Recevoir la newsletter

Contacts hors les murs

Article réservé aux abonnés

A Limoges, l’Emespa, une équipe mobile psychogériatrique, va à la rencontre de personnes âgées souffrant de troubles psychiques, à leur domicile ou en maison de retraite. Pour accompagner ce public particulièrement vulnérable, elle compte une assistante sociale.

Chaque semaine, les quatre véhicules de l’équipe mobile d’évaluation et de suivi de la personne âgée (Emespa) (1) parcourent plusieurs centaines de kilomètres à travers Limoges. Outils de travail indispensables, ces voitures ne portent pas le sigle de l’établissement de santé mentale Esquirol, dont dépend pourtant l’équipe. Souci de discrétion auprès d’un public que la psychiatrie effraie encore parfois. Ainsi, quand Hervé Merveille, le psychiatre de l’Emespa, se présente au domicile d’une personne âgée, il dit simplement : « Bonjour, je suis le docteur Merveille, médecin spécialisé dans les problèmes de mémoire et de tristesse. » L’équipe compte en outre sept infirmiers possédant une expérience en psychogériatrie – dont cinq interviennent en EHPAD et deux à domicile –, une assistante sociale pour les suivis à domicile ainsi qu’une psychologue. Et un deuxième poste de psychiatre est à pourvoir. L’Emespa a en effet du mal à recruter des soignants, peu attirés par le travail auprès des personnes âgées. En 2012, l’équipe a suivi 733 patients et réalisé 4 200 visites, dont plus des trois quarts en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L’an dernier, son activité a encore augmenté de 20 % – ce qui a allongé son délai d’intervention. Aussi, pour raccourcir ce dernier, elle inaugure un système de télémédecine qui lui permettra d’interagir plus fréquemment avec les professionnels des EHPAD éloignés géogra­phiquement.

UNE ALTERNATIVE À L’HOSPITALISATION

L’idée d’une équipe mobile psychogériatrique est née il y a sept ans. Une circulaire du 30 avril 2007 relative à la prise en charge psychiatrique des personnes âgées (2) encourage les services de soins à améliorer le contact avec ces dernières : un appel à projet national est lancé sur ce thème. Le pôle de psychiatrie de l’adulte et de la personne âgée d’Esquirol, dirigé par Jean-Pierre Clément, conçoit alors le projet d’équipe mobile. Dans cette région où la moyenne d’âge est élevée, l’agence régionale de l’hospitalisation soutient alors le dispositif, qui commence à fonctionner dès 2008. « La psychogériatrie ne sortait pas des murs de l’hôpital, se souvient Antoine Pacheco, directeur du centre hospitalier Esquirol. Parallèlement, la psychiatrie effrayait encore les familles, qui n’osaient pas venir. L’équipe mobile représentait l’opportunité de maintenir les personnes dans leurs lieux de vie le plus longtemps possible et d’éviter que la seule expertise possible soit l’hospitalisation. » D’autant plus que le passage par les urgences est tout à fait inadapté à ce type de patients. « Des personnes atteintes d’Alzheimer ou de troubles comportementaux attendaient quarante-huit heures sur un brancard, complètement perdues », se souvient Hervé Merveille, arrivé dans l’Emespa en 2012. L’activité de l’équipe mobile permet actuellement de diminuer le nombre des hospitalisations de 20 % et, quand l’un de ses usagers est hospitalisé, il ne passe pas par la case urgences. « Par ailleurs, les familles, les aidants et les professionnels des EHPAD étaient très demandeurs de conseils, reprend Hervé Merveille. Chaque jour, 600 cas de maladie d’Alzheimer sont diagnostiqués en France. Or ces pathologies laissent l’entourage perplexe. »

