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Substances psychoactives : « Soigner le travail pour transformer les usages »

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Le Ier congrès « Addictologie et travail », qui s’est tenu à Paris les 7 et 8 avril, a permis de mettre en avant le lien entre les consommations de substances psychoactives et la pénibilité du travail. Rencontre avec Gladys Lutz, présidente de l’association Additra et chercheuse au Centre de recherche sur le travail et le développement.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette thématique ?

De plus en plus de responsables de la santé-sécurité au travail agissent en prévention des usages de drogues, de tabac et d’alcool en omettant de s’intéresser aux raisons professionnelles de ces consommations. Pour mieux comprendre ces interrelations, plusieurs études qualitatives, financées par la MILDT (1), ont été présentées au congrès, sur le dopage professionnel, les contextes de consommation ou encore le rôle joué par l’organisation du travail dans la poursuite des consommations de substances licites et illicites. Dans le cadre du projet PREVDROG-Pro, nous avons conduit 70 entretiens individuels avec des consommateurs et une dizaine d’entretiens collectifs au sein d’entreprises. Tous ne faisaient pas nécessairement spontanément le lien entre leur consommation et le travail… Et pourtant, au fil des échanges, ils nous expliquaient que tantôt le travail était contenant – il contribuait à cantonner les usages à certains moments de la semaine par exemple –, tantôt il était au cœur de la dynamique des usages – « Je consomme pour pouvoir travailler ».

Quelles conclusions avez-vous tirées ?

Les consommations de substances psychoactives concernent tous types de professionnels, du manager à l’employé, dans tous les secteurs d’activité. Autre observation : la frontière entre produit licite et illicite n’existe plus nécessairement du point de vue de l’usager et des effets recherchés. Des professionnels vont consommer du cannabis comme d’autres de l’alcool ou du tabac, pour « se décharger la tête » après une journée de travail. Surtout, nous avons appris que les substances ne sont pas seulement un frein à la qualité du travail ou un risque, mais aussi une ressource que les individus trouvent pour bien conduire leurs tâches ou contourner certains effets délétères.

Leurs consommations seraient donc « réfléchies » ?

Des témoins nous ont expliqué qu’ils fumaient des joints pendant leurs heures de travail pour supporter l’isolement ou la pénibilité de leur poste. D’autres, issus notamment des secteurs médical ou social, ont plus facilement recours aux antidépresseurs et aux anxiolytiques pour pouvoir tenir « quoi qu’il arrive » et ne pas mettre le reste de l’équipe en difficulté. Dans ce cas, la consommation n’a pas qu’une finalité individuelle ! Enfin, l’usage de substances psychoactives n’est pas uniquement une ressource pour faire face à des douleurs « psychiques » – stress, harcèlement, fatigue –, mais sert de plus en plus à supporter des douleurs physiques, tels que les troubles musculo-squelettiques.

Comment ces usagers pourraient-ils réduire leurs consommations ?

Des personnes qui consomment de la caféine à haute dose, fument beaucoup ou prennent ponctuellement des somnifères, baissent, voire suppriment, leur consommation en période de vacances. Si leur travail était plus tenable ou si les effectifs leur permettaient de se mettre en arrêt maladie le temps d’aller mieux, elles prendraient beaucoup moins de produits. Notre nouvelle hypothèse de travail est qu’en soignant le travail, en le transformant du côté de la santé, il est possible de transformer les usages.

Que faire en termes de prévention ?

Il faut alerter les entreprises où on pense que « tout va bien » : peu d’absentéisme ou de turnover, pas d’accident, peut signifier que les salariés s’appuient sur des prothèses chimiques pour « tenir ». Si les produits servent à masquer un mal physique ou moral, l’individu continue à prendre des risques, et son équilibre ainsi construit peut un jour rompre. Les responsables de la santé au travail doivent parler plus librement de ces questions-là et éviter le discours moralisateur. La question « comment faites-vous pour faire votre travail ? » est déterminante. C’est un dialogue que les médecins du travail, les infirmiers, les psychologues et les assistantes sociales d’entreprise peuvent engager en commun.

Notes

(1) Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, devenue en mars la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).

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