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Chargés de mesures d’investigation ou d’alternatives aux poursuites, les intervenants socio-judiciaires doivent combiner en permanence des approches complémentaires : sociale, judiciaire et psychologique. Rencontre à Meaux avec ceux de l’association Horizon.

Comme chaque jeudi matin, l’équipe du service action judiciaire de l’association Horizon, à Meaux (Seine-et-Marne) (1) a pris place dans la salle de réunion, pour le briefing hebdomadaire. Autour de la table, trois intervenantes socio-judiciaires (ISJ), la responsable du secteur insertion sociojudiciaire, l’assistante administrative du service et une psychologue stagiaire. L’ordre du jour est chargé : diffusion d’une nouvelle trame pour les enquêtes sociales rapides, compte rendu de la réunion régionale de la fédération des associations socio-judiciaires, bilan du groupe de parole destiné aux auteurs de violences conjugales, point sur les situations… « Avant toute chose, je vous transmets les félicitations de la substitut du procureur pour l’enquête de personnalité de Monsieur X, commence Nathalie Biessy, la responsable. Elle a trouvé l’écrit de grande qualité, et son contenu a contribué à lever le maintien en détention. » L’une des ISJ éclate de rire : « Ah, elle doit avoir quelque chose à nous demander ! Une enquête à boucler en trois jours, peut-être ? »

ÉCLAIRER LES MAGISTRATS ET FAVORISER LA RÉINSERTION

Le secteur insertion socio-judiciaire de l’association Horizon (qui intervient par ailleurs dans les domaines du logement, de l’hébergement et de l’emploi) compte deux services. D’une part, le service « aménagement de peine », qui regroupe trois dispositifs d’hébergement destinés aux condamnés en placement extérieur, aux sortants de prison ou à l’éloignement d’auteurs de violences conjugales, accompagnés par des éducateurs spécialisés. D’autre part, le service « action judiciaire », qui met en œuvre des missions socio- éducatives sous mandat judiciaire et dont l’équipe se compose d’une chef de service chapeautant cinq intervenantes socio-judiciaires – un métier encore mal connu des professionnels du travail social.

Œuvrant au sein des associations sociojudiciaires, les ISJ sont chargés par les juridictions pénales ou civiles de mesures d’investigation (enquêtes sociales rapides, sociales familiales ou de personnalité, auditions de mineurs, etc.) destinées à éclairer les magistrats dans leurs décisions, ou de mesures alternatives aux poursuites ou à la détention (rappel à la loi, contrôle judiciaire, sursis avec mise à l’épreuve, etc.). Objectif : favoriser la prévention de la délinquance et de la récidive, notamment en contribuant à la réinsertion des auteurs. Pour réaliser de telles missions, les ISJ doivent maîtriser et combiner trois types d’approches : sociale, judiciaire et psychologique. « S’il se limite à l’aspect judiciaire, l’ISJ réduit sa mission à un relevé factuel de dires ou de faits qui n’aide pas la personne à éviter la récidive, ni n’en protège la société et qui, par conséquent, réduit à néant l’intérêt de la personnalisation de la peine », indique une enquête conduite en 2007 auprès de six structures (2) pour le compte de la fédération Citoyens et justice (3) – dont les 150 adhérents représentent la majorité des associations socio-judiciaires. A l’inverse, poursuit le document, « s’il se limite à la dimension personnelle ou sociale des sujets qu’il rencontre, l’ISJ engage un travail clinique ou social dont il n’a pas nécessairement le mandat ni les moyens et qui n’aidera pas le magistrat à prendre sa décision dans les délais fixés. »

