Le pilotage de la politique publique de lutte contre les drogues et la toxicomanie présente de nombreux dysfonctionnements, affirment les inspections générales des affaires sociales, de l’administration et des services judiciaires dans un rapport récemment rendu public (1). Elles critiquent en particulier « la faible maturité du système de pilotage interministériel et l’absence de stratégies régionales fondées sur un diagnostic local ». Commandé, dans le cadre de la modernisation de l’action publique, par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT) – rebaptisée mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives peu après la fin des travaux des inspections (2) –, le document formule des pistes de réforme visant à renforcer la coordination interministérielle, notamment au niveau régional, et à simplifier la chaîne de décision.
Quelle que soit la solution retenue, les trois inspections insistent pour que la nouvelle organisation soit « complétée par la publication annuelle d’un rapport d’activité de la MILDT qui fait défaut aujourd’hui afin: d’informer sur la mise en œuvre du plan gouvernemental et sa déclinaison territoriale ; de valoriser l’action des acteurs de terrain ; d’identifier les fragilités (absence de cofinancement, difficultés de mise en œuvre…) et de les corriger ».
Actuellement, la MILDT, qui n’a pas de services déconcentrés, recourt à l’administration territoriale de l’Etat pour mettre en œuvre ses politiques publiques et dispose de chefs de projet (CDP) dans chaque département. Jusqu’en 2012, la mission attribuait à chaque département une enveloppe budgétaire pour financer ses actions. La mission s’étant engagée dans un processus de régionalisation du financement de ses actions depuis 2013, cette enveloppe est désormais régionale et attribuée à des chefs de projet de région qui, eux, la répartissent au niveau départemental. Bien qu’elle se soit engagée dans ce processus de régionalisation, elle a toutefois « choisi de limiter les fonctions des CDP régionaux à la sélection des projets et à l’attribution des financements », constatent les inspections, qui déplorent que leur rôle de chefs de file de la lutte contre les drogues et la toxicomanie n’apparaisse pas clairement en région. Ainsi, relèvent-elles, « la légitimité des CDP régionaux est encore faible » et « le positionnement de ceux-ci reste entièrement à construire ».
Par ailleurs, le rapport pointe l’absence de structure de coordination régionale, aucune organisation ne rassemblant les différents partenaires concernés par les sujets connexes à la lutte contre les drogues et la toxicomanie (3). Le processus de régionalisation apparaît ainsi insuffisamment piloté, selon les inspections.
Au niveau départemental, l’implication des chefs de projet départementaux dans le pilotage territorial de la MILDT est « faible ». Ceux-ci collaborent en effet peu entre eux et tissent peu de liens avec les acteurs de la cohésion sociale ou de l’offre sanitaire et les forces de l’ordre. En cause notamment, selon le rapport: la durée limitée de leur affectation (moins de deux ans) ainsi que la faiblesse des moyens humains et financiers mis à leur disposition.
En ce qui concerne les projets mis en œuvre, les inspections relèvent que « leur sélection repose sur des critères imprécis, susceptibles d’interprétations variables, qu’il s’agisse de l’innovation, de l’interministérialité ou même de leur caractère structurant, récemment substitué au critère de l’innovation ». Quant au financement des projets, poursuivent-elles, il « bénéficie essentiellement à [ceux] censés avoir donné satisfaction et systématiquement reconduits ». « Cette situation, comme le manque de structuration des porteurs de projets, conduit à un saupoudrage financier préjudiciable à l’efficience de la lutte contre les drogues et la toxicomanie. »
Pour accroître l’efficacité de la MILDT, les inspections préconisent de « clarifier les responsabilités » entre les différents échelons territoriaux et de rendre plus lisible le rôle des différents acteurs dans l’élaboration, l’animation, la mise en œuvre et le suivi de la politique régionale de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Elles avancent pour cela deux scénarios.
Le premier suggère de réaménager le pilotage dans le cadre de l’organisation actuelle de la MILDT, en plaçant à la tête du dispositif régional une nouvelle instance (4) qui, sur la base d’un diagnostic préalable, serait chargée, d’une part, de valider le plan stratégique régional élaboré en conformité avec le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives et, d’autre part, de préciser les engagements, notamment financiers, de chacun des membres impliqués. Cette instance coordonnerait, en outre, les différentes politiques de l’Etat afin de les faire converger avec celles des collectivités territoriales.
Le second scénario propose, lui, de réorganiser la MILDT, qui pourrait être chargée d’animer l’action des ministères concernés sur la base du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et la toxicomanie et de s’assurer que chacun d’eux transmet des instructions à ses services déconcentrés en cohérence avec les objectifs du plan. Par ailleurs, la mission n’adresserait plus ses directives aux chefs de projet régionaux mais affirmerait sa présence au niveau territorial ou supraterritorial par l’intermédiaire de ses chargés de mission, qui assureraient chacun le suivi de deux ou trois régions. Pour les inspections, « l’avantage d’un tel dispositif est de positionner la MILDT comme seul chef de file au niveau national et les ministères concernés comme donneurs d’ordre des services régionaux de l’Etat ». Ce scénario comporte deux variantes. Dans la première, la MILDT continuerait de déléguer aux préfets de région des crédits dédiés au financement de projets de prévention contre les toxicomanies et les addictions. L’attribution de ces subventions aux porteurs de projets répondrait à des « critères préalablement définis […] pour cibler des territoires ou des publics qui apparaîtraient prioritaires, voire pour soutenir des dispositifs existants », souligne le rapport. Dans la seconde variante, explique-t-il, « afin d’éviter une concurrence entre les instructions des ministères aux services régionaux de l’Etat et celles de la MILDT en direction des CDP », il conviendrait de « laisser les administrations centrales piloter les actions de leurs services et de veiller à leur cohérence avec le plan gouvernemental ». La MILDT se recentrerait alors sur l’animation territoriale et serait responsable de la répartition des financements entre les différents ministères en fonction de leurs besoins. « Toutefois, préviennent les inspections, pour éviter les risques de dilution des crédits dans la masse financière globale de chaque ministère, il serait nécessaire de les flécher ab initio dans les budgets des ministères comme exclusivement affectés à la prévention de la drogue et de la toxicomanie ».
(1) Evaluation du pilotage territorial de la politique de prévention et de lutte contre les drogues et la toxicomanie – Mars 2014 – Disponible sur
(2) Voir ASH n° 2852 du 21-03-14, p. 36.
(3) A savoir le préfet de région, les agences régionales de santé, le rectorat, les services du ministère de la Justice et le conseil régional.
(4) Cette nouvelle instance pourrait être soit le comité de l’administration régionale, instance naturelle de définition des orientations stratégiques régionales de l’Etat, soit un conseil stratégique régional à créer.