Amandine Scarpone est acariâtre, revêche, une vraie « emmerdeuse ». Du haut de ses 85 printemps, elle n’a pas prévu de passer les derniers instants de sa vie à se laisser marcher sur les pieds, et entend bien le faire savoir au personnel de la maison de retraite où elle réside. « Mes dernières années seront méchantes s’il le faut », écrit-elle dans son journal intime. Un témoignage reconstitué, dans un style maîtrisé et plein d’humour, par Jean Tirelli lorsqu’il travaillait justement en maison de retraite en tant que psychologue. Cette Amandine a bel et bien existé, précise-t-il, même si certains faits ont été maquillés sous sa plume.
Au fil des mois et des pages, Madame Scarpone – comme elle préfère qu’on l’appelle – nous offre une immersion dans ce lieu si particulier où la personne âgée est infantilisée, où l’avis de n’importe qui compte plus que le sien. « Orgueil des jeunes générations qui croient détenir le pouvoir et savoir ce qui est bon pour les faibles », maugrée-t-elle. Si elle a tout l’air d’une emmerdeuse, comme elle le dit, elle est surtout d’une lucidité absolue. Son témoignage nous arrive comme une claque, tant il sonne juste, et poussera professionnels et proches de personnes âgées à s’interroger sur leur propre comportement. A quoi bon interdire l’alcool aux résidents, alors qu’il est si agréable de recevoir des amis autour d’un verre ? Pourquoi taxer une promenade volontaire de « fugue », terme habituellement réservé aux enfants et adolescents ? De quel droit s’offusque-t-on qu’une vieille dame ait des relations sexuelles ? Du ton sans cesse compatissant adopté par les aides-soignantes au réveil aux aurores, en passant par les intrusions intempestives dans les chambres, Amandine Scarpone passe en revue ces petites humiliations du quotidien qui prouvent que « quand on est vieux, on n’est plus vraiment dans la société ». Si le personnel soignant en prend pour son grade – « Ça, pour soigner, ils savent. Ecouter, beaucoup moins… » –, les familles sont largement pointées du doigt, elles qui brandissent la menace d’un procès au moindre pas de travers, poussant les professionnels à toujours plus d’intransigeance. Bien qu’elle perde un peu plus la tête chaque jour, Amandine Scarpone tient à se battre pour sa liberté de choix et celle des autres : « Je veux pouvoir manquer de fer ou de magnésium sans qu’on m’embête. » Tout simplement.
Journal d’une vieille dame en maison de retraite
Jean Tirelli – Nouvelle édition – Ed. L’Harmattan – 20 €