entre l’obligation d’assurer les mises à l’abri d’urgence et une réponse privilégiant l’accueil des personnes sans abri dans des structures ­permettant leur insertion et un accès au logement chaque fois que possible, le plus rapidement possible. On est bien dans une logique de “logement d’abord” ! », relève Didier Belet, directeur départemental de la cohésion sociale.

« La méthode est bonne, mais… »

Cette approche permettra-t-elle enfin de refonder tout le dispositif, comme promis depuis 2009 ? « La méthode est bonne, mais trop d’inconnues subsistent pour une vraie refonte », craint ­Philippe Gilbert-d’Halluin, délégué régional de la FNARS Picardie, soulignant que les besoins sont aussi qualitatifs, en particulier pour adapter l’offre de logements à la taille des foyers demandeurs. Pour lui, toutes les incidences financières des décisions à prendre ne sont pas encore évaluées. « Si des places en centres d’hébergement sont libérées par des personnes qui ont des ressources pour accéder au logement de droit commun, le quota des personnes sans ressources va augmenter dans les structures. Jusqu’où la DDCS peut-elle aller pour financer ce changement ? » L’interrogation est d’autant plus prégnante que, parallèlement, les services de l’Etat sont en train de généraliser l’analyse des structures au regard de groupes homogènes d’activités et de missions, en vue d’une convergence des coûts. Un changement de paradigme implique, en outre, une remise en question des pratiques. Les bailleurs vont-ils modifier leurs politiques d’attribution, dont les critères (de mixité sociale notamment) dépassent les seules politiques de lutte contre l’exclusion ? Comment, sur le terrain, les travailleurs sociaux du conseil général vont-ils coordonner leurs missions avec le travail du SIAO ?

Le diagnostic territorial constitue un « levier » pour l’évolution des pratiques, affirme Anne Blondelle, directrice de l’insertion et du logement au conseil général de la Somme : « En interne, la démarche a permis de conforter un travail déjà engagé, avec l’encadrement des équipes sociales, visant la clarification des dispositifs et de leurs bénéficiaires, notamment pour les ménages dont la situation budgétaire dégradée compromet le maintien dans le logement. A l’externe, elle a notamment permis de mettre en exergue la nécessaire articulation entre les problématiques sanitaires et sociales, notamment pour les personnes en souffrance psychique, pour l’accompagnement desquelles les professionnels de l’action sociale sont souvent démunis. » Autre apport de la démarche, ajoute-t-elle : « Concernant l’accompagnement des ménages en logement temporaire, nous avons, avec l’Etat, entrepris de remettre à plat nos inter­ventions respectives. »

L’enjeu est de dépasser les logiques d’urgence pour mettre en œuvre la dynamique « prévention, hébergement, logement » que les associations appellent de leurs vœux depuis le « chantier national prioritaire » lancé en 2009. « Le cadrage de la démarche va dans ce sens, mais la difficulté sera de maintenir le cap, souligne Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre. La situation est telle que le risque est de voir les territoires ayant besoin d’apporter des réponses d’urgence orienter les enveloppes vers des places d’hôtel plutôt que vers du logement accompagné. »

Au-delà de la question financière, reste celle des conditions de la généralisation des diagnostics à 360 °. Ne pas faire fructifier tout le travail engagé ou reporter son analyse aux calendes grecques consituerait un nouvel échec pour tous les acteurs investis dans la démarche.

Côté terrain

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