L’aide-soignante Caroline Duvoid retire la chemise de nuit de Simone Mouchon pour commencer sa toilette. De l’autre côté du lit médicalisé, Marylène Saint Cyr, auxiliaire de vie sociale (AVS), aide sa collègue pour la manutention de l’octogénaire. Depuis son accident vasculaire cérébral, voilà dix ans, Simone Mouchon vit aux côtés de son mari dans leur pavillon de Toussieux (Ain), entre Lyon et Villefranche-sur-Saône. Lourdement handicapée, elle s’exprime très difficilement et demeure hémiplégique du côté gauche. C’est la prise en charge par l’association Val de Saône Dombes services (VSDS), un service polyvalent d’aide et de soins à domicile (Spasad), qui a permis ce maintien à domicile au long cours (1). Depuis 2003, tous les matins et tous les soirs, un binôme de l’association - une soignante détachée du service de soins infirmiers à domicile (SSIAD), en blouse blanche, et une AVS du service d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), en blouse verte - se rend chez Simone Mouchon pour lui faire sa toilette, l’habiller, l’installer dans son fauteuil, lui préparer le petit déjeuner et aider à l’entretien du logement. « Ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui interviennent mais, à force, je connais toutes les professionnelles de l’association », sourit Guy Mouchon. Depuis quelques jours, lui aussi bénéficie des prestations de VSDS : son médecin lui a prescrit la pose de bas de contention. Atteint de polyarthrite rhumatoïde déformante, il ne peut les enfiler seul, et c’est Caroline Duvoid qui l’assiste dans cette tâche.
Les proches du couple sont également très présents, entre les enfants, les petits-enfants et les voisins qui passent. Tous les usagers suivis par VSDS ne sont pas autant entourés et, dans ce cas-là, l’intervention de professionnels des services à domicile est encore plus importante, ne serait-ce que pour le moral. Ici, l’ambiance est conviviale, Guy Mouchon propose un café aux salariés du Spasad, tandis qu’elles transfèrent son épouse sur un fauteuil à l’aide du lève-malade. « Contrairement à ce que l’on constate dans les structures d’hébergement, l’intervention à domicile permet de s’adapter aux besoins de la personne et de lui consacrer le temps nécessaire, explique Caroline Duvoid. Et travailler au sein d’un Spasad donne la possibilité d’intervenir en binôme pour les cas les plus lourds. Quand je travaillais à l’hôpital, j’ai souvent dû m’occuper seule de personnes comme cette dame, et c’est physiquement très dur. » L’aide-soignante remplit le classeur de liaison et enfile son manteau. Son emploi du temps de la matinée est bien rempli : sept interventions sont prévues sur un large périmètre géographique. « Parfois, c’est juste un lavement de pied ou un shampoing, parfois, c’est un changement de pansement, selon le plan de soin. »
Marylène Saint Cyr reste un peu plus longtemps chez les Mouchon ; elle doit aider Simone à prendre son petit déjeuner puis passer un coup de balai, avant de continuer sa tournée, qui ne s’achèvera qu’à 20 heures, après les derniers couchers. Cependant, aujourd’hui, l’emploi du temps de l’auxiliaire de vie est chamboulé : la personne chez qui elle travaillait habituellement à midi est décédée la veille… Elle s’occupait de cette dame depuis de longues années et sa disparition ne la laisse pas indifférente. Mais, pour l’heure, une question la taraude : « Où sont les dents de Simone Mouchon ? »
Au même moment, à Saint-Didier-de-Formans, petite commune distante de cinq kilomètres, un autre binôme du VSDS s’affaire autour de Jacqueline Duvillard. A 93 ans, atteinte de la maladie de Parkinson, elle a vu ces derniers mois son autonomie décliner, au point de ne plus pouvoir se lever seule pour prendre sa douche. Elsa Martinant, aide-soignante, et Véronique Goiffon, AVS, sont chargées de faire sa toilette au lit. Ici, le Spasad intervient trois fois par jour - en binôme le matin, puis uniquement une AVS le midi et le soir - tandis que la fille de Mme Duvillard s’occupe d’elle le reste du temps. « Ma mère voulait rester chez elle, même si, avec 100 heures d’intervention par mois, auxquelles il faut ajouter l’achat de produits d’hygiène, ce maintien à domicile a un coût élevé… » Françoise Duvillard s’est tournée sciemment vers VSDS : « Je me suis renseignée, je savais que c’était à la fois un service de soins infirmiers et un service d’aide à domicile. Avec deux entités différentes, l’organisation aurait été bien trop compliquée », affirme-t-elle.
