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Pour la CNCDH, la réforme pénale est en l’état vouée à l’échec

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Si elle se félicite de la méthode retenue pour la préparation du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (1), la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) déplore que le précédent gouvernement ait pris ses « distances » avec les conclusions de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive organisée en février 2013 (2) et qu’il ait ainsi « manqué l’occasion d’engager une réforme d’envergure ». C’est ce qui ressort de son avis sur la future réforme, adopté le 27 mars (3). C’est en définitive, selon l’instance, un « texte de compromis, certes audacieux, mais non abouti » qui avait du, avant le remaniement ministériel, être examiné par l’Assemblée nationale à compter du 14 avril. La commission précise même que, « en multipliant les messages contradictoires, ce projet risque malheureusement de conduire à un nouvel empilement de textes et de dispositifs, sans emporter de changement des pratiques : l’échec est alors prévisible tant pour la prévention de la récidive que pour la réduction de la surpopulation carcérale ».

La commission « aurait donc souhaité fortement que le présent projet de loi traite, entre autres, également des longues peines et de leur aménagement, de la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs et du réaménagement du régime des sanctions applicables aux mineurs, sans attendre la réforme annoncée de l’ordonnance du 2 novembre 1945 [relative à l’enfance délinquante] » (4). Elle aurait aussi voulu que le dispositif de rétention de sûreté (5) soit supprimé au motif qu’il viole les articles 3 (interdiction de la torture) et 7 (pas de peine sans loi) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

La contrainte pénale, un dispositif illisible…

Tout d’abord, la CNCDH pointe l’illisibilité de la peine de contrainte pénale qu’elle souhaite voir corrigée par le Parlement. Pour elle, les dispositions encadrant cette nouvelle peine négligent sa dimension réinsérante, « en mettant insuffisamment l’accent sur le suivi et l’accompagnement social alors qu’ils sont les composantes essentielles de toutes peines s’exécutant en milieu ouvert ». Elle rappelle en outre que, en vertu des préconisations du Conseil de l’Europe sur la probation, la mise en œuvre de ce type de peine « suppose l’existence d’un organisme capable de préparer, faire exécuter, suivre, accompagner et surveiller les sanctions en milieu ouvert en coopération étroite avec les organismes ou institutions publics, semi-publics et privés ». La commission appelle donc à la définition et à la mise en œuvre de véritables politiques partenariales avec les collectivités locales, les administrations (Pôle emploi…) et les associations, mais aussi à un renforcement des effectifs des services de probation (6).

Sur le fond, la personne condamnée à une peine de contrainte pénale devrait être astreinte, pour une certaine durée, à des mesures d’assistance et de contrôle. En cas de manquement, elles pourront être renforcées ou, si elles apparaissent insuffisantes, laisser place à l’emprisonnement sans que soit constatée une infraction quelconque ni que le quantum en ait été préalablement défini. Et c’est là que le bât blesse pour la CNCDH car non seulement elle regrette que la contrainte pénale ne soit pas « radicalement déconnectée de l’emprisonnement », mais elle estime que, « en ne rattachant l’emprisonnement ni à la commission d’une nouvelle infraction ni à une disposition spécifique du code pénal, [le dispositif] porte atteinte au principe constitutionnel de légalité des incriminations et des peines » ainsi qu’à celui de proportionnalité entre l’infraction commise et la peine prononcée. Dès lors, elle considère qu’il n’y a pas lieu de prévoir un emprisonnement pour les délits pour lesquels la contrainte pénale est prévue à titre principal et que « seul un renforcement du suivi doit être envisagé ». En revanche, poursuit la commission, « pour les délits pour lesquels la contrainte pénale serait une peine alternative à l’incarcération, [il conviendrait] de créer une infraction de manquement aux obligations, interdictions et mesures de la peine de contrainte pénale et de charger la juridiction de jugement de fixer le quantum à subir dans ces hypothèses ».

Plus globalement, la CNCDH attire l’attention des pouvoirs publics sur l’évaluation des condamnés à une contrainte pénale, nécessaire à la détermination des mesures de contrôle et/ou d’interdiction auxquelles ils peuvent être astreints dans ce cadre. Elle met ainsi en garde contre « les méthodes exclusivement actuarielles [7] qu’elle estime dangereuses pour les droits de l’Homme. Le contexte économique et social, ainsi que les facteurs cliniques, devront nécessairement faire partie intégrante de l’évaluation. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation devront également être formés non seulement pour l’utilisation des outils d’évaluation, mais encore pour en comprendre la valeur potentielle et les limites. »

