Alors que le ministère de l’Intérieur planche depuis plusieurs mois sur un projet de loi pour « sauver » le système de l’asile, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée nationale a souhaité « apporter sa contribution à la préparation de la réforme » en autorisant la publication, le 10 avril, d’un rapport rédigé en son nom par Jeanine Dubié, députée (groupe radical) des Hautes Pyrénées, et Arnaud Richard, député (UDI) des Yvelines, portant sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile (1). Le document, dans lequel les deux parlementaires avancent un certain nombre de propositions après avoir entendu une cinquantaine de personnes, fait suite à la concertation lancée par la Place Beauvau et pilotée par la sénatrice (centriste) Valérie Létard et le député (PS) Jean-Louis Touraine, dont le rapport a été remis en novembre dernier (2).
Le constat dressé par Jeanine Dubié et Arnaud Richard au terme de leurs auditions est connu : sous l’effet d’une demande en forte augmentation, le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile « traverse une crise caractérisée par un allongement inquiétant des délais [de traitement des demandes] et des coûts budgétaires croissants ». Soulignant le caractère « de plus en plus contraignant » de l’encadrement juridique européen, les deux députés pointent également « les zones d’ombre de l’après-demande d’asile », que l’issue de la procédure soit positive – en termes d’intégration de la personne protégée – ou négative (pour les personnes déboutées, donc). Sur ce dernier point, en particulier, le rapport relève « quelques tendances préoccupantes » : « le recours croissant à l’hébergement d’urgence de droit commun », la « porosité des procédures » – les députés affirment à cet égard que « les étrangers déboutés du droit d’asile, après parfois deux ans de procédure, tentent souvent de régulariser leur séjour soit en faisant valoir qu’ils remplissent les critères de régularisation fixés par les circulaires en vigueur, soit en entamant d’autres procédures spécifiques » comme celle des « étrangers malades » –, ou bien encore « la faible exécution des obligations de quitter le territoire français ».
Face à ce constat, Jeanine Dubié et Arnaud Richard plaident pour une réforme d’ensemble « alliant respect des droits et performance de l’action publique »… et font en ce sens 20 propositions couvrant les différentes phases de la procédure d’asile.
S’agissant par exemple de l’accueil des demandeurs d’asile, « dans un objectif de simplification et de lisibilité accrue », les deux parlementaires préconisent d’instaurer, au niveau des préfectures de région, un lieu unique d’accueil réunissant le service régional d’immigration et d’intégration (préfecture), la direction territoriale de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ainsi que les associations d’aide et de soutien présentes localement… et même l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à travers l’institution d’une antenne, d’une mission régulière ou d’une consultation périodique en visioconférence d’agents de protection « afin de répondre aux demandes d’avis qui pourraient être adressées par les agents de la préfecture en charge de la détermination de la procédure applicable ».
Afin, par ailleurs, d’accélérer l’entrée dans la procédure d’asile, le rapport propose, entre autres, de modifier les exigences liées à la domiciliation. Il s’agirait plus précisément de ne plus faire de la domiciliation une condition préalable de l’admission au séjour des demandeurs d’asile. Par la suite, une fois le demandeur d’asile pris en charge par le lieu unique d’accueil, la procédure de domiciliation serait confiée à l’OFII « en admettant une certaine souplesse afin que cette domiciliation soit effectuée en fonction de la situation du demandeur et du contexte local : domiciliation au lieu d’hébergement dédié affecté au demandeur, domiciliation par un proche chez lequel le demandeur a choisi de résider, ou encore domiciliation par une association agréée par le préfet ». En l’absence d’autre solution, la domiciliation par le centre communal d’action sociale serait encouragée dans des conditions comparables à celles du droit commun pour les personnes sans domicile stable.
Pour répondre au problème posé, en termes d’hébergement, par la concentration des demandes d’asile sur certains territoires, Jeanine Dubié et Arnaud Richard plaident notamment pour « une politique plus volontariste d’équilibrage de la demande d’asile […] grâce à un système directif d’orientation des demandeurs d’asile ». Ils suggèrent de confier à l’OFII un rôle de réorientation du demandeur d’asile vers une autre région en cas de saturation des capacités. Tout en préservant la possibilité pour le demandeur d’asile d’être hébergé en dehors du dispositif d’accueil – sans suppression de l’allocation temporaire d’attente – s’il peut être hébergé par un proche. « Cette possibilité a l’avantage de ne pas créer de demande supplémentaire, et de diminuer la charge financière supportée par l’Etat », indique le rapport.
