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Plus loin que le soin

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A Nantes, le Scamps propose aux personnes précaires malades du cancer un suivi médico-social mobile et de proximité. Il les aide dans leurs démarches médicales et sociales, afin que leur situation ne mette pas leurs soins en échec… et vice versa.

Dans le salon d’Olivier Loiselle, les plantes répondent aux toiles abstraites et colorées qu’il a peintes lui-même, à partir de matériaux de récupération. Son nouveau lit médicalisé a pris des allures de canapé, où s’assoit Maryse Nicolas, infirmière du service de ­coordination et d’accompagnement médico-psycho-social (Scamps) (1), qui lui rend visite ce matin. Depuis neuf mois, Olivier Loiselle se sait atteint d’un cancer. « Le Scamps a simplifié beaucoup de choses pour moi, explique-t-il. Avec la maladie, tu tombes sur la tête. Tu vis subitement la douleur, les insomnies, la perte du ­boulot et l’exclusion sociale. Tu sais que tu pourrais être aidé, mais tu es ­tellement fatigué et abîmé par les traitements que tu n’es plus capable de faire les démarches administratives. Elles semblent insurmontables. Tu te retrouves seul dans ton petit coin. Le Scamps m’a remobilisé. »

ADAPTABLE À TOUTE PATHOLOGIE INVALIDANTE

Le service, dont les bureaux se situent à Nantes et à Saint-Nazaire, existe depuis un an. Son équipe compte trois infirmières, un médecin coordinateur, un psychologue, deux travailleurs sociaux, une secrétaire et un directeur adjoint. Dépendant de l’association Aurore, il a été créé avec l’aide financière de l’agence régionale de santé (ARS), de l’Institut national du cancer, du comité 44 de la Ligue contre le cancer (2), et avec le soutien de la FNARS Pays-de-la-Loire. Le Scamps a ouvert ses portes après un appel à projets lancé par la Ligue contre le cancer. Potentiellement adaptable à toutes les pathologies invalidantes, il vise l’accès ou le maintien d’une personne dans le soin, quand celui-ci est mis à mal par la précarité. Le service s’adresse à ceux qui disposent d’un logement ou d’un hébergement, quel qu’il soit. Et les besoins sont réels : « En Loire-Atlantique, 3 000 à 4 000 malades du cancer seraient en situation de précarité, contextualise Pierre-Emmanuel Nicolau, directeur adjoint et assistant social de formation. En 2007, Aurore a créé à Nantes un dispositif d’appartements de coordination thérapeutique. Mais les gens disposant d’un toit en étaient exclus. »

Pour l’équipe, si l’absence de logement est un symptôme de la précarité, celle-ci ne s’y résume pas. « Certains hébergements sociaux ne sont ni prévus ni adaptés pour l’accueil de personnes malades », pointe François Le Sénéchal, moniteur-éducateur, actuellement en validation des acquis de l’expérience d’éducateur spécialisé. En effet, un logement ou un hébergement peut ne pas être ergonomique en raison d’un escalier ou d’une baignoire mal conçus, ou se révéler trop insalubre pour qu’une équipe médicale mobile puisse y travailler normalement. Au Scamps, on souligne également l’écueil de la politique du « logement d’abord » (3), qui consiste à donner la priorité à l’accès à un logement autonome mais avec un suivi social réduit. Or la précarité est surtout synonyme d’isolement et de désocialisation. « Du fait de leur parcours, de leur addiction éventuelle ou de leurs peurs, les personnes précaires ont du mal à se mettre en lien avec les soignants et restent éloignées des circuits de soutien, observe Cyrille Cruaud, psychologue du Scamps. Comme elles ne peuvent pas pousser les portes, il faut qu’on aille à leur rencontre. »