D’après les calculs de Citoyens et justice, un millier d’intervenants socio- judiciaires exerceraient en France, mettant en œuvre 300 000 mesures chaque année. Faute de qualification spécifique (voir encadré page 23), leurs profils et parcours sont extrêmement variés, la plupart cumulant plusieurs diplômes de niveau supérieur. Ce jour-là, à Meaux, se trouvent ainsi Audrey Watelet, juriste, Manon Mansion, psychologue diplômée en sciences criminelles, et Carole Thomer, juriste ayant exercé en psychiatrie médico-légale. Nathalie Biessy est pour sa part titulaire du diplôme d’Etat d’assistant de service social, obtenu en 2007 après une première vie professionnelle dans le commerce et la comptabilité. Elle a ensuite passé six ans dans le secteur de la protection de l’enfance, avant de suivre un diplôme universitaire de criminologie et de rejoindre Horizon. Compte tenu de la complexité des missions, cette diversité des expériences constitue une indéniable richesse. L’association veille cependant à outiller ses professionnels, afin qu’ils exercent dans « un cadre partagé et pertinent », souligne François Catel, le directeur d’Horizon. Les ISJ du service se rendent ainsi régulièrement en formation, en particulier auprès de Citoyens et justice, qui a développé une véritable méthodologie de travail. « L’an dernier, l’équipe a suivi des formations sur l’enquête sociale familiale, les troubles de la personnalité, la résidence alternée ou encore les auditions de mineurs », liste le responsable.

UNE ENQUÊTE SOCIALE RAPIDE APRÈS LA GARDE À VUE

Au quotidien, chaque ISJ travaille individuellement. Les magistrats mandatent l’association pour exécuter les mesures et celle-ci répartit les dossiers en fonction de la charge de travail et de l’expérience de chacun. Chaque jour, à tour de rôle, l’une des professionnelles assure au tribunal de grande instance tout proche la permanence d’orientation pénale : à l’issue de sa garde à vue et avant sa présentation en comparution immédiate, chaque prévenu fait l’objet d’une enquête sociale rapide qui vise à vérifier sa situation matérielle, familiale et sociale, et à informer le magistrat sur les mesures propres à favoriser ou à maintenir son insertion sociale. Cette individualisation des tâches n’empêche pas des échanges constants au sein de l’équipe. A l’issue de la réunion de service, Audrey Watelet s’installe ainsi avec Carole Thomer pour lui faire part de son embarras. A la demande d’un juge aux affaires familiales, elle doit réaliser une enquête sociale approfondie et formuler des préconisations sur les modalités de garde d’un enfant dont sa collègue a précédemment suivi le père en contrôle judiciaire pour des faits de violences sur sa première épouse. A la suite d’une information préoccupante, la résidence alternée a été suspendue. La jeune ISJ a rencontré le père, les filles adolescentes issues de son premier mariage, le petit garçon né du second, et s’est rendue au domicile… Presque bouclé, son rapport compte déjà une vingtaine de pages. « Attention, dans l’enquête sociale familiale, ce qui intéresse les juges, c’est la prise en charge des enfants, pas l’histoire des gens », l’avertit sa collègue. « A vrai dire, je n’ai rien noté d’alarmant dans la relation de Monsieur avec ses enfants, explique Audrey Watelet. J’ai davantage été frappée par son mal-être à lui. »

RENFORCER LE SUIVI SOCIO-ÉDUCATIF

A quelques jours de la remise de son rapport, la juriste sèche sur ses préconisations. Rien de très étonnant, selon Nathalie Biessy. « Depuis un an que je dirige le service, je me suis aperçue que nos ISJ ne connaissaient pas toujours très bien le secteur social, pointe-t-elle. Par exemple, elles peuvent se trouver en difficulté pour formuler des propositions aux magistrats, car elles font mal la distinction entre les différentes mesures d’assistance éducative. » D’où la priorité du service pour 2014 : organiser des rencontres avec les partenaires du champ social et médico-social afin de mieux cerner le rôle et les spécificités de chacun. Mais connaître ses partenaires ne suffit pas. A moyen terme, la responsable milite aussi pour l’embauche d’un autre travailleur social – « idéalement, un assistant de service social avec des connaissances en droit » –, ce qui réinjecterait de l’accompagnement socioéducatif dans les pratiques. « Quand je relis les écrits rédigés par les ISJ avant leur remise au magistrat, mon regard d’assistante sociale me conduit très souvent à leur soumettre des questions supplémentaires, liées à l’accompagnement social des personnes, raconte Nathalie Biessy. Par exemple, je leur demande quelles orientations elles suggèrent s’il y a des problématiques d’emploi, ou si elles ont détecté des difficultés psychologiques…  » Une telle dimension pourrait être renforcée par l’entrée dans l’équipe d’un travailleur social, « davantage formé à réfléchir aux orientations, à connaître les ressources de son environnement, à tra vailler en lien avec des partenaires ».