Parmi les propositions émises pour faire face à la saturation des capacités d’hébergement d’urgence dédiées aux demandeurs d’asile – qui fait qu’une part importante d’entre eux sont accueillis dans les structures d’hébergement d’urgence généraliste –, plusieurs visent à améliorer l’information des préfets sur les personnes hébergées. « La question de la coopération avec les opérateurs gestionnaires des structures d’urgence se pose, dans la mesure où les services déconcentrés en charge des crédits de l’asile, comme l’OFII, se heurtent souvent au refus des responsables associatifs de centres d’hébergement d’urgence généralistes de communiquer les données nominatives relatives aux personnes hébergées », indique le rapport. En effet, « les gestionnaires sont réticents à communiquer aux services de l’Etat la liste des demandeurs d’asile ou des personnes déboutées qu’ils hébergent car ils s’appuient sur le principe de l’accueil inconditionnel ». Face à ces « difficultés », les deux députés proposent notamment d’inscrire, dans les conventions passées avec les associations gestionnaires des lieux d’hébergement d’urgence dédiés, les modalités de transmission des informations relatives à l’identification des demandeurs d’asile ou des personnes déboutées présentes dans les structures. Ils suggèrent également d’imposer une obligation d’information aux structures d’hébergement généraliste. En effet, pour les rapporteurs, le principe d’accueil inconditionnel « ne s’oppose pas à la connaissance par l’Etat des publics accueillis et des coûts afférents à chaque type de prise en charge ».
Pour les députés, « l’amélioration de l’accueil et de l’hébergement des demandeurs d’asile ne peut se faire dans de bonnes conditions que si les procédures sont dynamisées afin de garantir un traitement plus rapide et de meilleure qualité des dossiers ». La concertation a toutefois montré la réticence de nombreux acteurs « face au risque de passer à côté de demandes fondées, du fait de procédures trop rapides ou simplistes ». Ainsi, « il y a un équilibre à trouver entre cette préoccupation légitime et le nécessaire traitement d’une demande de masse très diverse ». On remarquera à cet égard que Jeanine Dubié et Arnaud Richard se positionnent pour une généralisation du caractère suspensif du recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), y compris pour les procédures accélérées. Rappelons en effet que le recours d’un demandeur d’asile classé en procédure prioritaire devant la CNDA n’est actuellement pas suspensif, ce qui veut dire qu’il peut théoriquement faire l’objet d’une mesure d’éloignement pendant la période d’examen de son affaire par la juridiction. Une situation « régulièrement déplorée par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme et qui a fait l’objet récemment d’un avertissement de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme ».
Toujours à propos de la CNDA, les rapporteurs notent qu’elle « fait régulièrement l’objet de critiques portant sur ses délais de jugement et plus globalement sur son fonctionnement et la qualité de ses jugements ». Le rapport « Létard-Touraine » a, du reste, suggéré sa disparition au profit des tribunaux administratifs (3). Mais Jeanine Dubié et Arnaud Richard ne partagent pas ce point de vue et estiment que le transfert du contentieux de l’asile aux tribunaux administratifs « n’est pas souhaitable ». D’une part, parce qu’il n’est pas évident qu’il soit pertinent (les députés estiment que « rien ne démontre que ce transfert permettrait de réduire les délais »). D’autre part, en raison de son coût élevé pour les finances publiques.
« Il est établi que nombre de demandeurs d’asile, désireux avant tout d’obtenir un titre de séjour sur le territoire français, entreprennent plusieurs procédures à cet effet, parfois concomitamment », affirment les deux rapporteurs, déplorant que ce phénomène ne soit pas identifié précisément par les pouvoirs publics « faute de disposer d’un outil de suivi statistique adapté » des déboutés du droit d’asile. La principale des procédures en cause étant celle des « étrangers malades », ils jugent qu’il serait cohérent de renforcer le pilotage de ce suivi en confiant à l’OFII le soin de rendre l’avis médical prévu dans ce cadre, à la place des agences régionales de la santé « qui s’acquittent avec difficulté de cette mission (manque d’information sur les systèmes sanitaires étrangers, absence de pilotage, avis différents pour les mêmes pathologies d’un point du territoire à un autre) ».
Plus globalement, les rapporteurs plaident pour « une véritable politique d’accompagnement au retour des déboutés du droit d’asile », qu’il soit volontaire (aides, projets de réinsertion économique dans le pays d’origine) ou forcé (avec une meilleure exécution des obligations de quitter le territoire français prononcées, notamment par la sécurisation juridique des procédures). Sur la proposition du rapport « Létard-Touraine » de créer des centres dédiés dans lesquels les déboutés de l’asile seraient assignés à résidence, Jeanine Dubié et Arnaud Richard ne prennent pas vraiment position, évoquant simplement « les interrogations que l’on peut légitimement avoir sur ce type de dispositif » : « Comment s’assurer que les déboutés vont librement venir s’installer et rester dans des centres qu’ils considéreront forcément comme des antichambres de l’éloignement forcé, ou comme une solution de transition avant la disparition dans la clandestinité ou le retour à l’hébergement d’urgence généraliste qui garantit l’incognito ? ».
(1) Rapport d’information sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile – Jeanine Dubié, Arnaud Richard – Avril 2014 – Disp. sur
(2) Voir ASH n° 2836 du 6-12-13, p. 13.
(3) Ce rapport préconise une expérimentation du transfert du contentieux de l’asile aux tribunaux administratifs, soit dans une ou deux régions à forte demande d’asile, soit pour l’ensemble du contentieux en procédure prioritaire.