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Manuel Boucher : « La police connaît très mal les intervenants sociaux »

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Plusieurs voies permettraient d’améliorer les relations entre professionnels de l’action sociale et forces de l’ordre, explique le sociologue Manuel Boucher, spécialiste de l’intervention sociale et de la régulation des désordres dans les quartiers populaires (1).
Quels sont les griefs des habitants des quartiers défavorisés contre la police ?

La police dont nous parlons est une police de sécurité publique – qu’on peut aussi appeler « police de rue » pour la distinguer d’autres types de polices (judiciaire, renseignements…). Elle se caractérise notamment par son habilitation à faire usage de la force. Or les habitants ont le sentiment qu’elle l’utilise souvent de façon disproportionnée, illégitime et discriminatoire. Cette perception est à rapprocher de la radicalisation des modes d’intervention de la police dans les quartiers populaires qui, contrairement aux idées reçues, date d’avant la nomination de Nicolas Sarkozy au mi­nistère de l’Intérieur.

Le virage sécuritaire est en réalité amorcé en 2001 par Lionel Jospin, alors Premier ministre. Il se traduit par la dévalorisation de la police de proximité et de l’îlotage, qui se situait davantage du côté de la régulation sociale et de la prévention, au profit d’une police de sécurisation et de répression. Nicolas Sarkozy a accéléré le processus avec un discours de fermeté dénigrant les « policiers animateurs » jouant au football avec les jeunes au profit d’une « police de guerre », tout en baissant les effectifs des gardiens de la paix – ce qui implique moins de policiers à pied et davantage en véhicules.

Comment les policiers vivent-ils leur présence dans les quartiers ?

Ils ont l’impression d’intervenir en terrain hostile. Ils vivent une sorte d’hyperstress renforcé par le fait que beaucoup d’entre eux sont issus de milieu rural ou semi-urbain et sont donc très éloignés de la culture des quartiers. Cette méconnaissance de la population en pousse certains à développer des préjugés racistes, qui ne sont pas propices à une bonne relation avec les habitants et peut amener à des dérapages et à l’usage d’une violence illégitime.

Quels sont les intervenants sociaux auxquels ils sont confrontés ?

Généralement, ils se méfient des travailleurs sociaux, notamment des éducateurs de la prévention spécialisée dont l’intervention repose en particulier sur l’anonymat des jeunes. Ils rencontrent aussi des « pacificateurs indigènes », autrement dit des médiateurs, des animateurs et des éducateurs sportifs. Jeunes, issus des quartiers et des classes populaires, ils ont souvent la même culture, le même langage et le même type de vêtements que la population du quartier, ce qui leur permet de tisser des liens de confiance avec elle, mais explique aussi que leur représentation de la police soit globalement identique à celle de leur public et qu’il la considère avec méfiance. Au total, la police connaît toutefois très mal ces acteurs et la teneur de leur mission qui consiste non pas à rétablir l’ordre, mais à amener les individus dans un processus d’intégration et d’émancipation.

Quelles sont les pistes d’amélioration possibles ?

A Marseille, il existe depuis les années 1990 une unité de police urbaine constituée de policiers en civil qui ne portent aucune arme. Ce sont des régulateurs qui font du renseignement (contrairement aux travailleurs sociaux) et de la prévention. Ils peuvent faire pression sur un jeune sans user de la force : « Tu ferais mieux de te rendre au commissariat car, de toute façon, tu seras arrêté. » On peut s’étonner que ce type de police, avec qui les travailleurs sociaux peuvent collaborer, ne soit pas plus développé ailleurs.

Plus globalement, plusieurs voies permettraient d’apaiser les relations. La première, qui vise à transformer la culture policière, est, je l’espère, en cours : en vigueur depuis le 1er janvier, le nouveau code de déontologie de la police affirme qu’elle est au service de la population (et non plus au service de l’exécutif), ce qui est un changement extrêmement important. Ce code met aussi l’accent sur le principe du discernement dans l’usage de la force, ce qui rompt avec la culture du chiffre. En parallèle, il faudrait aussi que les policiers acceptent, au-delà des contrôles internes, davantage de contrôles externes : le pouvoir d’user de la force de la police est loin d’être anodin. Autre point qui mériterait également d’être développé : la formation des policiers aux spécificités des intervenants sociaux, lesquels doivent pouvoir être reconnus comme des acteurs à part entière de la régulation sociale des désordres.

Notes

(1) Dernier ouvrage paru sur le sujet : Casquettes contre képis. Enquête sur la police de rue et l’usage de la force dans les quartiers populaires, avec la participation de Mohamed Belqasmi et Eric Marlière – Ed. L’Harmattan, 2013.

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