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Un travail, puis un toit

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A Lyon, le dispositif PERLE, initié par la préfecture, vise à dynamiser l’accès des bénéficiaires au logement grâce à un retour rapide à l’emploi. Un programme expérimental qui permet de dissocier, sans les isoler, suivi social et accompagnement socioprofessionnel.

« Tout va bien dans le boulot. Il faudrait juste que Radjem progresse en français, car il y a des tâches qui nécessitent des explications et que je ne peux pas encore lui confier », remarque Alioune Diop, chef d’atelier dans une entreprise de la région lyonnaise qui conçoit des structures métalliques. Dans son bureau encombré d’outils, de cartons et de rangements, une large baie vitrée ouvre sur l’atelier de soudure qu’il dirige. Le cadre reçoit Céline Allard, chargée d’insertion professionnelle au sein du dispositif PERLE, qui l’informe de la fin du suivi qu’elle réalise auprès de cet employé recruté en juillet 2013. Du fait des qualifications techniques du candidat, et grâce à un carnet d’adresses bien rempli, la jeune femme n’avait pas eu trop de difficultés à trouver un emploi à la mesure des compétences de ce soudeur arrivé en France depuis moins de un an. Mais la tâche n’est pas aussi facile pour tous les bénéficiaires de ce programme expérimental, mis en œuvre dans le Rhône depuis deux ans. « Je vais essayer d’insister sur la né­cessité des cours de langue auprès de son référent social qui poursuivra l’accompagnement », indique la jeune femme en quittant l’entreprise sur une poignée de main.

FACE À L’ENGORGEMENT DES LIEUX D’HÉBERGEMENT

Le dispositif PERLE, ou Parcours expérimental de retour au logement par l’emploi (1), a été lancé en janvier 2012. « L’initiative est venue du préfet du Rhône », rappelle Jean-Bernard Coffy, président de la commission DALO, qui a participé à l’élaboration de ce programme dont il demeure l’un des administrateurs. Constatant, à la fin 2011, l’engorgement des structures d’hébergement alors qu’un certain nombre de personnes accueillies étaient en mesure de travailler et donc d’accéder à un logement, le représentant de l’Etat décide de faciliter l’accès à l’emploi pour ces personnes afin d’accélérer leur entrée dans un logement. « L’idée était de mettre sur pied une espèce de task force, avec des “placiers” pour remettre les gens en emploi puis les présenter aux bailleurs sociaux », poursuit Jean-Bernard Coffy. Une concertation avec les associations locales avait alors désigné le Foyer Notre-Dame des sans-abri (FNDSA) comme la structure la plus à même de porter un tel projet : « Il fallait une association qui ait les reins suffisamment solides pour pouvoir avancer les financements, car nous avions sollicité le FSE, se souvient Régis Bretones, coordinateur du dispositif PERLE. Or ces fonds mettent très longtemps à être décaissés. » Le FNDSA dispose par ailleurs de l’expérience nécessaire dans le secteur de l’insertion professionnelle et des publics précaires : l’association – qui accueille chaque année quelque 5 000 personnes – regroupe actuellement 42 structures (dont dix centres d’hébergement et d’insertion, trois centres d’hébergement d’urgence, quatre structures d’accueil hivernales et sept ateliers d’insertion).

En temps normal, le programme PERLE compte un coordinateur, une assistante de projet et trois chargés d’insertion professionnelle. « Dès que les tra­vailleurs sociaux des CHRS [centres d’hébergement et de réinsertion sociale] décèlent une volonté et une capacité de travailler chez une personne dont la situation s’est stabilisée dans sa structure d’hébergement, ils peuvent l’orienter vers nous », explique Régis Bretones. Pour se faire connaître, tout au long de la phase de conception du projet, l’équipe s’est présentée à l’ensemble des structures d’hébergement du département du Rhône. « Puis nous sommes revenus régulièrement auprès des CHRS pour faire des points d’étape, montrer comment nous travaillons et pouvons faire avancer des situations. Au 31 décembre 2013, nous avions déjà reçu 486 personnes et, aujourd’hui, la grande majorité des professionnels du département nous connaît. »

RÉALISER UN DIAGNOSTIC PROFESSIONNEL

Les candidats au dispositif présentent des profils très variés : 57 % sont des femmes, 38 % ont entre 27 et 39 ans et 35 % moins de 26 ans. « Ce qui explique que nous ayons beaucoup de personnes sans aucun revenu et que ce soit souvent de jeunes étrangers qui n’ont pas encore pu se constituer de droits », précise le coordinateur. En ce qui concerne les ­qualifications, une bonne moitié des ­personnes suivies est sans diplôme, un quart possède le baccalauréat ou un diplôme d’études supérieures, un autre quart dispose d’un BEP ou CAP.

