« Pourquoi participer aux “états généraux du travail social” ? Et pourquoi – n’hésitons pas à le dire – souhaiter leur succès ? Ce sera le cas si l’on réussit à éviter, d’un côté, la grand-messe compassée et sans lendemain dont l’administration a le secret, de l’autre, le “happening”, et s’ils permettent, au-delà des incantations traditionnelles, un dialogue sur les vrais problèmes permettant de dessiner des orientations susceptibles d’être mises en œuvre rapidement.
Cette réussite est indispensable, et possible, malgré les ambiguïtés originelles de l’opération. Des ambiguïtés, il y en a beaucoup dès le départ :
→ la réduction au seul concept de “travail social” du monde multiforme et dynamique de l’intervention sociale ;
→ l’impasse sur les moyens et sur un volet statutaire qui rattrapera le gouvernement, quel qu’il soit : pourquoi refuser aux travailleurs sociaux ce qui a été accordé aux infirmiers et aux professeurs des écoles, pourquoi leur refuser la mise en œuvre effective du processus de Bologne, sur lequel nous sommes pourtant engagés au niveau européen ? L’affaire des stages et de leur gratification montre bien que les ministères concernés – c’est-à-dire le gouvernement – n’abordent pas ces problèmes de manière cohérente ;
→ il semble, enfin, difficile de parler de “refondation” sans évoquer – sans même peut-être savoir – ce que fut la “fondation” (1). Il est vrai que cela nous entraînerait dans des débats un peu longs et sûrement difficiles pour l’immense majorité des décideurs politiques qui ne portent au travail social – soyons indulgents – qu’une attention à éclipses, en dehors bien sûr de quelques personnalités atypiques dans ce milieu. La référence à l’“adresse aux travailleurs sociaux” de Nicole Questiaux (2) s’impose naturellement, mais pourquoi taire que ce document – signé la veille de son départ et plus testimonial qu’opérationnel – ne fit l’objet que d’une mise en œuvre a minima de la part de ses successeurs ?
Malgré tout cela, nous pensons que la réussite est possible et souhaitable.
→ Possible car on n’a pas le choix : peut-on continuer à ignorer les ressources et les réponses qu’apporte le travail social, dans cette époque de crise économique et sociale dans laquelle le pays est plongé et qui n’a pas encore développé toutes ses conséquences ? Possible si les arbitrages rendus par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault sont confirmés dans la durée par son successeur. Le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté de janvier 2013 (3), facilité par d’excellents travaux préparatoires, a reconnu – contre, il faut le répéter, la tendance de la majorité des décideurs politiques et financiers qui considèrent volontiers le travail social comme un luxe de riches – que la lutte contre les effets ravageurs de la crise passe aussi, dans un contexte marqué par l’essoufflement des grands appareils de solidarité et de redistribution, par les réponses de l’action sociale et l’intervention des travailleurs sociaux, dont la formation – reconnue comme un objectif politique – doit être améliorée.
L’ampleur de la crise et sa durée ont été sous-estimées : ses conséquences sont encore devant nous, avec l’aggravation à venir des situations en termes de revenus des ménages, de précarité, de recours aux minima sociaux, de coûts budgétaires mais aussi en termes de santé publique, de sécurité des personnes, de délitement du lien social.
Pourquoi, devant l’ampleur des dégâts causés, n’utilise-t-on pas mieux, en les reconnaissant à leur juste valeur, les travailleurs sociaux ? Pourquoi est-il si difficile de faire comprendre que le retour sur investissement du travail social est immense et irremplaçable ? Faudra-t-il un effondrement de cette compétence et de cette mobilisation permanente, pour qu’apparaisse en creux ce qu’elles contiennent, réparent, sauvent, allègent tout au long de l’année ?
La conférence parlementaire du 5 décembre dernier (4) a montré – et c’est une première qu’il faut saluer – qu’un certain nombre d’élus (ou plus exactement d’élues) considéraient, enfin, que le travail social et les formations sociales relevaient d’un débat politique et méritaient ce débat.
Un espace de réflexion, de propositions, d’intervention est offert aux professionnels : ils auraient grand tort de ne pas saisir cette occasion historique.
→ Souhaitable, pour l’Unaforis qui considère que pour préparer les intervenants sociaux à accomplir des tâches plus complexes, plus lourdes, voire plus dangereuses, il faut réorganiser les formations sociales, revoir l’architecture des formations et celle de l’appareil de formation, cette réorganisation devant conduire à une revalorisation de ces formations et, en dernière analyse, à une revalorisation du travail social et de l’action sociale.
L’exercice dit des états généraux vise à “refonder”. Qu’est-ce que refonder ? C’est à la fois revaloriser, et mieux positionner, c’est-à-dire faire toute leur place aux intervenants sociaux – qu’ils soient professionnels ou militants – comme pouvant construire et proposer des réponses recevables. Pour que cette refondation ait un sens, elle doit aboutir à la reconnaissance du travail social, comme étant plus et autre chose qu’un simple appendice obligé des grandes politiques publiques, voué à la gestion des interstices et des angles morts des grands appareils de redistribution, des marginaux et de ceux qu’on ne veut pas voir.
Elle doit retrouver l’ambition qui était celle de Nicole Questiaux, qui considérait le travail social comme un outil permettant à la société d’agir sur elle-même, de rendre un certain pouvoir aux gens, donc un outil de transformation sociale. Comme l’a écrit le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale dans “les orientations pour les formations sociales 2011-2013”, “la question sociale posée au travail social est aujourd’hui celle de sa fonction dans le contrat social, dans l’ambition de ‘faire société’”.
Accompagner des usagers à être acteurs de leur vie, les aider à conquérir un pouvoir d’agir collectivement, n’est, chacun le sait, nullement gagné d’avance. Cela suppose de passer des mots aux actes sur le développement social, de mettre en œuvre les excellents écrits du Conseil supérieur du travail social sur le travail social d’intérêt collectif. Cela suppose aussi de passer par une série de ruptures, en particulier avec une politique des “dispositifs” chaque jour plus complexes et qui recouvre la baisse régulière des moyens et des ambitions.
Serons-nous à la hauteur de ces enjeux collectivement ? A défaut, nous serons coresponsables de l’insignifiance des résultats de l’événement. Car c’est en participant aux “états généraux” que nous aurons une chance qu’ils soient une réussite, en obtenant une reconnaissance et une vision politique claires de ce que sera l’intervention sociale demain. »
(1) Voir aussi la tribune libre de Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale dans les ASH n° 2850 du 7-03-14, p 30.
(2) Voir ASH n° 2781 du 2-11-12, p. 28.
(3) Voir ASH n° 2794 du 25-01-13, p. 39.
(4) Voir ASH n° 2837 du 13-12-13, p. 19.