Outre les mesures d’investigation, l’autre grande mission des intervenants sociojudiciaires est la mise en œuvre de mesures alternatives aux poursuites ou à la détention, en particulier le contrôle judiciaire socioéducatif (CJSE). Celui-ci peut parfois s’étaler sur plusieurs années. D’un côté, il astreint la personne à se soumettre à une ou plusieurs obligations définies par un magistrat. De l’autre, il doit permettre d’éviter les ruptures familiales, professionnelles et sociales, tout en initiant un travail de prise de conscience et de responsabilisation de l’intéressé. « Si l’on se cantonne à vérifier le respect des obligations formulées par le juge sans amener la personne à travailler sur son acte ou à faire évoluer sa situation, on passe à côté de l’objectif de prévention de la récidive », résume la chef de service. Cet accompagnement global doit cependant rester savamment dosé, et demeurer dans le cadre de la commande judiciaire : pas question de pousser trop loin le suivi, au risque de déborder d’une mission clairement définie par les textes.

Les conditions dans lesquelles s’exerce le CJSE ne permettent cependant pas toujours de lui donner toute son ampleur. Cet après-midi, Manon Mansion reçoit un jeune père de famille poursuivi pour des faits de violences conjugales. Son ex-compagne, à laquelle il aurait asséné plusieurs gifles après une grosse dispute, a déménagé en province, et il n’a pas vu son fils depuis quatre mois. Discret, l’homme rentre dans le bureau d’entretien la tête basse. « Il est un peu dépressif par rapport à tout ça, souligne Manon Mansion. Il ne s’attendait pas du tout à se retrouver en garde à vue avec des menottes, ne se considère pas comme quelqu’un de violent et ne comprend pas comment il en est arrivé là. » Parmi les obligations formulées par le magistrat, figure la participation au groupe de parole destiné aux auteurs de violences conjugales, mis en œuvre par l’association sur des cycles de quatre séances. Mais le mandatement est récent et l’audience approche : impossible de lui trouver une place dans un groupe. L’homme se présentera devant le juge sans avoir pu réfléchir à son acte.

Les aspects matériels et pratiques pèsent lourdement sur l’activité du secteur sociojudiciaire. Le financement, en particulier, constitue un enjeu crucial, tant il est, par nature, fragile et instable. Les associations sont en effet rémunérées à la mission. Les tarifs ? 70 €, sur frais de justice, pour une enquête sociale rapide ; 1 110 € pour une enquête de personnalité – une pièce très importante dans les dossiers judiciaires, en particulier en matière criminelle – ; 925 € pour six mois de contrôle judiciaire. « Un scandale », dénonce François Catel, d’autant que les montants « stagnent depuis dix ans ». Le professionnalisme des ISJ doit donc se déployer tout en tenant compte, au quotidien, de ces contingences matérielles : ne pas passer plus d’une heure et demie sur une enquête sociale rapide, ne pas multiplier les déplacements superflus pour une enquête familiale… Et toujours s’en tenir à la commande judiciaire pour éviter de s’éparpiller. « Dans le cas d’une enquête rapide pour des faits de violence conjugale, par exemple, le magistrat n’est pas intéressé par les aspects socio-professionnels, donc inutile de creuser de ce côté-là, indique Carole Thomer. En revanche, il faut examiner l’histoire du couple, et se positionner sur la réitération des faits. »