Au quotidien, l’équipe est alertée par des EHPAD, des médecins traitants, des familles, des psychiatres hospitaliers, des assistantes sociales de secteur ou des référents autonomie. Sa mission consiste à visiter des personnes de plus de 65 ans à leur domicile ou en EHPAD, pour un diagnostic puis des préconisations thérapeutiques. L’équipe réalise aussi des suivis d’hospitalisation et consacre du temps aux médecins référents des usagers ainsi qu’aux équipes des EHPAD. « Au départ, le caractère mobile a inquiété les soignants, retrace le psychiatre. A l’hôpital, la blouse blanche protège et le patient peut être contenu en cas de besoin. A domicile, on ne sait pas toujours si l’on sera accueilli avec un tricot ou avec un fusil. » Parallèlement aux soignants, une assistante sociale intervient dans les suivis à domicile pour mettre en place une aide à domicile ou des plateaux-repas, effectuer une protection juridique, soutenir un aidant ou accompagner l’entrée en institution. « Quelqu’un en très grande difficulté n’est plus en capacité d’appeler à l’aide, souligne Olivier Pinault, cadre supérieur socio-éducatif à l’hôpital Esquirol. L’intérêt de l’équipe, c’est qu’elle propose une approche globale ancrée dans la réalité : elle évalue la situation et propose des actions concrètes dans le contexte de vie de la personne. »

COORDONNER GÉRIATRIE ET PSYCHIATRIE

Rapprocher les personnes âgées du secteur de la psychiatrie est nécessaire. D’abord, parce que le vieillissement est un facteur de risque de démence. « L’ego narcissique s’effondre avec l’âge et peut engendrer la dépression. A 70 ans, un terrain psychotique sous-évalué ou un traumatisme jamais soigné deviennent insupportables à vivre », décrypte le psychiatre. Or, à cet âge, il est très difficile pour un patient, quand la psychiatrie n’a jamais fait partie de sa vie, d’effectuer la démarche de consulter un psy. En se déplaçant hors les murs, l’équipe peut atteindre l’usager. « Trop peu de relations existent entre les personnes âgées et la psychiatrie, regrette l’équipe. Parce que les psychiatres manquent et qu’il est sûrement plus valorisant de s’occuper d’adolescents. » Par ailleurs, le découpage des territoires de santé ne correspond pas toujours à celui des secteurs psychiatriques. Pourtant, un récent rapport du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées (CNBD) (3) souligne que l’efficacité de la prévention du suicide « est proportionnelle au niveau de collaboration entre secteurs psychiatrique et gérontologique ». Ce décloisonnement des pratiques et des secteurs est indispensable, selon Olivier Pinault : « Il éviterait des ruptures et des complications du parcours de soin. La même logique pourrait être appliquée aux personnes lourdement handicapées, dont le maintien en institution pose souvent problème. »

Ce matin, Hervé Merveille et Angélique Mouret, assistante sociale, rendent visite à un homme qui a récemment été hospitalisé. Les volets sont fermés, l’homme n’est pas rasé, la télé est à fond : autant de signes d’une situation dégradée. « Quand on voit la personne à domicile, on comprend davantage ses réactions en fonction de son histoire et de son entourage », explique Hervé Merveille. « Comment mettre en place un plan d’aide sans connaître son domicile, ses habitudes, ses aidants ? interroge de son côté Angélique Mouret. D’un bureau, cela n’aurait pas le même impact. » Pendant que le psychiatre observe et mesure la capacité d’autonomie du patient, son isolement, son bien-être et son niveau cognitif, Angélique Mouret vérifie la coordination des différents intervenants au domicile. « Ces personnes ont souvent besoin de présence, donc nous mettons en place des relais qui les visitent régulièrement. » L’isolement est en effet l’un des principaux facteurs de dépression. « On propose d’ailleurs parfois aux personnes âgées qui ont perdu leurs capacités relationnelles un détour par un hôpital ou un accueil de jour, précise Hervé Merveille. Entourée, la personne peut renouer avec une forme de sociabilité qu’elle développera ensuite ailleurs. »

LIMITER LE NOMBRE D’INTERVENANTS À DOMICILE

L’équipe doit aussi jongler, à domicile, entre la volonté de l’usager, la réponse à ses besoins et la limitation du nombre des intervenants autour de lui. « Surtout en cas de pathologie psy, poursuit l’assistante sociale. Sinon, c’est trop intrusif et la personne n’existe plus. » Pour Olivier Pinault, cette logique d’organisation de l’accompagnement à domicile est plus que jamais nécessaire car dans l’avenir il n’y aura pas assez ­d’EHPAD pour tout le monde. « Mais la coordination des intervenants reste une vraie question. Qui est le chef d’orchestre ? » Quand l’usager n’a pas de famille, l’Emespa s’appuie sur l’aide à domicile comme personne ressource. « Les sociétés privées d’aide à domicile vont souvent chercher à proposer le meilleur service au meilleur prix, alors que ce qu’il faudrait mettre en avant, c’est la présence d’un référent et la création d’un lien social sur mesure », observe Hervé Merveille.

