« Comme tout le monde, j’avais regardé des documentaires chocs sur la maltraitance en maisons de retraite ; comme beaucoup, je n’aimais pas les vieux ; et comme la majorité, je connaissais peu Alzheimer mais juste assez pour espérer que ça ne toucherait jamais ma grand-mère », écrit Carine Beaufils, avant de pénétrer pour la première fois dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La jeune femme, banquière démissionnaire, a décidé de se lancer dans une nouvelle carrière : responsable de l’animation auprès de malades Alzheimer. ASH, AS, AMP, IDE, IDEC (1)… Dès son premier jour, assommée par les sigles, elle regrette les acronymes rassurants de son ancienne fonction : PEL, LEP, LDD, $, €, pétro$, CpOr. Elle se sent perdue – « égarée au milieu des corridors en étoile, sonnée devant les deux ascenseurs » – et se dit prête à démissionner… Jusqu’à son premier atelier de chant, organisé de façon impromptu alors qu’elle entonne avec une vieille dame l’air de Tout va très bien, Madame la marquise. « J’en ai oublié mes CEL et mes SICAV. Elle a oublié qu’elle oubliait. Ça nous fait du bien. » Fille d’un médecin gériatre, Carine Beaufils se rend alors compte que si les médicaments destinés à lutter contre la maladie d’Alzheimer « ne produisent pas de miracles pour l’instant, il arrive que l’animation, si. » Elle décide de commencer à écrire les portraits des résidents, de raconter les conditions de travail de ses collègues, de dépeindre la vie de cette maison de retraite. Ses « mémoires », J’ai oublié le titre !, sont croustillants. Elle apprend son métier sur le tas, découvrant que sa nullité en cuisine peut servir de support à une animation complète quand elle propose aux résidentes de l’aider à préparer un repas. « Il fait à la fois office d’atelier mémoire (se souvenir des ingrédients), réminiscence (en refaisant les gestes du quotidien), travail de motricité fine (tenir un épluche-légumes), sensitif (regarder, sentir, goûter…) et bien sûr de moment d’échange. » Au fil du temps, son expérience s’étoffe et elle prend de plus en plus de plaisir à sa fonction.« Ça ne fait qu’un mois que je suis là, mais je découvre avec ravissement que la maladie n’offre pas que des aspects tragiques, écrit-elle. J’ai déjà ri cent fois plus qu’en six années dans ma banque. » Elle s’amuse ainsi à chaque revue de presse d’informer les résidents que le général de Gaulle n’est plus au pouvoir – « ce qui provoque chaque semaine un murmure de consternation ». Elle évoque aussi les personnes atteintes de « dégénérescence frontale », qui ont perdu toute notion de conventions sociales. Cela donne le récit de parties de Scrabble où une résidente ne place que des mots comme « partouzer » ou « brouette espagnole », ou l’histoire de cette dame qui se déshabille dans le couloir en criant « Vite, un hooooomme ! », ou encore celle de ce monsieur qui défèque sur le pas de sa porte. Quand la fatigue la gagne, quand les cas sont trop lourds, quand les incidents s’accumulent, l’animatrice s’interroge parfois sur « l’utilité de tout ça ». Mais au fil des mois, elle a appris à aimer « professionnellement » ses résidents : « C’est une autre sorte d’amour, presque plus pur parce qu’inconditionnel et sans aucune exclusivité. »
J’ai oublié le titre ! Mémoires d’une animatrice en EHPAD
Carine Beaufils – Ed. érès – 10 €
(1) Agent des services hospitaliers, aide-soignante, aide médico-psychologique, infirmier diplômé d’Etat, infirmier diplômé d’Etat coordinateur.