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Avant de replonger dans l’emploi

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A Montreuil, dans la Seine-Saint-Denis, le centre de rééducation professionnelle et sociale Jean-Pierre-Timbaud propose à des travailleurs handicapés, parfois très désocialisés, des formations longues pour une palette de métiers. Dès l’entrée, un service médico-psycho-social les aide à se reconstruire.

Jusqu’en 2011, Paul P. (1) travaillait dans la restauration. Ses problèmes de dos l’empêchent désormais de porter toute charge importante. Au centre de rééducation professionnelle (CRP) Jean-Pierre-Timbaud, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) (2), il suit une formation pour devenir employé administratif. Mathias F. était pâtissier. Il a dû cesser son activité en raison d’une allergie à la farine. Il apprend à présent le métier d’électricien de maintenance des systèmes automatisés. Tout comme Farid B., qui a souffert de problèmes psychiques – aujourd’hui stabilisés – qui l’empêchent de continuer à enseigner l’anglais. Quant à Pascal A., il a eu le nerf du bras droit sectionné alors qu’il travaillait dans un abattoir. Il revient d’un stage en entreprise et devrait prochainement obtenir son diplôme de gestionnaire de paie.

10 % DE L’OFFRE DE FORMATION FRANCILIENNE

Cela fait trente ans que le CRP montreuillois géré par l’association Ambroise-Croizat a ouvert ses portes. Trente ans qu’il permet à des personnes reconnues « travailleurs handicapés » d’entreprendre une reconversion compatible avec leur handicap. Réunis au sein de la Fédération des associations gestionnaires d’établissements de réadaptation pour handicapés (Fagerh), ces centres sont près d’une centaine en France à offrir une seconde chance professionnelle. Agréés et conventionnés par la sécurité sociale, les agences régionales de santé et les conseils régionaux, ils sont financés au prix de journée par les caisses primaires d’assurance maladie et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Ils proposent des formations longues pour une palette de métiers – d’infographiste à horticulteur, en passant par technicien de laboratoire ou monteur-vendeur en optique-lunetterie –, couplées à un accompagnement médical et social renforcé. Avec 283 stagiaires externes répartis dans 16 sections, le centre Jean-Pierre-Timbaud représente un peu plus de 10 % de l’offre de formation en Ile-de-France. « On compte 151 personnes dans le pôle tertiaire, 70 en formation industrielle et 62 pour le pôle projet, qui viennent chaque jour de la semaine suivre les apprentissages », détaille Jacqueline Garcia, directrice de l’établissement.

Avant d’être orientées vers le centre, ces personnes ont suivi un parcours sinueux. « Elles doivent d’abord faire valoir leur droit au reclassement professionnel dans les MDPH [maisons départementales des personnes handicapées].

Là, les commissions de droits et de l’autonomie des personnes handicapées se prononcent en fonction de leur dossier, explique Jacqueline Garcia. Celles-ci peuvent orienter le travailleur handicapé soit vers Cap Emploi, soit vers le milieu de travail protégé, soit vers une formation en vue d’un reclassement professionnel. Parmi ces formations, il y a celles du milieu ordinaire – AFPA, GRETA – et les autres – unités d’évaluation, de réentraînement, d’orientation sociale et socioprofessionnelle, pour les traumatisés crâniens, école de reconversion professionnelle ou, enfin, centre de rééducation professionnelle et sociale. »

Jean-Pierre-Timbaud propose des formations dont le contenu est identique à ce qui est proposé à l’AFPA et le même titre professionnel sanctionné par le ministère du Travail. La différence est que chaque session est rallongée de quelques mois pour que les stagiaires puissent bénéficier de soins et d’un accompagnement tout au long de leur apprentissage. Ainsi, pour obtenir un diplôme de gestionnaire de paie (niveau III) qui nécessite une formation de six à neuf mois dans le milieu ordinaire, le stagiaire du CRP a droit à douze mois de formation, durant lesquels il est rémunéré sur la base de son salaire antérieur (entre 650 et 1 900 €).