La première étape, lors de l’accueil des postulants, consiste à réaliser un diagnostic professionnel. « Au préalable, nous avons pris contact avec le référent social qui nous a présenté brièvement la situation », précise Céline Allard. Un premier entretien d’une heure permet de faire connaissance avec la personne et de parler de son expérience et de son projet professionnel. « Il s’agit de s’assurer que ce projet est réalisable sur un temps court, car nous ne sommes pas dans un parcours progressif de type insertion par l’activité économique, insiste la chargée d’insertion. Nous ne sommes pas non plus dans l’accompagnement pour définir le projet, la personne doit déjà savoir ce qu’elle veut et peut faire. » Il faut également pouvoir s’assurer qu’il n’existe pas de difficulté comportementale majeure ou de problématique de santé qui empêcherait l’entrée dans l’emploi. En revanche, l’âge n’est pas un critère de refus : l’un des participants au dispositif, âgé de 68?ans, est en retraite depuis 2001… « Mais il a besoin de travailler pour compléter sa pension et, sans doute, nous allons devoir l’aider à se réorienter, remarque Régis Bretones. Longtemps employé dans la sécurité, ce qui ne lui convient plus, il voudrait se diriger vers les services à la personne. Mais à son âge, et compte tenu de sa santé, il faudra trouver autre chose. » A l’issue de ce premier entretien, après un délai de réflexion, une discussion en équipe permet de statuer sur l’admission ou non du candidat dans le dispositif. Sur les 486 personnes déjà orientées vers PERLE, seules 296 ont été retenues. Les motifs de refus les plus courants sont une maîtrise insuffisante de la langue ou de la culture françaises, l’absence d’expérience professionnelle, le manque d’intérêt pour le dispositif, l’existence d’un projet de formation qualifiante prioritaire sur l’entrée en emploi, l’existence d’une problématique de santé ou encore une sortie déjà prévue du dispositif d’hébergement. « Bien sûr, pour toutes les personnes que nous ne pouvons intégrer, nous formulons des recommandations, assure Régis Bretones. Réorientation vers le référent social de parcours, vers une structure d’insertion par l’activité économique, un Cap emploi… C’est généralement bien compris et bien vécu. »

Pour ceux qui peuvent bénéficier du programme, une ou deux rencontres complémentaires aident à affiner leur objectif et à s’assurer de leurs motivations et de leurs compétences. Dans l’ensemble, les participants formulent des projets professionnels dans les secteurs de l’entretien de locaux, du gardiennage, de la propreté urbaine et de l’hôtellerie-­restauration. Viennent ensuite la logistique et le transport, les services à la personne et le BTP, puis l’industrie et le commerce-grande distribution. Plus rares sont ceux qui ambitionnent de travailler dans la santé, le secteur tertiaire ou la sécurité publique et privée. L’un des nouveaux participants, originaire de Syrie, possède par exemple une formation d’ingénieur en génie climatique. Pour lui, une partie du travail préalable à la recherche d’un poste consistera à lui faire accepter le fait qu’il ne pourra pas retrouver un emploi comparable à celui qu’il a perdu tant que l’équivalence de son diplôme n’aura pas été établie.