« Jacqueline Duvillard n’est plus du tout autonome ; prendre soin d’elle nécessite beaucoup de manutentions et de transferts. Heureusement, sa chambre est spacieuse et jusqu’à récemment la salle de bains était bien adaptée. Dans des endroits plus exigus, le maintien à domicile n’est pas possible - il faut de la place pour un lit médicalisé, un lève-malade, etc. », précise Elsa Martinant, tout en posant un pansement au niveau du sacrum de sa patiente. Selon elle, la prise en charge à domicile présente de nombreux avantages : « Nous prenons le temps de discuter avec les usagers, ce n’est pas vraiment possible en maison de retraite, où l’on est toujours pressés. Ici, je reste trois quarts d’heure, cela me permet de terminer la toilette par un petit massage du dos »… qui donne le sourire à la nonagénaire. Véronique Goiffon apprécie aussi la variété des missions qui lui sont confiées. « Dans une matinée, je peux aider à faire une toilette en binôme, puis réaliser seule une toilette - quand l’usager ne souffre pas de grandes fragilités, qu’il est assez autonome et qu’il n’y a pas besoin de manutention -, préparer un repas, faire des courses, participer à une activité manuelle… », énumère-t-elle, tout en installant Mme Duvillard devant son petit déjeuner. « Ici, je fais aussi de la “présence responsable” quand l’aidante familiale a besoin de répit. »
Ce matin, Fatima El Brinssi, responsable du pôle « aide », vient faire le point sur la prise en charge avec la fille de Mme Duvillard : « Au début, nous avions uniquement proposé l’intervention d’auxiliaires de vie, mais peu à peu, sur préconisation du médecin, il a été nécessaire d’intégrer la partie SSIAD de l’association. Parfois, ce sont nos aides à domicile qui nous alertent quand elles estiment que les besoins ne relèvent plus de leurs compétences. »
De retour au siège de VSDS, à Reyrieux (Ain), un état des lieux de cette situation est dressé avec l’ensemble des collègues. Eve-Marie Westphal, responsable du pôle « soins », évoque les atouts de cette prise en charge multiforme : « Le fonctionnement en Spasad est un luxe ! D’une part, cela permet une prise en charge globale de la personne. Le plan d’aide tient compte de l’ensemble de ses besoins (en termes de soins comme d’alimentation), de ses habitudes de vie, mais aussi de son environnement. D’autre part, cela facilite notre travail de coordination. » La professionnelle parle d’expérience : « Je me souviens de la fois où un aidant principal a été soudainement hospitalisé. L’information est parvenue simultanément au SSIAD et au SAAD, ce qui a permis la mise en place immédiate de solutions. Au contraire de ce qui peut se passer dans les territoires où le SSIAD de l’association n’a pas l’autorisation d’intervenir, comme dans le Rhône [2], où répondre rapidement aux situations d’urgence est plus difficile. » Quant aux binômes, ils sont quasiment inexistants lorsque deux associations distinctes collaborent : « C’est trop compliqué de caler les horaires d’intervention d’une aide-soignante d’une association avec ceux de l’aide à domicile d’une autre. » Responsable de secteur au SAAD, Odile Fattelay renchérit : « Dans un Spasad, les professionnels travaillent en toute transparence. Je sais comment fonctionne le SSIAD, et réciproquement. C’est sécurisant pour l’usager, qui constate que les aides-soignantes et les auxiliaires de vie, qui font partie d’une même entité, se connaissent et ont l’habitude de travailler ensemble. » « Les familles et les usagers sont soulagés de n’avoir qu’un seul interlocuteur, pointe enfin Sylvie Sourice, infirmière coordinatrice adjointe. Beaucoup d’entre eux sont lassés de voir défiler une succession de services pour des visites d’évaluation. Le partage d’informations entre nos pôles leur évite d’avoir à répéter leurs problématiques. »