La journée type d’un stagiaire du CRP dépend de sa filière. Mais elle commence toujours par un arrêt à la cafétéria de ce grand bâtiment circulaire construit dans les années 1980. Celle-ci a la particularité d’être tenue par un établissement et service d’aide par le travail (ESAT). « En tant qu’établissement formant des travailleurs handicapés, nous nous devons de montrer l’exemple en ce qui concerne notre taux d’emploi de personnes handicapées. Il est bien supérieur aux 6 % de la masse salariale exigés par la loi du 10 juillet 1987 », pointe Jacqueline Garcia. Ensuite, direction les salles de cours. Lorsqu’on a perdu son travail en raison d’un handicap survenu à l’âge adulte, il n’est pas toujours évident de savoir dans quelle profession se reconvertir. « Au (x) handicap (s) s’ajoutent souvent des problèmes sociaux, si bien que beaucoup de stagiaires arrivent ici “en vrac”, persuadés de ne plus rien pouvoir faire. D’autres ont élaboré des projets, mais n’ont pas les capacités d’apprentissage ou une santé leur permettant de les embrasser », précise Cécile Jolivet, assistante sociale au CRP. Ces « indécis » sont orientés par les psychologues des MDPH vers la section « Accès 5 » du pôle projet, conçue comme un espace de remobilisation et de réactivation des savoirs de base, d’une durée de six mois. « Entre cette dame qui n’a pas travaillé depuis 1992 et celle qui a dû quitter son travail quelques mois auparavant mais doit suivre des dialyses à l’hôpital trois fois par semaine, les profils des stagiaires “Accès 5” sont variés », précise Mariem Zitouni, psychologue du travail, qui anime l’un des ateliers de cette section. « J’accompagne les stagiaires dans l’élaboration de leur projet professionnel. Cela peut aller de l’exploration des métiers à des exercices sur Word pour rédiger des lettres de motivation. Beaucoup d’entre eux n’ont pas eu la possibilité de faire des études et se découvrent des compétences. Le CRP leur ouvre des horizons. » Entré au centre il y a deux mois, le groupe qu’elle encadre, composé de 12 adultes, vient de terminer une séance de brainstorming collectif : chacun a aidé les autres à déterminer deux ou trois professions vers lesquelles ils pourraient se tourner en fonction de leurs centres d’intérêt, de leur personnalité, de leurs compétences transférables et du marché du travail. Sans cela, Emmanuel P., ancien mécanicien poids lourds, n’aurait sans doute pas porté son attention vers le métier de technicien de maintenance en matériel électronique.

Alors qu’il visionne une vidéo consacrée à ce métier sur un site Internet, une voix résonne dans l’interphone : c’est Laurence Didier, kinésithérapeute du CRP, qui l’appelle pour sa séance (un boîtier relié au standard de l’infirmerie est installé dans chaque salle de cours). Tous les rendez-vous paramédicaux sont programmés pendant les périodes de travail libre pour ne pas empiéter sur les cours. Les séances de kinésithérapie ne sont prodiguées que sur prescription médicale délivrée par l’un des trois médecins du centre : les massages par la rhumatologue, la relaxation par la psychiatre et les exercices de réentraînement à l’effort par le médecin généraliste. Ces séances sont particulièrement bénéfiques aux stagiaires. « Il y a souvent eu un temps assez long entre le licenciement pour inaptitude et l’arrivée en formation. Durant cette période d’inactivité, beaucoup de stagiaires ont pris du poids, se sentent ramollis, n’ont plus le moral, explique Laurence Didier. A ceux-là, je peux proposer des exercices sur le vélo elliptique, durant lesquels ils se rendent compte qu’ils ont encore des capacités physiques. »

RELANCER LES SOINS ET LES DROITS DES STAGIAIRES

Dans la salle de classe d’Alain Dubare, formateur EAA (employé administratif et d’accueil), les stagiaires sont occupés à terminer leurs travaux individuels. « Je leur ai distribué des exercices et donné un laps de temps pour les rendre, précise le formateur. A eux d’organiser leur temps de travail comme ils le feraient en entreprise. La différence étant que s’ils ont des soucis ou des interrogations, ils peuvent à tout moment me demander de l’aide. » Le groupe qu’il anime est arrivé il y a six mois. Un premier temps a été consacré à la « réactivation des neurones » et à la « resocialisation » : « Je leur ai donné des techniques pour apprendre à apprendre et des outils de mémorisation. Commencer par des exercices simples leur démontre qu’ils sont capables et leur permet de reprendre doucement confiance en eux. » Et les mois à venir seront consacrés à la technique, avec des simulations d’accueil téléphonique, l’apprentissage des logiciels, les techniques de recherche d’emploi, puis des périodes de stages.