L’accompagnement est d’abord guidé par le travail de prospection du chargé d’insertion professionnelle. « J’y consacre environ trois demi-journées par semaine », explique Céline Allard. Comme ses collègues, et malgré son jeune âge, elle possède une expérience qui lui a fait découvrir de multiples environnements : d’abord formatrice en cosmétique, puis commerciale et, surtout, prestataire auprès de Pôle emploi et attachée commerciale dans une entreprise d’intérim. « J’ai beaucoup sillonné la région et je connais de nombreuses entreprises », souligne-t-elle. La chargée d’insertion fait en sorte que les candidats ne soient pas en concurrence les uns avec les autres : « Sur une semaine, je me concentre sur les recherches de postes de quatre personnes environ, dans des secteurs différents. Il s’agit surtout de prospection téléphonique, au cours de laquelle j’expose le dispositif. » Céline Allard ne se présente pas d’emblée comme une salariée du Foyer Notre-Dame des sans-abri, bien connu dans la région. « J’explique aux employeurs potentiels notre dispositif sous la forme d’un service gratuit que nous pouvons leur rendre en mettant à disposition les personnels dont ils ont besoin, voire en les aidant à affiner leurs besoins et leurs fiches de poste. Comme un soutien au recrutement, en quelque sorte. »

Dans l’ensemble, la proposition est plutôt bien accueillie. « Au départ, nous avions l’idée préconçue que les recruteurs seraient réticents à embaucher des personnes sans domicile, reconnaît Régis Bretones. Il y a bien quelques employeurs qui posent des questions sur l’alcoolisation potentielle ou qui ont en tête l’image du SDF qui dort sur un banc. Mais très vite on dépasse ces freins, en parlant compé­tences, savoir-faire, savoir-être… Et bien souvent, une fois qu’elles nous connaissent et ont eu une première expérience avec nous, les entreprises nous recontactent lorsqu’elles ont de nouveaux besoins… » Ce dont témoigne Alioune Diop, le chef d’atelier rencontré le matin même : « J’avais déjà embauché quel­qu’un par PERLE, ça n’avait pas marché, mais ce n’est pas grave, note-t-il. Si j’avais recruté directement ou si j’étais passé par une boîte d’intérim, il aurait pu également y avoir des ratés. Cela fait partie de la vie de l’entreprise. »

UN TRAVAIL DE DYNAMISATION CHEZ UN PRESTATAIRE

En parallèle à la prospection réalisée par les chargés d’insertion, les participants au dispositif qui peuvent se rendre disponibles intègrent un parcours de dynamisation élaboré avec un prestataire extérieur, REN Formation. « Il s’agit d’intervenir sur trois thématiques : l’amélioration de l’image de soi, la connaissance de l’entreprise, et enfin l’entretien d’embauche et la préparation à l’intégration durable dans l’emploi », résume Régis Bretones. Un programme spécifique s’étalant sur cinq semaines, à raison de trois demi-journées hebdomadaires, est dispensé par des psychologues. « Nous utilisons au maximum les simulations, les jeux de rôles, les mises en situation, les exercices pour dynamiser les personnes et augmenter la confiance en soi », détaille Delphine Liverset, psychologue d’orientation et d’insertion et formatrice auprès de REN Formation. Ce lundi matin, la séance de dynamisation est consacrée à la communication. Un texte est répété à la façon du « téléphone arabe », d’une personne à l’autre. Cet exercice est destiné à montrer aux participants comment un message peut être radicalement transformé au fil des transmissions orales censées le véhiculer. Dans la salle, sept personnes sont réunies, tous des hommes, dont deux seulement sont français. La répartition par âges va de 25 à 68?ans. Souvent, les discussions dérivent : « Madame, est-ce qu’on peut s’habiller en rouge pour un entretien ? », demande un participant. « Quand est-ce qu’on finira notre CV ? », interroge un autre. L’intervenante doit recadrer sur le thème de la matinée, car certains sont impatients et le niveau de qualification est très hétérogène. L’ambiance est bon enfant, mais tous ne seront pas aussi à l’aise lorsqu’il s’agira de se présenter en entreprise. « C’est pourquoi nous avons mis en place cette session de formation. On voit vraiment les personnes se transformer à l’issue de ces cinq semaines, se félicite Régis Bretones. Que ce soit dans le comportement – les tutoiements automatiques vont disparaître –, la sociabilité, l’habillement, la courtoisie, bref, tout ce qui touche au savoir-être dans l’entreprise. »