Malgré leurs atouts, les Spasad sont encore peu nombreux en France. Depuis le décret du 25 juin 2004 qui en a défini les contours (3), seuls 91 ont été créés. L’association VSDS est, elle, bien plus ancienne : née en 1983, il s’agissait alors d’un SSIAD de 20 places. En 1989, une première étape est franchie, avec la création d’un service d’aide mandataire, auquel s’ajoutera dix ans plus tard un service prestataire. Même s’ils étaient sous la même entité, dirigés par une même personne et situés dans les mêmes locaux, ces services étaient bien distincts. Si cela n’était « ni structuré ni formalisé », explique Michel Poulard, directeur de VSDS, ils fonctionnaient cependant déjà sans le savoir selon la logique des futurs Spasad. « Quand le décret est paru, on s’est rendu compte que c’était la traduction exacte de ce que l’on faisait. La reconnaissance a permis de formaliser le travail de coordination et de proposer des formations communes à l’ensemble des salariés des pôles “soins” et “aide”. »
Néanmoins, fonctionner en Spasad se révèle un choix complexe, tant les obstacles juridiques freinent leur développement. « Ce type de service est soumis à deux régimes d’autorisations - l’une est délivrée par l’agence régionale de santé pour le SSIAD, l’autre par le conseil général pour le SAAD. Il doit jongler avec deux régimes de tarification distincts - en fonction d’un nombre de places pour le premier [60 à VSDS], selon une logique d’heures pour le second [60 000 heures] - et établir deux lignes budgétaires. Seule la convention collective du 21 mai 2010 de la branche de l’aide à domicile est la même », soupire Michel Poulard. A cela s’ajoutent des territoires d’intervention différents, les SSIAD œuvrant sur une zone géographique plus restreinte que celle des services d’aide à domicile. Une situation d’autant plus compliquée que VSDS est situé à la limite de l’Ain et du Rhône, deux départements très dissemblables tant par les populations qu’ils abritent que par leur couleur politique. « Cela implique que l’on ait le double de partenaires et le double de réunions. Et ce temps de coordination, reconnu dans les textes, ne bénéficie d’aucune reconnaissance financière ! », regrette le directeur de l’association. Mais Michel Poulard reste optimiste. Depuis plusieurs années, il se bat aux côtés de la fédération Adessa A Domicile (réseau de 400 services d’aide et de soins à domicile) pour une meilleure reconnaissance des Spasad, et se réjouit que le projet de loi pour l’adaptation de la société au vieillissement (4), qui devrait être soumis le 9 avril au conseil des ministres, prévoie de lancer des « Spasad de deuxième génération » avec un mode d’organisation intégratif. « C’est notre force de conviction et la démonstration exacte de ce qui se passe sur le terrain qui nous permettront de franchir les obstacles », souligne-t-il. Ne subsistera plus alors qu’un défi à relever, celui de l’humain : « Le personnel du SSIAD [14 aides-soignantes] vient du sanitaire, où la culture est celle du secret -, tandis que le personnel du SAAD [60 personnes], issu du médico-social, prône le partage de l'information »…
Outre ces deux services, le Spasad VSDS intègre depuis 2011 une équipe spécialisée Alzheimer à domicile (ESAD). Une psychomotricienne et deux assistantes de soins en gérontologie proposent, sur prescription médicale, des séances de soins de réhabilitation et d’accompagnement à des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de pathologies apparentées. « L’objectif est de maintenir leur autonomie de manière qu’elles restent le plus longtemps possible à domicile », détaille Eve-Marie Westphal, qui coordonne également ce pôle. Ainsi, pour certains des 600 usagers de VSDS, ce sont les trois services du Spasad qui interviennent, toujours sur la base d’un projet unique d’aide. Pour compléter cette offre, VSDS a été cocréateur de l’accueil de jour Aux Lucioles, ouvert en novembre 2012. « Nous ne voulons pas être tentaculaires, mais pouvoir répondre aux demandes qui se présentent », précise la responsable.
