Outil « de plus pour effectuer des échanges économico-sexuels, notamment pour les femmes ayant une expérience préalable dans le travail du sexe » et « moyen permettant la prostitution pour des femmes qui ne se seraient vraisemblablement jamais prostituées sans », Internet se révèle un médium apprécié tant des ex-prostituées de rue que des novices pour sa discrétion et sa souplesse. Un constat que révèle une recherche-action menée, avec le soutien de la direction générale de la santé, par Eva Clouet (1). C’est d’ailleurs de la rencontre entre la sociologue et une « escort girl » qu’est née, en 2010, l’action de Grisélidis sur le Net. « Nous y avons transposé la méthodologie employée dans la rue. Nous intervenons en binôme : un travailleur du sexe du Net et un professionnel non communautaire, dans une logique d’“aller vers” », résume Flo Gil de Muro, coordinatrice et sociologue.
Sur des sites de petites annonces ou d’escorts, le duo effectue des « tournées » en envoyant des mails aux internautes qui s’y prostituent et leur propose ses services (information, orientation, matériel de prévention, suivis…). Des tournées par téléphone sont aussi organisées, permettant de toucher des personnes maîtrisant mal l’écrit, ainsi que des interventions sur des forums que fréquentent notamment des jeunes en passe de se lancer. « Nous voulons être présents le plus tôt possible dans une optique de prévention en matière de santé comme de violences », précise Flo Gil de Muro. Les usagers, soucieux de préserver leur anonymat et plus isolés que dans la rue, évoquent souvent des problèmes de harcèlement. « Dans ce cas, il est difficile de porter plainte, mais on peut donner des trucs informatiques pour se protéger en amont », pointe-t-elle. Le projet, financé par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), repose aussi sur un site-ressources conçu dans une logique communautaire (2) et, pour favoriser une mise en réseau nationale, sur un site fermé de mutualisation de savoirs, dont Grisélidis assure la modération. S’y réunissent des associations, des professionnels s’intéressant à la santé dans des associations communautaires ou non et des travailleurs du sexe.
A Lyon, Cabiria mène également, depuis 2011, une action sur le Net soutenue pas l’INPES et Sidaction mais ne ciblant que les hommes (3). Deux fois par semaine, des tournées sont réalisées sur des sites de rencontres proposant un onglet « Escort ». « Quand je repère de nouveaux inscrits, je les contacte pour expliquer la démarche de santé communautaire », résume Aurélien, animateur de prévention. Diversifié mais plutôt jeune, le public est formé surtout d’hommes menant en parallèle une activité professionnelle ou étudiante. Environ 40 % ne se déclarent pas gays. « Beaucoup sont dans le déni. De fait, il est important d’aborder avec eux les aspects de prévention liées à leurs pratiques », remarque Aurélien. Les réactions sont positives. « Au début, il y a parfois de la méfiance. Les gens demandent si on est une association contre la prostitution car ils redoutent les remarques moralisantes. Quand je dis que je suis aussi escort, les langues se délient », souligne-t-il. Les questions tournent autour de la santé globale, de la loi et du droit, des violences. Pour donner des conseils adaptés sur ce dernier point, l’animateur de prévention se sert de son expérience et des échos recueillis auprès de milliers d’usagers. « Je sers d’interface et je redistribue ces connaissances, j’indique ce qui marche ou pas. L’idéal serait que les personnes partagent entre elles ce savoir mais il y a des freins : le souci de l’anonymat, la concurrence », poursuit-il. Pour favoriser les échanges directs, l’expérimentation d’un tchat avec accès privé a été lancée.
(1) Réalités et besoins des femmes prestataires de services sexuels via Internet en France métropolitaine – Synthèse disponible sur
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