« Avec le monsieur qui vient vous aider pour vos papiers, comment ça se passe ? », questionne l’assistante sociale. L’homme fait la moue : « Ça ne me plaît pas qu’il s’occupe de mes affaires. » « Mais c’est pour vous protéger, par rapport à votre mémoire qui vous fait parfois défaut », sourit-elle. Mettre en place des mesures de protection juridique, tutelles ou curatelles, est l’une des tâches récurrentes d’Angélique Mouret. Le risque est en effet réel, pour des personnes âgées désorientées, que leur vulnérabilité soit utilisée par des gens mal intentionnés : l’équipe a ainsi croisé des personnes âgées possédant trois forfaits téléphoniques, ou encore des vieilles dames ayant acheté 20?caisses de bouteilles de vin alors qu’elles ne boivent pas d’alcool. La travailleuse sociale est aussi amenée à rétablir les usagers dans leurs droits, le non-recours aux prestations étant très fréquent : « Pour beaucoup de personnes âgées, demander une aide sociale est dégradant. D’autres ignorent l’existence de la couverture maladie universelle complémentaire. Ils ont un rapport particulier à l’argent : ils préfèrent économiser pour constituer un héritage plutôt que dépenser dans leur maintien à domicile. » Au moment d’une entrée en EHPAD, le problème financier se pose souvent. Angélique Mouret tente d’anticiper en mettant en place des dossiers de « précaution » : « Nous visitons des établissements à l’avance pour que la personne ait le choix, car si l’entrée se fait en contexte de crise, tout devient plus difficile. Nous anticipons aussi le financement. Quand l’aide sociale n’est pas suffisante, on se tourne vers les enfants. » Ces derniers se sentant souvent mal à l’aise, il faut les accompagner. « Angélique débrouille aussi des micmacs juridiques, se félicite Hervé Merveille. Par exemple, un certificat d’incapacité empêchait un couple de signer l’acte notarié pour vendre leur maison et payer l’EHPAD. Angélique a défendu le dossier devant le tribunal des tutelles. » L’assistante sociale travaille en lien avec les évaluateurs et conseillers APA (allocation personnalisée d’autonomie) « Ceux-ci repèrent des personnes qui ont des troubles psychiques cognitifs, explique Laetitia Moreau, du service évaluation médico-sociale au conseil général de Haute-Vienne. Mais ils ne vont pas toujours au domicile. Nous n’avons ni la mission ni les moyens matériels d’être dans le suivi. Nous sollicitons donc l’Emespa pour qu’elle établisse un diagnostic qui nous permettra de mettre en place des aides. Cette complémentarité nous est indispensable. »

Cet après-midi, comme chaque semaine, l’infirmier Christophe Lapassouse passe voir l’un des 28?patients que l’équipe mobile suit à l’EHPAD Le Mas Rome (l’un des 39?établissements où intervient l’Emespa). Là, il rencontre l’équipe soignante afin de faire le point sur les problématiques apparues depuis sa dernière venue : « Je les aide à ajuster les pathologies individuelles au fonctionnement collectif de l’établissement. » Les équipes des EHPAD, notamment, sont peu formées au dépistage et à la prise en charge de la démence. « Il est très important pour nous de créer une alliance avec le personnel, soulignent Claire Charbonnier et Patricia Malamas, infirmières de l’Emespa. Il faut faire des préconisations sans passer pour des donneurs de leçons. » Et sans remplacer non plus l’effort de formation que les établissements ont à faire dans ce domaine. Olivia Merle, médecin coordonnateur du Mas Rome, tient à cette collaboration avec l’équipe mobile : « Nous avons besoin d’expertise sur les pathologies des résidents, y compris sur les troubles liés à l’entrée en institution. En se déplaçant dans notre unité fermée, l’équipe nous facilite la vie. C’est une vraie amélioration des conditions de travail des professionnels de l’EHPAD. »