Entre-temps, des premiers entretiens de recrutement auront été proposés, les candidats étant accompagnés par le chargé d’insertion en fonction de leur degré d’autonomie. Pour ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi, l’équipe dispose d’un logiciel d’autoévaluation qui simule des situations de travail et permet de confronter la personne à son projet. Elle peut également proposer des stages afin de tester l’aptitude à évoluer en entreprise. « Mais le plus probant, ce sont les évaluations en milieu de travail que propose Pôle emploi », assure Céline Allard. « Pour certaines personnes fragilisées par leurs expériences de vie et leur parcours social, il faut être très présent, poursuit la chargée d’insertion. Ainsi, dans les premiers jours ou semaines en emploi, nous restons très disponibles. Nous appelons régulièrement le travailleur pour nous assurer que tout se passe bien. » Les référents en entreprise savent aussi qu’ils peuvent contacter les chargés d’insertion à la moindre difficulté : « Nous sommes là pour cela. Ce n’est pas à leurs collègues ou au responsable du site de jouer les écoutants ou les facilitateurs auprès du nouveau salarié, résume Céline Allard. Et si un souci se manifeste dans le poste, je me déplace. »

LA COLLABORATION AVEC LE RÉFÉRENT SOCIAL

Autant que possible, le lien avec le référent social est également favorisé, car le chargé d’insertion ne gère ni les relogements, ni les difficultés familiales ou administratives que peuvent rencontrer les participants au programme. « Avec PERLE, nous pouvons faire un travail vraiment pointu et de proximité, témoigne Yamina Nechab, éducatrice spécialisée au CHRS Résidence (Le Mas). Nous échangeons souvent sur les situations, au besoin nous organisons des réunions tripartites si une personne nécessite un soutien spécifique. » Et d’évoquer la situation d’une jeune mère qui voulait abandonner son emploi pour mieux s’occuper de ses enfants. « Je me suis occupée de l’apaiser et de la revaloriser, se souvient l’éducatrice. De son côté, Céline a pu rattraper le coup auprès de l’employeur. Elle a demandé un bilan sur la participation de cette femme dans l’entreprise. Au final, celle-ci a conservé son emploi et j’ai trouvé une autre solution pour la garde des enfants. »

En termes d’emploi, les premiers résultats sont encourageants. A la fin 2013, grâce aux efforts des chargés d’insertion de PERLE, 156?personnes ont accédé à un emploi, dont 46 % dans un poste qualifié de durable, un CDI ou un CDD occupé depuis plus de six mois. Un quart des participants ont cependant abandonné le parcours en cours de route, principalement pour cause de déménagement, de perte de contact avec PERLE ou le CHRS, d’éloignement du lieu d’emploi… Il est en revanche plus difficile de mesurer l’impact du dispositif sur l’accès au logement, qui reste le but du programme. « La durée minimale pour accéder à un logement social en périphérie de Lyon est de huit à dix mois après le dépôt de la demande, justifie Régis Bretones. Mais, en moyenne, il faut compter plutôt deux ans. Or notre action a débuté en janvier 2012. Il est trop tôt pour en voir les conséquences. » Au 31 décembre 2013, toutefois, 55 participants ont accédé à un logement, soit 19 % des participants, certains n’étant pas en emploi. En effet, l’attribution d’une aide personnalisée au logement (APL) suffit parfois pour bénéficier d’un logement. Jean-Bernard Coffy, qui connaît bien les bailleurs sociaux du fait de sa position à la commission DALO, a tenté de donner un coup de pouce. « Nous avons travaillé avec les bailleurs sur la question des logements de transition et de baux glissants, explique-t-il. Nous avons également fait en sorte que certains organismes puissent en quelque sorte faire l’avance de l’APL le temps que celle-ci se mette en place. » De son côté, le coordinateur de PERLE a approché certains bailleurs disposant de petits logements. « Comme nous avons beaucoup d’hommes seuls, cela nous intéresse. Nous allons tenter de mettre en place un partenariat pour leur proposer les dossiers de nos bénéficiaires installés en emploi durable… » L’ambition de l’équipe est que le dispositif puisse prochainement afficher dans l’accès au logement des résultats comparables à ceux qu’il obtient dans le retour à l’emploi.

Notes

(1) PERLE : Foyer Notre-Dame des sans-abri – 3, rue du Père-Chevrier – 69361 Lyon cedex 07 – Tél. 04 89 61 21 85 – regis.bretones@fndsa.org.

(2) Lors de notre reportage, le dispositif, en recherche de financements complémentaires, ne comptait qu’une chargée d’insertion, mais avait planifié le recrutement de ses deux collègues.

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