Les rapports commandés sous le gouvernement « Ayrault » dans le cadre de la préparation du projet de loi « famille » – que l’on croyait enterrés à la suite du report sine die du texte (1) – sont finalement rendus publics les uns après les autres. Après celui du groupe de travail piloté par Irène Théry intitulé « Filiation, origines, parentalité » (2), puis celui qui a été rédigé sous la houlette de Jean-Pierre Rosenczveig portant sur les « Nouveaux droits pour les enfants » (voir encadré ci-contre), les 40 propositions élaborées par le groupe de travail dirigé par l’universitaire bordelaise Adeline Gouttenoire, qui a planché sur le thème « Protection de l’enfance et adoption » (3), ont également été publiées le 11 avril (4).
Ce groupe de réflexion avait plus précisément « pour tâche d’appréhender les nouveaux besoins des enfants qui ne vivent plus temporairement ou à long terme avec leur famille d’origine, que ce soit dans le cadre de la protection de l’enfance ou de l’adoption ». Il devait ainsi, notamment, avancer des solutions pour « sécuriser les parcours des enfants bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance » (en termes de durée et de fréquence des placements, de maintien des fratries, de cohérence entre mesures, etc.), et envisager « la modernisation, la simplification, voire la création de nouveaux statuts protecteurs pour l’enfant ».
Sur l’adoption, l’objectif du groupe de travail était, de manière générale, de « mieux faire correspondre le régime de l’adoption à sa réalité : conditions de l’agrément, préparation des parents, prise en compte des besoins spécifiques d’accompagnement des parents adoptifs et des enfants adoptés ». Il pouvait enfin, selon son cahier des charges, se pencher sur la question de l’accès aux origines. De fait, son rapport contient plusieurs préconisations visant à réformer le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles.
Au terme de leurs travaux, les 12 membres du groupe de réflexion ont formulé une série de propositions précises et techniques impliquant ou non des modifications dans plusieurs codes (de l’action sociale et des familles, de procédure civile, de procédure pénale, de la santé publique) et qui, pour certaines, recoupent les recommandations contenues dans les rapports « Théry » et « Rosenczveig ». C’est le cas, en particulier, de la préconisation visant à créer « un Conseil national de la protection de l’enfance, placé auprès du Premier ministre, [et] chargé de proposer au gouvernement les orientations de la politique de protection de l’enfance et d’en suivre l’application ».
En parallèle, le rapport « Gouttenoire » propose aussi de transformer l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) en Observatoire national de la protection de l’enfance. Objectif : « renforcer la cohérence du dispositif d’observation et les synergies entre le niveau national et les niveaux départementaux », en correspondance avec les observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE). Ce changement d’appellation traduirait une évolution du périmètre d’observation, en englobant l’ensemble des parcours des mineurs et des jeunes majeurs (jusqu’à 21 ans) concernés par une mesure de protection de l’enfance, quel que soit leur point d’entrée dans le dispositif.
Une partie des propositions du rapport vise à améliorer la circulation des informations, ainsi que le repérage et le diagnostic des situations de danger, notamment par les professionnels de santé. Il est question, entre autres, de modifier le logiciel « Cassiopée », qui permet l’enregistrement des procédures, afin de distinguer les signalements concernant les mineurs et de transmettre diverses informations à l’ODPE. Autre préconisation : notifier au président du conseil général les procédures ouvertes et les mesures d’assistance éducative prononcées.
Le groupe de travail plaide par ailleurs pour que le mineur victime d’une infraction pénale, quelle qu’elle soit (violences, atteinte sexuelle, harcèlement, etc.), puisse exercer ses droits, au-delà des dispositions légales actuelles qui prévoient, par exemple, de désigner un administrateur ad hoc pour assurer la protection de ses intérêts ou qui ne s’opposent pas à ce qu’il dépose plainte, ce qui reste cependant exceptionnel (5). Il est ainsi proposé « de tenir compte, pour les mineurs victimes de 16 à 18 ans, de leur degré de maturité et de leur permettre de se constituer directement parties civiles dans la procédure pénale relative à l’infraction dont ils ont été victimes ».
Sur la sécurisation des parcours et les statuts de l’enfant protégé, face à des placements qui peuvent parfois durer longtemps, voire pendant toute la minorité, le groupe de travail considère que des garanties doivent être apportées au mineur et aux adultes qui l’entourent, à commencer par une meilleure concertation des différents intervenants et par la reconnaissance des prérogatives des familles d’accueil. Une exigence qui passe notamment par des précisions à apporter sur le rôle de la famille d’accueil et du service ou organisme employeur par rapport au mineur et à sa famille.