Comme l’ensemble des formateurs de l’établissement – tous d’anciens professionnels du métier qu’ils enseignent –, Alain Dubare n’a pas connaissance des handicaps des stagiaires (3). Néanmoins, il sait qu’une bonne partie d’entre eux souffrent de problèmes rhumato-traumatologiques, qu’environ 10 % ont une maladie psychique stabilisée et que les autres sont atteints de maladies évolutives invalidantes (VIH, cancer, sclérose en plaques…) qui peuvent entraîner des douleurs ou de la fatigue. « Malgré leur pathologie, je reste très strict, notamment sur les horaires, car dans l’entreprise où ils seront embauchés plus tard, les retards ne seront pas acceptés. Reste qu’ici, s’ils sont fatigués pendant les cours, je les envoie se reposer à l’infirmerie. On a la chance d’avoir tous les outils sur place. »

« La salle de repos est occupée presque 100 % du temps, observe Nacer Benaïcha, l’un des deux infirmiers. Et tout au long de la journée, l’infirmerie voit passer beaucoup de monde, d’autant que l’on compte de nombreux stagiaires diabétiques qui viennent faire leurs injections ou lire leur glycémie sur place. Nous sommes aussi équipés pour réaliser des interventions d’urgence. » Les infirmiers prennent en charge les stagiaires dans leur globalité, dès leur entrée dans l’établissement. « Il faut savoir que, pour certains d’entre eux, la désocialisation est totale, y compris vis-à-vis de leur handicap. Ils ont renoncé à chercher un travail mais aussi à se sentir bien, et donc aux soins. Je pense à un monsieur greffé du foie qui n’était pas suivi et auprès de qui j’ai dû insister pour qu’il se soigne. Il y a aussi des personnes qui ont besoin de lunettes, mais qui ne s’en sont jamais occupé. Nous prenons rendez-vous chez l’ophtalmologiste, recherchons des opticiens pas trop chers, etc. »

Tout est mis en œuvre pour que les stagiaires du CRP puissent suivre au mieux leur apprentissage, sans avoir besoin de s’absenter longuement à l’extérieur pour une consultation avec un médecin, un rendez-vous avec un kinésithérapeute, un infirmier… ou une assistante sociale. Ainsi, Johanne Hochedez reçoit les nouveaux stagiaires dès leur entrée dans l’établissement – « pour vérifier les ouvertures de droits et leur expliquer mon rôle ».

Elle traite essentiellement des demandes liées au logement : « DALO, hébergement d’urgence… Mais il y a aussi des problématiques familiales, financières, administratives que je tente de résoudre, car des difficultés sociales trop importantes peuvent entraîner un arrêt de formation. » L’assistante sociale se rend également dans chacune des sections pour des informations collectives sur le dossier social, les arrêts de travail, les arrêts médicaux. Puis, un mois avant les examens, elle renseigne les stagiaires sur les aides à l’embauche des travailleurs handicapés et les aménagements de poste qu’ils pourront exiger une fois en emploi.

Ce soutien médico-psycho-social permet de maintenir un taux de présence de 85 %. « Le CRP est un sas, une sorte de cure dont ces travailleurs handicapés ont besoin avant de se replonger dans le grand bain de l’emploi, commente Mahjouba Bouallou, responsable du service médico-psycho-social, qui compte 17 professionnels. Certes, dans l’entreprise dans laquelle ils travailleront, ils n’auront pas un tel accompagnement, mais ils auront pu profiter du centre pour se reconstruire, remettre le pied à l’étrier, trouver la force et l’énergie pour faire face. »

Retour dans une salle de cours, cette fois auprès de Faouzi Ad, formateur EMSA (électricien de maintenance des systèmes automatisés). Il explique à quatre stagiaires le fonctionnement d’un malaxeur. « Je ne sais pas de quoi les élèves souffrent, mais je leur demande toujours avant de déplacer du matériel s’ils ont des problèmes de dos, auquel cas je le fais à leur place. La kinésithérapeute et l’ergonome animent également des séquences “gestes et postures” à cet effet. De toute façon, nous préparons ces adultes à des métiers qui respectent leur handicap. » Le pôle industriel est particulièrement bien équipé : le matériel technique pour les réseaux, les machines, les automates… placent les stagiaires dans les conditions réelles du travail en entreprise. Ainsi, à la fin de leur formation, ceux-ci sont opérationnels, d’autant qu’ils partent à deux reprises en stage de quatre semaines. Les formateurs préfèrent qu’ils recherchent leur stage par eux-mêmes, mais le centre a également signé des conventions de partenariat avec le ministère de la Défense, Thales, la MACIF, etc. Et les résultats sont là : le taux de réussite aux examens est de 77 % et celui de retour à l’emploi au bout de un an, de 60 %.

