Sept ans, jour pour jour, après l’adoption du dispositif dénommé « Droit au logement opposable », le comité de suivi de cette loi a rendu le 5 mars dernier un bilan chiffré des résultats de l’année 2013(1). Autant le dire clairement, c’est un bilan décevant, d’autant qu’il manifeste une régression par rapport à des résultats antérieurs pourtant déjà très médiocres. Alors que le nombre de demandes de logement et d’hébergement croît régulièrement (de 7,4 % en 2013), que le nombre de décisions explose (99 058 en 2013, soit 18,9 % de plus en un an) et que 38 % de ces décisions sont favorables aux demandeurs, le taux de relogement effectif des ménages concernés et déclarés prioritaires chute fortement, pour s’établir à 26,8 % en matière de logement et à 18,8 % dans le domaine de l’hébergement.
Bien sûr, ces données consolidées au niveau national cachent des disparités considérables selon les régions. C’est en Ile-de-France que la situation est particulièrement préoccupante, conduisant d’ailleurs le comité de suivi à adopter une motion faisant état de « ses plus vives inquiétudes » : en effet, 41 357 ménages, la moitié du stock national, y sont dorénavant en attente, contre 36 905 il y a un an.
Certes, le gouvernement, par la voix de la ministre du Logement, Cécile Duflot, a annoncé en réponse plusieurs mesures : développer massivement l’intermédiation locative dans les territoires les plus tendus, de façon à mobiliser plus fortement le parc privé disponible ; améliorer le traitement des dossiers.
Plus que les voies et moyens pour améliorer le système, c’est à nouveau sa conception qui interroge. Que pouvait-on attendre d’un dispositif qui, derrière l’affirmation illusoire d’un « droit opposable », consistait essentiellement dans l’ajout d’un segment supplémentaire de gestion des populations en difficulté et qui pariait sur le fait que cela mettrait une pression plus forte sur les acteurs locaux pour les inciter collectivement à plus de dynamisme(2) : dans un système d’acteurs segmenté et polyarchique, il est bien improbable que puisse se produire, par la grâce d’un « partenariat » obligatoire, une forme de vertu collective venant supplanter les logiques spécifiques de chacun. Et puis, comme on pouvait s’en douter, on ne peut loger que si des logements existent à des conditions d’accès adaptées aux publics concernés ; c’est dire que tout tient dans la politique de production et de gestion du parc immobilier et, plus largement, dépend des politiques d’urbanisme et de maîtrise du foncier.
Au-delà du DALO lui-même, on peut voir dans cette institution comme un symbole de la façon dont la puissance publique en vient à affronter les problèmes sociaux. Passons sur ces lois qui répondent dans l’urgence à toutes les situations problématiques et dont le DALO est une illustration, et venons-en au fond du problème. Il tient peut-être au fait que, à tout nouveau problème ou prétendu tel, on ajoute un dispositif aux dispositifs existants, selon une logique d’extension perpétuelle et infinie des structures gestionnaires ; de là l’extraordinaire complexité de l’action publique qui s’étale en filières cloisonnées juxtaposées et/ou superposées, celles d’entre elles qui entendent « décloisonner » étant paradoxalement posées à côté des segments existants pour en constituer de nouveaux. Outre les effets entropiques de cette logique, on aperçoit combien cela confine à la prise en compte des symptômes bien plus qu’à celle des causes.
Ensuite, à proclamer des droits et à les qualifier d’« opposables » alors même que les conditions collectives de leur mise en œuvre font défaut, on en vient à vider le droit de sa substance au spectacle de la vacuité de sa portée. Au lieu de laisser penser qu’il suffit à la puissance publique de se transformer en fournisseur de « droits » pour des individus conçus comme de simples récepteurs de la bienveillance collective - ce qui enclenche un processus de demandes sans fin -, il faudrait s’aviser que le droit, surtout social, procède d’une institution collective, d’une communauté politique qui doit se penser et s’organiser, en affrontant ses divergences d’intérêts pour en faire sortir un intérêt commun assumé par tous. Loin de se constituer comme un déversement de bienfaits individuels à l’initiative d’un Etat bienveillant, ce qui est source de bien des malentendus et de désillusions profondes, le droit s’établit sur la reconnaissance d’une interdépendance entre tous, qui seule peut donner sens et contenu à la fameuse « cohésion sociale » autant qu’au « vivre ensemble », notions qui, sans cela, risquent bien de n’être que des slogans galvaudés.
Voir « Quelques interrogations sur la portée structurante du droit au logement », R. Lafore, in rapport du Conseil d’Etat « Droit au logement, droit du logement », EDCE n° 60 (2009).