L’équipe mobile travaille au maximum sur des thérapies non médicamenteuses, le public accompagné étant déjà bien souvent polymédicalisé. Ce qui implique des changements dans la prise en charge. « Avec les EHPAD, nous mettons en place des protocoles sur la déshydratation ou la constipation, qui peuvent causer une augmentation de l’agressivité des patients », racontent les infirmières. Elles font alors comprendre aux professionnels des EHPAD qu’avec certaines pathologies, une prise en charge plus souple permet d’éviter les crises : « Comme ils sont dans l’action, ils ont parfois l’impression qu’en reportant un soin ou en espaçant les douches, ils font mal leur travail, alors que cela peut apaiser le résident. »

SENSIBILISER LES EHPAD AU DÉPISTAGE DES SUICIDES

L’un des axes d’intervention de l’équipe est la prévention de la dépression et du suicide. De récents travaux du CNBD ont montré que près de 30 % des 10 000 personnes qui se suicident chaque année en France ont plus de 60 ans. L’Emespa tente de sensibiliser les professionnels des EHPAD au dépistage d’apathies, moins faciles à repérer que des troubles bruyants, et de les aider à surmonter la peur de psychiatriser la personne âgée. « L’entretien psychiatrique lui-même peut être un déclencheur émotionnel qui permet un effondrement psychique empêchant ensuite le suicide impulsif », éclaire Hervé Merveille. Chez les personnes âgées, les signes ne prennent pas forcément la forme d’un repli sur soi. En prévision de son acte, la personne peut refuser de s’alimenter ou avoir ordonné toutes ses affaires. D’où l’enjeu d’accroître la vigilance des professionnels.

En fin de journée, les membres de l’Emespa se retrouvent pour une réunion d’équipe où sont évoqués les dossiers difficiles. Ainsi, les usagers qui refusent une hospitalisation, une aide à domicile ou une entrée en institution ne sont pas rares. D’où l’utilité d’en débattre : l’hospitalisation est-elle nécessaire ou confortable pour l’entourage ? L’accompagnement n’est-il pas trop intrusif ? « Cette approche est intéressante, note Laetitia Moreau, du conseil général, car ils savent faire la balance des risques et des bénéfices du maintien à domicile. Ils sont capables d’organiser un suivi de proximité et de qualité, qui va permettre de tolérer une situation ou des conditions de vie que nous, de l’extérieur, aurions jugées inadaptées. » Pour Hervé Merveille, trop se protéger derrière des grilles d’évaluation et du « conséquencialisme » dessert parfois l’usager. La pluridisciplinarité de l’équipe sert aussi d’appui aux médecins traitants. « Un médecin qui a soigné le patient pendant trente ans, à tel point qu’il fait parfois fonction de famille, peut être dans le déni devant une nécessité d’hospitalisation psy », explique-t-il. D’autres se sentent très seuls pour prendre une décision. Ils craignent d’être étiquetés comme des « bourreaux ». « Avec la prise en charge psy et sociale, il n’y a plus cette impression d’un avis tyrannique, on crée un lien différent. »

Ce travail d’équipe aide aussi à gérer la difficile question du rapport à la mort qui fait évidemment partie du quotidien de ces professionnels. « Il est très fréquent que les usagers nous disent qu’ils attendent la mort et qu’ils nous expliquent comment ils se suicideront, soupire Marie-Alicia Verdavaine, infirmière à l’Emespa. Au début, on a l’impression qu’en disant “oui, vous allez mourir”, c’est comme si on les tuait. Alors qu’il faut être capable de l’entendre. » Et Hervé Merveille de conclure : « Il est important que les usagers aient enfin en face d’eux quelqu’un qui ne soit pas dans le déni, car la démence peut être un moyen de ne pas avoir à affronter la mort. »

Notes

(1) Emespa : Centre hospitalier Esquirol – 12, avenue de Naugeat – 87000 Limoges – Tél. 05 55 14 56 15.

(2) Voir ASH n° 2510 du 1-06-07, p. 8.

(3) Voir ASH n° 2828 du 11-10-13, p. 5.

Vos pratiques

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur