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« Etats généraux » : au cœur des débats, la finalité et les moyens du travail social

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La concertation lancée dans le cadre des « états généraux » ne sera complète et ambitieuse que si elle aborde la question - souvent occultée - de la finalité du travail social et des moyens qui lui sont dévolus, estime Carol Knoll, directrice d’EHPAD. Car au-delà des institutions auxquelles ils appartiennent, les professionnels de l’action sociale sont au service d’un projet de société.

« Généralement, les sujets donnés à des concours ou examens sont révélateurs des problématiques sociétales du moment. Une promotion d’éducateurs spécialisés a ainsi eu à plancher sur la thématique suivante: “Les nouveaux professionnels du travail social, et parmi eux les éducateurs, sont parfois ainsi décrits : ‘Ils ne servent ni à réadapter, ni à réinsérer, ni à mettre au travail, ni à médicaliser, ni à normaliser… (Ils posent à la collectivité la question de leur utilité)’ [extrait d’un article intitulé “Le travail social et la crise économique…”, Espace social n° 3]. Cette allégation est bien entendu discutable, mais elle est en même temps très interrogative dans l’exercice de la ­profession, vue ici de manière étroite. A l’heure de la décentralisation, des transferts de compétences en matière de choix de priorités sociales et éducatives, exposez, en les étayant sur les actions que vous avez menées auprès de personnes inadaptées ou handicapées, les réflexions inspirées par ces quelques lignes et les perspectives qui semblent se dessiner pour le métier que vous allez exercer.

Cet énoncé a en fait été donné au diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé l’année où je l’ai obtenu… en 1984. Epreuve écrite de psychopédagogie. Durée 4 heures. Coefficient 3. En changeant juste quelques mots, nous obtenons une problématique encore très actuelle : à quoi sert un travailleur social, et comment la société perçoit-elle son utilité ? Car c’est bien de cela qu’il est question. Les travailleurs sociaux, même s’ils se retrouvent souvent isolés dans l’exercice de leur profession au quotidien, sont au service d’un projet sociétal, au-delà de l’institution à laquelle ils appartiennent. Encore faut-il que le projet soit partagé, explicité, et porté.

Les “états généraux du travail social” aborderont vraisemblablement cette thématique, sous une forme peut-être moins directe. La refondation du travail social étant l’un des axes du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, il est clair qu’une des missions confiées aux travailleurs sociaux est d’agir contre la pauvreté. La direction générale de la cohésion sociale précise par ailleurs que l’ensemble des champs d’intervention seront étudiés, dans le but de préparer “un plan d’actions pour donner aux politiques sociales les professionnels dont elles ont besoin pour leur mise en œuvre”. Il est d’ores et déjà admis que le travail social, trop peu reconnu et trop déconnecté des politiques sociales, n’est peut-être plus suffisamment adapté aux attentes des usagers. La large concertation engagée ne sera toutefois complète et véritablement ambitieuse que si elle intègre aussi la question de la finalité du travail social et celle des moyens dédiés. Sans cela, le risque est grand qu’elle suscite de vaines attentes.

Absence de consensus

Il est évident que cette finalité, sans doute encore plus aujourd’hui qu’il y a trente ans, ne fait pas consensus, quand elle n’est pas tout bonnement absente comme référence d’intervention. En témoignent, à titre d’illustration, les sites censés renseigner les jeunes qui ont pour projet par exemple de devenir assistant de service social. Ils mentionnent essentiellement, parfois même uniquement, les qualités humaines requises. Certes, avoir la vocation peut aider. Certes, la générosité n’est pas une tare. Certes, la relation à l’autre est primordiale. Bien construite, elle est même une des bases du travail social. Mais c’est un peu comme si, pour présenter le métier de pompier, nous mettions uniquement l’accent sur le courage et l’abnégation plutôt que sur les qualités physiques et la gestion du stress. Les qualités rédactionnelles, les capacités à faire face à des situations d’urgence, à prioriser des tâches, à travailler en équipe, le devoir de s’inscrire dans un fonctionnement institutionnel…, ne sont pas mis en avant alors qu’ils sont essentiels.

C’est pourtant cette réalité-là qu’il faut faire connaître aux candidats aux métiers du social, en insistant aussi sur l’importance des modalités de travail et de la coordination entre l’ensemble des intervenants. A force de gérer des dispositifs, il arrive que des travailleurs sociaux en perdent eux-mêmes le sens de leur action. Nous avons pris l’habitude, de façon aussi surprenante qu’inquiétante, de trouver LA réponse à UN problème. Lorsque les problèmes se cumulent, nous additionnons les réponses. Parfois sans vision globale et sans cohérence. Heureusement qu’il existe (encore) des familles n’entrant dans aucun dispositif, et pour lesquelles un accompagnement simplement professionnel et humain est possible.