Eve-Marie Westphal a justement rendez-vous à l’hôpital de Trévoux (Ain) pour une évaluation : « Au mois de décembre, Estelle Saint-Maurice, 88 ans, s’est brisé l’épaule. A peine rentrée chez elle après sa rééducation, elle a pris froid, il y a eu des complications pulmonaires et elle s’est retrouvée aux urgences. La voilà sur pied, mais comme son mari est également diminué, leur fils a estimé qu’il leur fallait de l’aide pour pouvoir rester chez eux. » Accompagnée de Fatima El Brinssi, Eve-Marie Westphal retrouve Anne Briez, assistante de service social de l’hôpital, et Sylvie Mével, l’ergothérapeute de l’établissement, pour faire le point avec la famille à quelques jours de la sortie de l’octogénaire. « Madame se lève et va aux toilettes toute seule, elle peut s’habiller, la baignoire a été remplacée par une douche… Mais, d’après moi, il faudrait que quelqu’un lui donne la douche et lui fasse son shampoing », résume l’ergothérapeute. Estelle Saint-Maurice acquiesce. Fatima El Brinssi prend ensuite la parole : « VSDS intervient chez vous déjà depuis quelques mois pour la préparation des repas ; je pense que l’on devrait faire venir une aide à domicile en plus pour l’aide à la toilette le matin. Quelles sont vos habitudes ? Vous vous levez à quelle heure ? Plutôt des douches ou la toilette au gant ? » Quant au fils du couple, il demande : « Une heure d’intervention cinq fois par semaine suffirait-elle pour la toilette et un peu d’entretien du logement ? » Fatima recadre : « La toilette prend du temps, il ne sera pas possible de faire le ménage, ou alors seulement le repassage de deux-trois chemises. » Elle l’informe aussi sur les tarifs et la prise en charge possible. « On va commencer comme cela et on s’adaptera si les besoins évoluent. » Elle précise que les interventions du Spasad débuteront dès le lendemain de la sortie de l’hôpital et qu’une responsable de VSDS se rendra alors à l’appartement avec l’aide à domicile « pour installer les choses tranquillement, voir les ordonnances, mettre en place le cahier de liaison ».
Le couple semble appréhender cette nouvelle organisation de leur quotidien. Eve-Marie Westphal se veut rassurante mais ferme : « Rester à domicile, c’est accepter que l’aide vienne chez soi. Aujourd’hui, vous avez le choix d’aller en établissement ou de rester chez vous. Vous ne voulez pas quitter votre domicile, il faut donc accepter qu’un tiers vous donne un coup de main, s’assure que tout va bien. » Georges Saint-Maurice admet : « Il y a un mois, nous étions tous deux dans un tel état de santé que l’on est passés à deux doigts du drame. Mais je pense qu’il fallait que l’on passe par ce stade pour se rendre compte que l’on avait besoin d’une aide. Aujourd’hui, il faut faire fi du passé, c’est en quelque sorte une deuxième vie qui commence. » « On va dire que c’est une nouvelle étape », modère Fatima El Brinssi.
(1) VSDS : 225, rue Louis-Antoine-Duriat - 01600 Reyrieux - Tél. 04 74 00 35 17 -
(2) Le SAAD, dont le territoire d’intervention est défini par le conseil général, intervient sur plusieurs cantons de l’Ain et une partie du département du Rhône. Le SSIAD, qui dépend de l’agence régionale de santé, n’intervient que dans les cantons de Reyrieux et de Trévoux, dans l’Ain. Quant à l’équipe spécialisée Alzheimer à domicile, elle est autorisée à intervenir sur 11 cantons de ce département.
(3) Voir ASH n° 2366 du 2-07-04, p. 11.
(4) Voir ASH n° 2848 du 21-02-14, p. 11 et 39.