En outre, l’enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) conserve parfois, de son parcours en protection de l’enfance, une histoire morcelée, voire méconnue, émaillée de « ruptures marquantes » avec « des personnes qui peuvent être significatives pour lui », des lieux, des objets qui peuvent devenir familiers. Or « tout ce vécu doit laisser une trace, comme un moyen de pouvoir construire des souvenirs d’un passé plus ou moins tumultueux et de participer à une continuité d’existence indispensable pour le développement identitaire ». Pour y parvenir, le groupe de travail juge « indispensable » de rendre obligatoires la constitution d’un dossier administratif permettant au mineur de consulter l’historique des décisions le concernant, la réalisation d’un « album de vie » qui consignerait les événements le touchant, des photos, etc., et qui le suivrait durant tout son parcours et, enfin, la participation du mineur à l’élaboration des décisions qui le concernent « selon son âge et son degré de maturité ».
Par ailleurs, pour renforcer l’évaluation annuelle de l’enfant protégé, le rapport demande de préciser dans le code de l’action sociale et des familles le contenu du rapport d’évaluation (santé, scolarité, liens familiaux, etc.), dont la fréquence devrait en outre être revue à la hausse (tous les six mois) pour les enfants de moins de deux ans. Plusieurs préconisations visent également à améliorer le repérage du délaissement de l’enfant protégé et à clarifier les conditions de son constat judiciaire.
Le rôle des tiers liés à l’enfant n’est pas oublié, le rapport avançant des suggestions pour consacrer le droit de l’enfant à maintenir des liens noués avec un tiers, d’une part en étendant le droit de visite et d’hébergement qui peut être accordé par le juge aux affaires familiales (et qui pourrait aussi être accordé par le juge des enfants, selon le vœu du groupe de travail) et, d’autre part, en permettant l’adoption de l’enfant par le tiers auquel il aurait été confié, même temporairement, ou son accueil à titre bénévole. A cet égard, l’adoption simple d’un enfant protégé, confié à l’ASE dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative ou d’une délégation d’autorité parentale, doit également être favorisée s’il est conforme à l’intérêt de l’enfant, estime le rapport.
« Il ne s’agit plus de traiter l’enfant à partir de l’intérêt des adultes, mais de considérer l’enfant comme une personne égale ayant des intérêts propres » et à protéger, en se référant à la fois aux principes édictés par la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et par la Convention internationale des droits de l’enfant. Tel est l’esprit des 120 préconisations émises par le groupe de travail piloté par Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, qui a décidé de les rendre publiques le 10 avril (6).
Le rapport aborde en premier lieu le sujet des « conditions institutionnelles » pour promouvoir les droits de l’enfant et plaide notamment, comme l’a déjà fait le secteur associatif, en faveur de la création d’un ministère de l’Enfance et d’une délégation interministérielle ad hoc. Il préconise également la codification de l’ensemble des textes évoquant le statut, les droits et les devoirs des mineurs. Passé ce préalable, le document revient sur le droit de l’enfant à voir son intérêt pris en considération dans toutes les décisions qui le concernent. S’il considère que « la filiation biologique ne doit pas être un absolu », il appelle à affirmer dans la loi que l’enfant a le droit de voir établies ses deux filiations, de père et de mère. Sur le sujet sensible de l’accès aux origines, il recommande de substituer à l’« accouchement sous X » un dispositif d’« accouchement secret » qui permettrait de révéler à tout majeur qui en fait la demande l’identité de sa mère. Il souhaite aussi clarifier la notion d’autorité parentale en la remplaçant par le terme de « responsabilité parentale ». En matière de protection de l’enfance, plusieurs propositions tendent à privilégier les liens familiaux en cas de placement – auquel serait substitué le terme d’« accueil » ou de « confiement » – ou d’incarcération des parents, et à renforcer l’application concrète de la disposition de la loi du 5 mars 2007 sur le « projet pour l’enfant ». Il invite également à la rédaction d’une circulaire qui délimiterait l’intervention des parquets en matière d’assistance éducative, préciserait les recours en cas de non-respect des termes des droits de visite reconnus aux parents des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance et fixerait les limites des visites dites « médiatisées ». Enfin, le groupe de travail encourage l’accès à la citoyenneté des enfants, dans une recherche d’équilibre entre leurs droits et leurs devoirs. Il propose notamment le principe d’une présomption « irréfragable de discernement à l’âge de 13 ans » et d’une acquisition progressive des droits, dont le droit de vote aux élections locales dès 16 ans.
Maryannick Le Bris
(1) Voir ASH n° 2846 du 7-02-14, p. 6. Comme annoncé, une proposition de loi reprenant une partie du projet de loi initial (autorité parentale et médiation familiale) a été déposée le 1er avril à l’Assemblée nationale (voir ASH n° 2855 du 11-04-14, p. 17).
(2) Voir ASH n° 2855 du 11-04-14, p. 17.
(3) 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption – Disp. sur
(4) Le quatrième et dernier groupe de travail, dirigé par le magistrat Marc Juston, devrait publier son rapport consacré à la médiation familiale et à la coparentalité le 30 avril.
(5) Sur ce dernier point, une circulaire devrait d’ailleurs, demande le rapport, rappeler aux services judiciaires compétents qu’ils ne peuvent pas refuser d’enregistrer une plainte émanant d’un mineur victime d’infraction pénale.
(6) Rapport disp. sur