…et ambigu…

La CNCDH reproche aussi au nouveau dispositif d’être le « faux jumeau du sursis probatoire, ce qui pose un sérieux problème de frontière et de lisibilité ». En effet, en pratique, le contenu de la contrainte pénale recoupe en grande partie celui du sursis avec mise à l’épreuve auquel ont été simplement ajoutées l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (TIG) et l’injonction de soins. Il y a donc aussi « un autre problème de frontière avec la peine alternative de TIG et avec le “sursis-TIG” », souligne l’instance, qui « s’inquiète une nouvelle fois de la juxtaposition de dispositions diverses concourant à la dégradation de la qualité de la loi ». Elle suggère donc de fusionner dans la contrainte pénale certaines peines, interdictions, obligations et mesures non privatives de liberté (sursis avec mise à l’épreuve, TIG, stages de citoyenneté…) auxquelles il conviendrait d’ajouter la médiation pénale et les rencontres auteur-victime. La CNCDH est toutefois consciente que de telles recommandations sont « de nature à bouleverser l’architecture du droit de la peine ». Un travail que la chancellerie avait déjà en tête puisque, le 31 mars, elle a installé une commission de refonte du droit des peines (voir encadré).

… qu’il convient malgré tout d’appliquer aux mineurs

Enfin, « en raison des objectifs d’insertion ou de réinsertion de la contrainte pénale et de la souplesse de son contenu », la CNCDH juge « incompréhensible que cette peine ne soit pas immédiatement applicable aux mineurs ». Elle recommande donc non seulement l’extension du dispositif à ces derniers, mais aussi la « substitution de la contrainte pénale au sursis avec mise à l’épreuve pour les mineurs dès la mise en application de la loi nouvelle sans attendre une hypothétique révision d’ensemble de l’ordonnance du 2 février 1945 ».

Un risque d’aggraver la surpopulation carcérale

La commission pointe également les « insuffisances des remèdes destinés à réduire le nombre de “sorties sèches” » de détention. Par exemple, si elle juge le nouveau dispositif de libération conditionnelle d’office aux deux tiers de la peine, sauf opposition du juge de l’application des peines, « louable en ce qu’il apporte la garantie d’un examen de toutes les situations dans le respect du principe d’un débat contradictoire, […], il est totalement inutile dans la mesure où l’article D. 523 du code de procédure pénale impose déjà l’examen au moins une fois par an de la situation de tous les condamnés ayant vocation à la libération conditionnelle ». Un « “bégaiement législatif” » que l’instance regrette encore une fois.

En outre, la CNCDH critique l’article 7 du projet de loi qui permet à la juridiction de jugement de décider que le primo-délinquant condamné à une peine inférieure ou égale à un an (contre deux actuellement) ou le récidiviste puni d’une peine inférieure ou égale à six mois (contre un an aujourd’hui) pourront, en tout ou partie, l’exécuter dans le cadre d’un aménagement de peine. En effet, explique-t-elle, « les récidivistes ne seront pas en mesure d’obtenir un aménagement de peine dès lors que le seuil sera en pratique dépassé dans la quasi-totalité des cas ». Plus précisément, la commission rappelle qu’« un nombre non négligeable de récidivistes est constitué de personnes cumulant des courtes peines d’emprisonnement, à savoir celles-là même pour lesquelles un aménagement de peine en milieu ouvert s’impose. Il n’est donc pas excessif d’affirmer que ce nouveau dispositif conduise à les exclure du bénéfice d’un aménagement de peine ». Une « régression difficilement acceptable », pour la commission car « cette modification, aussi surprenante que grave, aura pour conséquence d’accroître la population carcérale […] ».

VERS UNE REFONTE DU DROIT DES PEINES ?

La garde des Sceaux, Christiane Taubira, a installé, le 31 mars, une commission de refonte du droit des peines, composée de 13 membres d’horizons professionnels divers (magistrats, avocats, directeurs de prison…). Emmenée par Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et président de chambre à la Cour pénale internationale, elle aura pour objectifs d’« examiner à la fois des questions techniques et des questions de fond (mesures de sûreté, par exemple) mais aussi [de] réviser l’ensemble du droit de l’application des peines dans un souci de simplification, de lisibilité et d’accessibilité ». De toute façon, ont indiqué les services du ministère de la Justice aux ASH, « le plus gros du travail est fait » puisqu’il s’inscrit dans le prolongement des travaux de la conférence de consensus de février 2013.

Notes

(1) Voir ASH n° 2836 du 6-12-13, p. 51.

(2) Voir ASH n° 2799 du 1-03-13, p. 5.

(3) Avis disponible sur www.cncdh.fr.

(4) Une réforme dont les travaux préparatoires peinent eux-mêmes à avancer – Voir ASH n° 2850 du 7-03-14, p. 12.

(5) Dont le bien-fondé a été remis en cause par le contrôleur général des lieux de privation de liberté – Voir ASH n° 2849 du 28-02-14, p. 12.

(6) Rappelons que la chancellerie s’est engagée à créer 1 000 postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation d’ici à 2017, dont 300 cette année – Sur ce dernier point, voir ASH n° 2828 du 11-10-13, p. 63.

(7) Les échelles actuarielles visent à établir des scores de dangerosité – Voir ASH n° 2736 du 9-12-11, p. 42.

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