ENVISAGER LA PERSONNE DANS SA GLOBALITÉ

Pendant six à huit mois, l’équipe mobile se déplace au domicile de l’usager, le visite à l’hôpital ou peut l’assister lors de certains rendez-vous médicaux ou administratifs. L’objectif est de le rendre autonome dans la gestion de sa maladie, mais aussi dans celle de son logement et de sa vie quotidienne. En un an, le Scamps a ainsi accompagné 32 personnes et en suit en permanence une quinzaine, avec lesquelles elle a au moins un contact hebdomadaire. Pour assurer la continuité de cette prise en charge, une permanence téléphonique est ouverte en dehors des heures de bureau. Les usagers, surtout des femmes, ont en moyenne 50 ans et vivent seuls, souvent en rupture avec leur famille. Pour certains, c’est la maladie qui a dégradé leur situation financière. Ils n’ont souvent plus de travail, parfois pas d’indemnités journalières, ou doivent payer des aides pour compenser leur perte d’autonomie. « Ils se sentent généralement perdus, ce qui entraîne un mauvais “lâcher prise”, constate Cyrille Cruaud. S’ils restent envahis par leurs problèmes sociaux, se soigner n’est pas leur priorité. Ils peuvent être dans le déni de la maladie et laisser tomber leurs traitements. » D’où la conviction de l’équipe médico-sociale : il faut envisager la personne dans sa globalité. Même pour des personnes malades, la qualité de vie ne s’arrête pas aux soins.

Le Scamps ne se veut ni une équipe technique ni un réseau. « Nous facilitons la logique de parcours des personnes, comme un référent. Nous allons au logement du malade pour repérer ses besoins et contacter les partenaires qui lui ap­porteront la bonne réponse au bon moment », développe Pierre-Emmanuel Nicolau. Les malades sont majoritairement adressés au Scamps par des travailleurs sociaux du milieu hospitalier et des structures d’hébergement. Au départ, ils se montrent plutôt sur la défensive. « Ils sont souvent très méfiants car ils sont en difficulté dans le rapport à l’autre et en ont peur », décode Cyrille Cruaud. « C’est dur pour eux d’accepter la maladie, puis la fatigue, alors demander du soutien et des aides financières n’est pas aisé », ajoute Viviane Chevillard, infirmière dans le dispositif. « La maladie vient dévoiler des fragilités, complète le psychologue. C’est le grain de sable qui fait dérailler la machine. » Au quotidien, le service met les malades en lien avec des intervenants d’hospitalisation à domicile (HAD) ou de soins palliatifs, des médecins traitants, spécialistes ou soignants libéraux, ou encore des travailleurs sociaux de secteur. « On ne veut pas de dispositif particulier pour des personnes particulières, on accompagne vers le droit commun des gens qui n’ont plus la force de le faire. En les aidant à prendre un rendez-vous, en attendant avec eux un résultat important, on les rassure pour qu’ils mettent en œuvre leur savoir-faire. On s’adapte à eux, et non pas l’inverse », expriment les professionnels.

Le caractère mobile de l’équipe favorise fortement la mise en confiance. « La proximité et l’intervention au domicile aident à démystifier l’action des professionnels auprès de gens pour qui le médecin est souvent perçu comme tout puissant », note François Le Sénéchal. Ainsi, le psychologue commence toujours par parler de lui et de son travail, « pour que les personnes puissent ensuite dire quelque chose d’elles-mêmes – les institutions demandent trop souvent l’inverse ». L’adhésion au dispositif n’est évidemment pas obligatoire. Il s’agit pour l’équipe de s’adapter aux capacités et aux désirs de la personne. Tout en lui rappelant que ce n’est pas non plus une prestation de service. « Ce n’est pas parce qu’on intervient à domicile qu’on n’est pas dans une prise en charge institutionnelle, précise Cyrille Cruaud. Notre mission est aussi d’apporter un cadre à des personnes souvent dépourvues de limites. »

ÉDUCATION À LA SANTÉ ET MAINTIEN DES DROITS

L’équipe du Scamps s’attache aussi à créer des liens entre les usagers et le monde médical. Ce public particulier peut en effet avoir du mal à comprendre l’intérêt du soin ou la parole des médecins. Ainsi, cet après-midi, Viviane Chevillard assiste un malade lors d’une consultation. Comme toutes les infirmières du Scamps, elle pratique uniquement du « soin relationnel ». « On prépare les questions que le malade veut poser au médecin. Pendant le rendez-vous, on reformule le propos du spécialiste avec des mots simples. » Après l’entretien, l’infirmière réexplique l’ordonnance, la gestion des stocks de médicaments ou les effets secondaires des traitements lourds. Elle peut aussi mettre le malade en lien avec une diététicienne pour adapter son régime. « Cette éducation à la santé permet de désamorcer leurs angoisses et aide à empêcher le découragement face à une pathologie lourde. »