SE BATTRE POUR PRÉSERVER LE BUDGET

Dans ces conditions, « un service présentenciel tout seul ne peut pas vivre », constate François Catel. Pour sa part, le service action judiciaire d’Horizon représente moins de 10 % du budget total de l’association. Et les professionnels doivent se battre pour le conserver. « Au moindre changement de politique pénale, les mandatements peuvent s’effondrer », souligne le directeur, qui garde encore en mémoire la chute spectaculaire des mesures de contrôle judiciaire lorsque Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait évoqué la suppression des juges d’instruction, en 2009. Bien plus, chaque magistrat est libre de choisir le prestataire – collaborateur occasionnel ou association – auquel il souhaite confier une mission. En 2012, l’installation dans le ressort du tribunal de Meaux d’une association concurrente a ainsi entraîné une fonte drastique du nombre d’enquêtes de personnalité confiées à Horizon. Des évolutions préjudiciables à l’équilibre budgétaire, et qui ne s’endiguent pas seulement en faisant « de beaux suivis » : l’encadrement doit également savoir prendre « sa casquette de VRP » face aux magistrats. La rentrée solennelle du tribunal, l’arrivée d’un nouveau juge constituent ainsi autant d’occasions de valoriser les compétences des professionnels et de faire le point sur les attentes des juridictions. Un lobbying qui peut payer : à la fin 2013, le parquet de Meaux confiait ainsi à Horizon la mise en place d’un stage de responsabilisation pour les auteurs de violences conjugales. Une marque de confiance, et une nouvelle mission qui devrait permettre à l’association de se démarquer de ses concurrentes… et de continuer à développer ses activités.

FOCUS
Du métier à la profession

Un métier… mais pas encore une profession. Les intervenants sociojudiciaires (ISJ) connaissent une diversité de statuts, de modes de rémunération et de formations. Depuis 2002, Citoyens et justice, la fédération des associations sociojudiciaires, travaille donc à la professionnalisation de ce jeune métier qui « n’a qu’une quarantaine d’années », rappelle Denis L’Hour, son directeur général. Jusqu’à présent, pourtant, les discussions avec la Chancellerie n’ont pas abouti. Parmi les points de blocage, la concurrence entre ISJ du secteur associatif et collaborateurs occasionnels du service public de la justice.

Créé par un décret de 2000, le statut de collaborateur occasionnel s’applique notamment aux « enquêteurs sociaux ou de personnalité » ou aux personnes « contribuant au contrôle judiciaire ou au sursis avec mise à l’épreuve » (4). Des intervenants indépendants travaillant en électrons libres sur des missions délicates, hors de tout cadre d’intervention formalisé – contrairement aux ISJ du secteur associatif. « La mise en œuvre d’une réelle qualification permettrait d’harmoniser le niveau de formation et les pratiques des ISJ, dans le respect d’un cadre déontologique rigoureux – notamment concernant la neutralité, l’impartialité, la laïcité, le secret professionnel… », explique Denis L’Hour.

Faute de réponse du ministère, empêtré dans les questions liées à la rémunération des collaborateurs occasionnels (théoriquement salariés mais jamais déclarés), Citoyens et justice a donc décidé, en octobre dernier, de créer son propre certificat d’ISJ. Interne à la fédération, il devrait, à terme, favoriser la « lisibilité » pour les partenaires, l’harmonisation des pratiques, mais aussi la mobilité géographique pour les professionnels.

Notes

(1) Horizon : 3, av. de la Victoire - 77334 Meaux cedex – Tél. 01 60 09 93 93. Secteur insertion socio-judiciaire : 30, av. du Maréchal-Joffre – 77100 Meaux – Tél. 0160099391 – www.horizon-77.com.

(2) Analyse ETED de l’emploi d’ISJ réalisée par le cabinet Conseil, étude et développement appliqué aux entreprises et aux territoires pour Citoyens et justice et le fonds de formation Unifaf (février 2007).

(3) Citoyens et justice : 351, bd du Président-Wilson - CS 31679 – 33073 Bordeaux cedex – Tél. 05 56 99 29 24 – www.citoyens-justice.fr.

(4) Art. R. 92 du code de procédure pénale.

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