En dépit de l’« actualité bouillonnante » au lendemain des élections municipales, le Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri et mal logées ne « pouvait pas ne pas marquer cette date symbolique » de la fin de la trêve hivernale des expulsions locatives – « synonyme de “peur au ventre” pour des milliers de ménages », a souligné Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre, lors d’une conférence de presse organisée le 31 mars dans les locaux d’un centre parisien d’hébergement d’Emmaüs Solidarité.
De nouveau, les représentants du collectif ont pointé le décalage entre les « bonnes intentions » affichées par le gouvernement et la réalité du terrain. Certes, les aménagements et les évolutions introduites par la loi relative à l’accès au logement et à un urbanisme rénové (ALUR) vont « dans le bon sens » et 7 000 places d’hébergement ont été créées en 2013, mais les réponses sont encore loin des attentes. « La fin de la trêve hivernale intervient dans un climat d’exaspération sociale et de massification de la pauvreté », a souligné Florent Gueguen, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS). « Depuis dix ans, il y a eu augmentation de 40 % des décisions de justice prononçant des expulsions locatives ; en 2012, 115 000 décisions pour impayés de loyers et 13 000 expulsions avec le concours de la force publique (un chiffre qui a doublé sur la même période). Mais le nombre réel d’expulsions est plutôt de 40 000 à 45 000 chaque année, si l’on compte toutes les familles qui quittent leur logement avant l’arrivée des forces de l’ordre », a précisé Christophe Robert. Une situation que Xavier Emmanuelli, président du Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable (DALO), a d’ailleurs souhaité porter à la connaissance de Jean-Marc Ayrault, alors encore Premier ministre, dans un courrier qu’il lui avait adressé le 26 mars. L’ancien président du Samu social soulignait dans sa missive la difficulté à faire appliquer la circulaire du 26 octobre 2012 entraînant la suspension de l’expulsion des ménages reconnus prioritaires au titre du DALO (seulement 5,5 % des ménages menacés ont déposé un recours). Son message rejoignait celui du secteur associatif : le comité de suivi « ne peut pas se satisfaire d’un nouveau printemps sans une politique de prévention des expulsions qui permettrait le maintien dans leur logement de tous les locataires concernés par la délivrance d’un congé, ou affectés pour des raisons économiques, sans solution de relogement ».
Tandis que, en février 2014, seulement la moitié des demandes d’hébergement au 115 avait donné lieu à une attribution, la poursuite de la gestion « au thermomètre » du dispositif d’urgence décourage le secteur. Des places temporaires sont en train de fermer et les créations ne correspondent pas toujours aux besoins. Conseillère technique « secteur exclusion » à la Fondation de l’Armée du Salut, Perrine Dubois pointe ainsi les incohérences entre les capacités affichées et la qualité des places : dans une association d’Evreux (Haute-Normandie), sollicitée pour créer 60 places d’hébergement d’urgence, « il n’y a que 30 couchages, les 30 autres personnes devant dormir sur des chaises… » Et le principe de la continuité de l’accueil n’est toujours pas d’actualité. Selon Perrine Dubois, quatre associations du Rhône viennent d’apprendre la fermeture des places d’hébergement entre le 31 mars et le 4 avril, entraînant la remise à la rue de plusieurs familles sans le délai nécessaire pour assurer leur accompagnement. Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité, lui aussi informé au dernier moment du prolongement de l’ouverture du centre jusqu’au 31 mai, déplore la méthode : « Nous n’avons aucune visibilité sur la gestion du dispositif, mais plutôt le sentiment d’une politique d’échelonnement des sorties, pour que toutes les personnes hébergées ne se retrouvent pas toutes en même temps à la rue ».
Quelques heures avant l’annonce du remaniement ministériel, qui a suscité le départ du gouvernement de la ministre du Logement, Cécile Duflot, le Collectif des associations unies a donc réitéré son souhait d’un « changement de stratégie ». Avec, pour commencer, « un moratoire immédiat et temporaire des expulsions locatives, avec dédommagement des propriétaires ». Les associations appellent, au-delà, à la mise en place « d’une réelle politique de prévention pour anticiper les ruptures » et réclament des moyens pour accompagner la mise en œuvre de la loi ALUR, notamment pour les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives. Quant à la production de logements accessibles aux bas revenus, « il faut utiliser tous les leviers disponibles », insiste Sébastien Cuny, délégué général de la Fédération des associations et des acteurs pour la promotion de l’insertion par le logement (FAPIL), en particulier la production sociale de logements par des associations en complément de celle des bailleurs. Autre solution : la mobilisation du parc privé, qui « peut être rapidement mise en œuvre » mais dont les cadres actuels « n’encouragent pas à faire du logement très social ».
Près d’un tiers des personnes nécessitant un hébergement d’urgence présentent un problème de santé, constate Médecins du monde dans son enquête annuelle sur l’hébergement d’urgence, menée du 6 janvier au 28 février auprès de plus de 100 personnes accueillies dans les programmes de l’association à Angoulême, Lyon, Nice, Toulouse et Strasbourg. Les pathologies rencontrées sont souvent chroniques, « avec une prédominance des addictions et des pathologies d’ordre psychiatrique ». Parmi ces personnes, seules 30 % ont été logées par l’intermédiaire du 115 au cours de l’enquête. « L’absence de couverture maladie (qui concerne 42 % des personnes interrogées), le recours aux soins de façon tardive et la difficulté de suivre des traitements du fait des conditions de vie sont des facteurs aggravants pour la santé des sans-abri », observe l’association. Parmi les personnes souffrant d’une pathologie, seules 54,8 % disposent d’une couverture médicale.
Les résultats révèlent également que moins de la moitié (46,5 %) des personnes vivant à la rue interrogées ont rencontré un travailleur social au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête. Moins d’un quart (22,7 %) ont reçu une proposition d’accompagnement ou d’aide pour trouver une solution d’hébergement durable. Parmi ses revendications, Médecins du monde demande l’augmentation des places au sein des lits haltes soins santé (LHSS) ainsi que l’amélioration de leur articulation avec les différents dispositifs sanitaires, sociaux et médico-sociaux, pour les personnes malades en situation de grande exclusion.