De leur côté, les travailleurs sociaux du Scamps accompagnent les usagers avant et après leur passage à l’hôpital. Ils ont notamment pour mission de les orienter vers les instances de secteur afin de faire valoir leurs droits, de leur trouver une structure leur permettant d’être soignés ou de mettre en place des aides à domicile pour accomplir les gestes du quotidien. « On parle souvent de l’accès aux droits, mais on oublie leur maintien, signale François Le Sénéchal. Notre travail est d’éviter les soutiens en pointillés. » Le rôle du moniteur-éducateur est aussi bien administratif qu’éducatif. Ce qu’il apprécie : « Je peux être amené à faire de l’éducation relationnelle, aider à réguler un budget ou travailler une problématique d’hygiène. »

L’une des difficultés du Scamps est la crainte exprimée par certains de ses partenaires d’une double prise en charge. « En réalité, on vient soulager les équipes sociales et médicales, en décoinçant les blocages administratifs ou relationnels », plaide Pierre-Emmanuel Nicolau. Des médecins peuvent ainsi avoir du mal à communiquer avec des personnes en très grande précarité. De même, un service d’hospitalisation à domicile pourra être décontenancé face à des personnes présentant des troubles du comportement ou dont le logement est mal entretenu. Le rôle du Scamps est alors de décrypter et de proposer à ses partenaires de mettre à profit son caractère mobile et la fréquence de ses contacts avec les usagers. « Antérieurs dans la relation, on peut par exemple apporter à une équipe de soins palliatifs des éléments sur les goûts, le passé ou les habitudes de la personne, explique Viviane Chevillard. Constatant l’inadaptation du logement, que ne voient pas les services sociaux hospitaliers, on va demander à un service de prolonger un peu une hospitalisation, le temps d’adapter le logement pour que l’HAD puisse intervenir. »

Le suivi de personnes atteintes de maladies chroniques invalidantes n’est pas moins complexe du côté du travail social. « On va rassurer l’équipe d’un CHRS [centre d’hébergement et de ­réinsertion sociale] inquiète quant à la perte d’autonomie de l’usager, ou lui expliquer les effets secondaires des traitements et l’évolution de la maladie », détaille François Le Sénéchal. Le Scamps joue les intermédiaires de façon parfois très prosaïque. Une visite à domicile peut ainsi lui fournir l’occasion de retrouver le papier qui manquait à l’assistante sociale de secteur. « Quand un des locataires m’a annoncé son cancer, j’étais un peu désarmée, peu familière à l’accompagnement de la maladie, raconte Karine Berthe, conseillère en économie sociale et familiale au sein d’une association relogeant des personnes en difficulté. Ce monsieur était noyé dans le jargon médical et isolé. Je n’avais aucune certitude qu’il suivrait son traitement. Le Scamps m’a déchargée de tout l’accompagnement physique aux rendez-vous, et a évité qu’il ne revienne de chimio en transports en commun. Ils ont mis en place, au moment adapté, des soins palliatifs à domicile, lui ont sans cesse expliqué la maladie et les traitements et ont écouté ses angoisses. Jusqu’à aborder avec lui ses dernières volontés. Moi, je n’étais pas très à l’aise pour parler de la mort. J’ai beaucoup appris à leur contact. » En plus de mettre en place l’aide technique dont un malade peut avoir besoin, Elisabeth Le Foulon, psychologue, chargée d’assurer le suivi social des usagers, travaille avec tous les partenaires du secteur de l’aide à domicile. « Avec le cancer, les hospitalisations sont nombreuses. Je tiens les services au courant pour qu’ils s’adaptent. » Elle noue en particulier des contacts avec des professionnels formés à la pathologie – « car, un jour, la personne ne peut rien faire elle-même et, le lendemain, être en mesure de se réapproprier son quotidien : je discute de cela avec l’aide à domicile pour qu’ils s’ajustent ».

EN PRIORITÉ, LE SOIN OU LE SOCIAL ?