Des chiffres sur lesquels le formateur Alain Dubare s’appuie pour galvaniser les stagiaires lors d’ateliers de recherche d’emploi. « Ils sont nombreux à être angoissés par le retour à l’emploi, surtout qu’ils se lancent dans une toute nouvelle carrière », souligne-t-il. Il les encourage à mettre l’accent sur le fait qu’ils sont au point sur les derniers logiciels, les dernières machines. « Sur votre CV, vous ne mettrez pas en avant l’expérience professionnelle, mais bien les compétences. Sachez que vous allez vous retrouver à travailler avec des personnes en poste depuis dix, vingt ans qui ont pris des habitudes et des mauvais réflexes et à qui vous pourrez apprendre des choses. Mais attention à ne pas inquiéter les gens s’ils voient que vous en savez trop ! », sourit-il. Surtout, Alain Dubare les encourage à faire de leur handicap un levier. « Rappelez-vous que le malheur qui vous a frappés vous a donné un droit à reconversion. Cela répare un peu le fait de ne plus pouvoir exercer votre profession d’origine. Et au lieu de cacher votre handicap, mettez-le en avant. Les entreprises de plus de 20 salariés qui consacrent moins de 6 % de leur masse salariale à des personnes handicapées reversent à l’Agefiph [fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées] des pénalités de plus en plus élevées. Faites donc valoir votre handicap en rassurant les em­ployeurs : vous n’êtes reconnus handicapés que pour votre ancien métier. »

DES STRUCTURES PAS ASSEZ SOUTENUES

Depuis plusieurs années, des inquiétudes planent sur l’avenir des CRP (4), d’autant que les formations longues qu’ils proposent coûtent plus cher que celles des organismes de droit commun (5). Cela explique sans doute pourquoi, malgré les besoins importants en reconversion professionnelle des personnes handicapées, le nombre de places agréées stagne depuis plus de dix ans. « Nous avons – difficilement – obtenu huit places de plus en trente ans ! lâche Alain Coignard, responsable formation du pôle industriel. Et les aspects administratifs, notamment le circuit d’orientation, n’ont eu de cesse de se complexifier. Il semble au professionnel que les CRP accueillent aujourd’hui non pas des personnes plus lourdement handicapées qu’auparavant, mais des individus plus désocialisés. « A l’ouverture du centre, en 1984, la plupart des stagiaires avaient déjà travaillé dans des emplois un peu qualifiés. Aujour­d’hui, ils n’ont eu qu’une succession de “petits boulots” et de longues périodes de chômage : ils ont connu la précarité avant d’avoir leur problème de santé. Celui-ci ne fait qu’empirer une situation déjà difficile. Nous accueillons donc des publics avec des passés lourds, parfois des conduites addictives, des rechutes, pour lesquels le simple fait de se lever le matin pour venir en cours demande un effort colossal. A nous de parvenir à les canaliser et à leur faire comprendre qu’il leur faut saisir cette deuxième chance. »

Notes

(1) Les noms des stagiaires ont été modifiés.

(2) CRP Jean-Pierre-Timbaud : 60, rue de la République – 93100 Montreuil – Tél. 01 48 18 22 22 – www.jptimbaud.org.

(3) Seuls l’épilepsie et le diabète sont nommés pour que les formateurs sachent réagir en cas de malaise.

(4) Voir ASH n° 2698 du 25-02-11, p. 28.

(5) Une étude KPMG de 2012 (disponible sur www.fagerh.fr) montre que ces dispositifs sont, à terme, plus économiques pour la collectivité puisque le taux d’insertion est élevé et qu’un stagiaire ayant retrouvé un travail amortit le coût de sa formation en 26 mois en moyenne – Voir ASH n° 2856 du 18-04-14, p. 20.

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