Cette méthode, qui consiste à évaluer des innovations sociales déployées à petite échelle avant d’en envisager la généralisation, s’est développée dans les années 1960 aux Etats-Unis. En France, elle a été rendue possible par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 qui permet aux collectivités de mettre en place des expérimentations sociales de trois à cinq ans. A partir de 2006, la montée en charge de cette méthode a été très rapide et a généré un foisonnement d’expérimentations, dont la plus emblématique est celle du revenu de solidarité active (RSA).
Des centaines d’expérimentations ont vu le jour, principalement financées par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) mais aussi via le programme européen Progress (2). C’est très positif. Reste que les exemples de généralisation sont rares. Outre le RSA, on peut citer la « mallette des parents », un dispositif évalué en 2008-2009, essaimé progressivement, qui vise à favoriser l’implication des parents dans l’éducation de leurs enfants par des temps d’échanges avec les professeurs du collège. Un quart des collèges sont aujourd’hui concernés par ce dispositif. La façon dont la généralisation du RSA a eu lieu fait toujours l’objet de débats, certains considérant qu’il a été mis en œuvre trop vite. On touche ici à une limite : le temps de l’évaluation n’est pas le temps politique. L’expérimentation du RSA devait durer trois ans. Or le gouvernement a choisi de le généraliser sur la base du rapport intermédiaire réalisé au bout de 18 mois et dont les conclusions étaient plus positives que celles du rapport final. Par ailleurs, la question du financement de l’évaluation est cruciale : certains projets ont été abandonnés à la fin de la période d’expérimentation sans attendre les conclusions de l’évaluation, faute de financement.
L’aspect partenarial inhérent à la démarche peut être déstabilisant pour des institutions habituées à travailler dans un cercle restreint. D’autant qu’il n’y a pas de lien hiérarchique entre les acteurs et souvent pas de pilote naturel. Cela remet en question les rôles de chacun et certains acteurs ont pu se sentir dépossédés. Prenons l’exemple de l’expérimentation financée par le FEJ sur « la promotion de l’apprentissage et la sécurisation des parcours des jeunes apprentis en France ».
Deux sites se sont retirés du dispositif : le premier car les acteurs considéraient que le projet nécessitait une consolidation des relations entre partenaires, le second parce qu’ils estimaient que ce projet pouvait compromettre d’autres actions engagées par les missions locales du territoire. Pour améliorer le dispositif, nous proposons qu’un acteur tiers soit chargé de piloter l’expérimentation, de faire respecter les calendriers et d’assurer la fluidité des échanges.
Lorsqu’un dispositif expérimental est lancé sur un territoire, il ne concerne qu’une partie du public et exclut, de fait, une autre partie, ce qui crée une inégalité de traitement. Autre question : faut-il dire aux personnes qu’elles participent à une expérimentation, au risque d’influencer les résultats ? Pour répondre à ces questions, nous proposons de concevoir une « charte de l’évaluateur ».
Nous préconisons un essaimage progressif des expérimentations. A l’étranger, certaines expérimentations ont mis 15, voire 20 ans avant d’être généralisées. Ensuite, pour une meilleure diffusion des savoirs, nous plaidons pour la création d’espaces d’échanges entre les acteurs qui mettent en place des expérimentations, ainsi que la création d’instances nationales indépendantes chargée d’en tirer des enseignements. Le dialogue est central pour continuer à améliorer cette méthode et la promouvoir pendant la prochaine décennie.
(1) « L’expérimentation sociale à l’épreuve du terrain » – Mars 2013 – Disp. sur
(2) Programme communautaire pour l’emploi et la solidarité sociale et instrument de microfinancement.