La question de l’imbrication entre le médical et le social se pose en permanence. Faut-il d’abord travailler le soin ou le social ? L’équipe se débrouille pour que le travail social coïncide avec les contraintes du temps médical. Car sans travail social, difficile d’amorcer le soin. De même, sans l’intervention du psychologue, difficile parfois d’initier l’accompagnement social. « Souvent, les personnes viennent déposer leurs difficultés au mauvais endroit, parlant de leurs problèmes psychologiques au travailleur social ou de leurs soucis financiers aux soignants, décrit Cyrille Cruaud. L’équipe pluridisciplinaire permet de les réorienter et d’être plus efficace. » Le psychologue doit cependant parfois tempérer les travailleurs sociaux, sensibles à l’urgence d’une situation : « A tout prix ne veut pas dire à toute vitesse. »

Accompagner la personne malade dans sa globalité, alors que la précarité et la maladie la morcellent, permet d’obtenir des résultats. Pour l’équipe du Scamps, il est évident que l’alliance autour du malade conduit à une meilleure observance des différents traitements. Et les usagers eux-mêmes sont sensibles à ce soutien d’ensemble. « Le Scamps est réactif et sensible à la personne, témoigne Olivier Loiselle. Ils m’ont patiemment amené vers le lit médicalisé ou la consultation antidouleur, alors que je voulais me battre seul. Car dès que tu demandes une aide extérieure, tu as l’impression que la maladie gagne du terrain. Ils savent mieux que les autres ce que je vis et répondent à toutes mes questions. Ils m’ont permis de me consacrer à moi-même, au lieu de me battre contre la sécu, pour passer cette phase le mieux possible… » Pour Pierre-Emmanuel Nicolau, le directeur adjoint, ce type de suivi global profite aussi aux professionnels : « Cette pratique qui positionne la personne au centre de notre action, qui autorise la pensée et la réflexion plutôt qu’un simple acte technique, produit chez les professionnels un travail de qualité. Car on ne perd pas le sens de notre action. »

L’intervention du Scamps se termine lorsque la situation sociale du malade évolue, qu’il guérit ou qu’il décède, ce qui est malheureusement le cas le plus fréquent. « Nous ne nous attendions pas à autant de décès », reconnaissent les professionnels. D’où un certain nombre de questions : comment faire accepter les soins palliatifs ? Comment organiser des obsèques sans argent ? Où habitera la famille d’une femme en phase terminale qui vivait jusque-là chez son frère ? Le Scamps travaille désormais avec les malades sur des directives anticipées, afin de préciser leurs dernières volontés, de désigner les personnes de confiance ou de clarifier, le cas échéant, les règles de garde des enfants. Le service peut aussi orienter les proches du défunt vers un psychologue ou un travailleur social. La rémission, lorsqu’elle se produit, nécessite également beaucoup d’attention. « C’est un moment où les personnes veulent reprendre leur vie en main en décidant de plein de choses en même temps, relate Maryse Nicolas. Mais il faut rester humble dans les objectifs. » Parfois, la pathologie a créé une identité, une forme d’équilibre. « Ils craignent d’être délaissés. Il nous faut donc travailler avec eux sur le fait qu’on peut exister sans être malade. » La proximité du service avec les usagers nécessite dans tous les cas de prendre des précautions : « Certains confondent Scamps et famille, constate Cyrille Cruaud. Pour les soignants, l’écueil serait une forme de toute-puissance. »

Le Scamps est encore en phase d’expérimentation. Pour Pierre-Emmanuel Nicolau, les résultats sont cependant déjà au rendez-vous. La formule permet, selon lui, une meilleure couverture territoriale ainsi que des économies par rapport à des hospitalisations simples. Elle est par ailleurs pertinente, dans la mesure où elle s’appuie sur un dispositif d’appartements de coordination thérapeutique, dont elle est, en quelque sorte, le prolongement à domicile.

Notes

(1) Scamps : 29, allée de l’Indre – 44000 Nantes – Tél. 02 51 82 60 99.

(2) Le Scamps fonctionne avec un budget annuel de 250 000 €, dont 70 % proviennent de l’Institut national du cancer, 20 % de l’ARS et 10 % de la Ligue contre le cancer.

(3) Voir ASH n° 2766 du 29-06-12, p. 26.

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