Choisir un métier sur une idée fausse ou à tout le moins tronquée, gérer des situations en mobilisant prioritairement des dispositifs parce qu’il devient tout bonnement difficile de faire différemment, pour ne mentionner que cela, ne peut construire une légitimité professionnelle. Or si la finalité du travail social n’est pas explicite, la collectivité peut légitimement interroger son utilité.

La course aux moyens : une impasse

La question des moyens est tout aussi fondamentale. Les budgets prévisionnels ne sont bien souvent tenus qu’en réduisant le montant moyen des aides financières attribuées, pour faire face à l’explosion du nombre de personnes à secourir. Les critères d’attribution sont périodiquement révisés en ce sens. Chaque jour, des travailleurs sociaux relèvent le double défi de l’aggravation des situations rencontrées et du nombre de personnes à recevoir ou à rencontrer à leur domicile.

Au contact des publics les plus démunis et les plus fragiles, une bonne dose de convictions leur est nécessaire. Logiquement, le travail social œuvre à sa perte, en raison de son essence même : agir pour que les personnes n’aient plus besoin d’avoir recours à ses services. A cela près que ce n’est pas si simple dans une société où les inégalités, la pauvreté, la détresse grimpent plus vite que l’ascenseur social, resté coincé au premier sous-sol. Nous sommes donc globalement, presque mathématiquement, face à un manque de moyens financiers, matériels et humains.

Des experts en rationalisation et en management pourront toujours prodiguer leurs conseils, force est de constater que les économies d’échelle ont, dans la plupart des organisations, atteint leurs limites. Nous n’avons pas d’autre solution que de trouver une adéquation forte entre les moyens à mobiliser et les besoins à satisfaire. Deux options logiques : augmenter les moyens en créant des postes et en accroissant significativement le volume des aides sociales, ou diminuer les besoins par une redistribution des richesses à la source, par une reprise économique, par une refonte du système scolaire… Nous voyons vite les limites d’une réflexion binaire dans le travail social, intrinsèquement empreint de complexité. Inutile de nous leurrer. Si des moyens supplémentaires sont débloqués, ils se révéleront vite insuffisants. Quant aux besoins, nous ne pouvons les limiter rapidement, sauf à le faire artificiellement, par exemple au niveau de leur expression. Or la situation est urgente, socialement et humainement, tant pour les personnels sur le terrain que pour les personnes auprès de qui ils interviennent.

La seule véritable réponse est de définir un niveau de service soutenable et acceptable. Cela peut se concevoir au sein des collectivités territoriales, du fait du principe de leur libre administration. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs engagé une approche de ce type. Mais il serait enfin temps de poser la question du projet de société. La solidarité reste-t-elle une valeur fédératrice et partagée en France ? Le citoyen arrive-t-il encore à faire la distinction entre assistance et assistanat, face aux courants de pensée libéraux qui se développent jusqu’à prendre la forme d’extrémismes aussi caricaturaux que déshumanisés ? Jusqu’où acceptons-nous, collectivement, de laisser au bord du chemin une partie des plus démunis et des plus vulnérables ? A moyens constants, avec une demande qui augmente, qui les travailleurs sociaux doivent-ils aider ? Comment ? A quelle hauteur ? Leur faut-il œuvrer à la mobilisation des solidarités locales ? Sont-ils là pour contenir les dégâts, faire mieux passer l’inacceptable, et assurer une forme de paix sociale ?

Impliquer les citoyens

La démarche qui consiste à associer les usagers à la réflexion est fort louable, et les expériences conduites en la matière sont riches d’enseignements. Je m’interroge en fait sur ce qui nous empêche d’y inclure aussi les citoyens, les habitants…, tout simplement les personnes, tous usagers potentiels des services sociaux. Les travailleurs sociaux sont au service des personnes. Ils travaillent à l’autonomie des personnes. Ils favorisent l’accès aux droits à des personnes.

C’est en cela que la réponse ne peut pas être uniquement une affaire de professionnels, quand bien même ils y associeraient des usagers. Il est bien entendu indispensable qu’ils apportent, d’une part, leur expertise afin que la situation actuelle soit analysée le plus finement possible et, d’autre part, leur vision des différentes formes que peut prendre la solidarité. Mais refonder le travail social ne peut se faire en visant prioritairement des ob­jectifs opérationnels, ni en limitant les enjeux à une nécessaire évolution des pratiques et du positionnement des travailleurs sociaux, et du regard porté les uns sur les autres.

L’occasion est unique. Elle mérite une authentique ambition et un nouvel engagement sociétal, autour de valeurs partagées. »

Contact : carolknollf@gmail.com

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