« Au regard des enjeux et des priorités actuelles de la lutte contre le VIH, le moindre niveau de couverture par des traitements efficaces au sein de la population immigrée ne peut être considéré comme satisfaisant, ni en termes de santé individuelle des personnes, ni du point de vue de l’intérêt collectif, compte tenu de la part de cette population dans l’épidémie », pointe le Conseil national du sida (CNS) dans un avis consacré aux conditions d’accès des étrangers au système de protection sociale français adopté le 19 septembre 2013 et rendu public le 18 avril dernier dans le cadre de la publication de son rapport d’activité (1).
Le CNS a formé une commission de travail ad hoc afin d’établir « un état des lieux approfondi des modalités actuelles de prise en charge médicale et sociale des étrangers vivant avec le VIH en France, et de conduire une réflexion sur les points de blocage auxquels se heurtent aujourd’hui les efforts engagés, au titre des politiques de santé, en faveur de cette population ». Dans son avis, il rappelle tout d’abord que la prévalence de l’infection par le VIH est plus élevée au sein des populations immigrées, en particulier celles qui sont originaires d’un pays d’Afrique subsaharienne, qui « comptent parmi les groupes disproportionnellement atteints ». De façon générale, ces populations « cumulent différents facteurs de vulnérabilité et accèdent plus tardivement à la prise en charge du VIH », et donc de façon moins optimale, notamment parce qu’elles sont particulièrement précaires sur le plan socio-économique, relationnel et/ou administratif. En effet, si l’accès au système de santé et de protection sociale est « globalement assuré » pour les étrangers, il « demeure difficile pour une partie des personnes récemment immigrées ». Et si les difficultés administratives liées au statut du séjour ne concernent qu’une minorité d’immigrés, elles « interviennent dans une période clé des parcours », estime le Conseil.
Actuellement, l’accès à une prise en charge de droit commun est conditionné à la régularité du séjour, tandis que des dispositifs spécifiques permettent l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière ou « instable », sachant que, pour ces derniers, deux types de dispositifs, de nature différente, doivent être distingués : l’aide médicale de l’Etat (AME) et le dispositif du « droit au séjour pour raisons médicales », également dit dispositif « étrangers malades ».
« La prise en charge des étrangers en situation administrative irrégulière ou instable s’avère [cependant] sous-optimale », en raison des « objectifs contradictoires des politiques publiques de santé et de contrôle des flux migratoires », souligne le CNS. Concernant le dispositif « étrangers malades », différents travaux mettent ainsi en évidence une « évolution tendanciellement restrictive de la législation du droit au séjour pour soins » qui reporte la prise en charge de personnes atteintes de pathologies graves, y compris le VIH, vers l’AME, « moins favorable ».
Les auteurs de l’avis rappellent à ce titre que la principale réforme de l’AME, entrée en application en 2007, a introduit une condition de résidence prouvée en France d’au moins trois mois. « La nécessité de répondre à la situation de personnes ne remplissant pas cette nouvelle condition mais requérant un accès aux soins sans délai a, toutefois, conduit à la création concomitante du dispositif “soins urgents” », poursuit le CNS. « Pour une partie des étrangers en situation irrégulière confrontés à un besoin de soins médicaux, mais également pour les structures de soins auxquelles ils recourent, le principal effet de cette réforme est d’avoir différé de trois mois l’ouverture des droits à l’AME et imposé, pour couvrir la période de carence ainsi créée, le recours à un dispositif supplémentaire. »
Or, « en dépit de l’objectif affiché de renforcer la maîtrise des dépenses des différents dispositifs, les éléments d’analyse financière disponibles tendent à montrer que le renforcement des conditionnalités d’accès, non seulement ne réduit pas la charge globale pour la collectivité, mais nuit à l’efficience économique du système ».
Le Conseil national du sida préconise donc de sortir du droit spécifique pour intégrer le droit commun en confortant le droit au séjour pour soin et en fusionnant les dispositifs AME et « soins urgents » avec la couverture maladie universelle (CMU), ce qui permettrait de « supprimer l’enchevêtrement des conditionnalités multiples et de procéder à une simplification radicale, au profit d’un système d’accès unifié et universel, éminemment plus lisible pour les usagers » (2).
Une mesure qui n’entraînerait pas pour autant un afflux d’étrangers malades, estime le CNS rappelant que « l’attractivité du système de soins apparaît peu déterminante dans les choix migratoires » et que la « comparaison par pays ne montre pas de corrélation entre flux migratoires et générosité du système de prise en charge de la santé des migrants illégaux ». Dernier argument en faveur de cette fusion : à recours équivalent au système de soins, la prise en charge des étrangers relevant antérieurement des dispositifs « AME » et « soins urgents » apparaît moins coûteuse dans le cadre du droit commun.
(1) Avis du Conseil national du sida sur la protection sociale des étrangers vivant avec le VIH en France et l’intérêt de son évolution vers le droit commun – Disponible sur
(2) Cette fusion a déjà été préconisée en 2011 par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et, en 2013, par la sénatrice (Groupe écologiste) Aline Archimbaud dans son rapport sur les moyens de lutter contre le non-recours aux prestations (voir respectivement ASH n° 2717 du 8-07-11, p. 7 et n° 2826 du 27-09-13, p. 10).