« Je veux dessiner un JCHICHX ! - Excuse-moi, je n’ai pas bien compris. - Un SCHYCHINH ! » Ce jour-là, Ulric Stahl devra faire preuve de talent de décryptage et de pas mal de patience pour comprendre que la résidente de la maison d’accueil spécialisée désirait dessiner un chien… Aujourd’hui, de cette mésaventure comme de bien d’autres qu’il a vécues au centre en tant qu’animateur de l’atelier d’arts plastiques, il a fait une bande dessinée humoristique. L’expérience du jeune dessinateur auprès de ce public fut courte, le temps d’un remplacement de congé maternité, alors que les commandes d’illustrations se faisaient rares et les besoins financiers croissants. En acceptant cette mission, il ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Alors qu’il s’était imaginé rencontrer des personnes atteintes d’un handicap léger, avec lesquelles il pourrait communiquer, il se retrouve dans une structure accueillant des polyhandicapés, un monde totalement inconnu pour lui, qu’il compare dans les premières pages de Un caillou dans la chaussure à un film de science-fiction. Là où il espérait pouvoir faire faire aux résidents « de la peinture et du dessin », il se rend vite compte qu’il devra se limiter à quelques décorations de Noël ratées, un peu de collage, de gravure, de modelage… Quand il sort les feutres, ceux-ci se retrouvent immanquablement au sol ou dans la bouche des résidents ! Le dessinateur traverse des périodes de doute sur ses capacités à assumer la fonction. Car de fait, en plus d’animer les ateliers stricto sensu, il doit aider les résidents à se déplacer et les accompagner durant le déjeuner. Et, nécessité faisant loi, il lui arrive de ramasser des poches d’urine ou de nettoyer des filets de bave ! « Il faut le reconnaître, au début, le public est impressionnant, surtout seul avec l’un d’entre eux dans un ascenseur. On a toujours des images débiles en tête… Mais on devient moins con de jour en jour », écrit Ulric Stahl dans ses bulles monochromes. Tout comme l’Australienne Mirranda Burton dans la BD Cachés (1), mais avec un trait plus léger et un ton moins grave, il nous plonge dans son quotidien d’artiste au sein de cette structure qu’il garde anonyme. Au fil des semaines, il commence à cerner les handicaps, à rire de bon cœur avec les résidents et, surtout, à leur découvrir des capacités insoupçonnées. Puis, un jour, son contrat se termine. « On se dit qu’on reviendra. Revenir, pour quoi faire ? C’est sans doute mieux d’être de passage, ça permet au temps de faire le tri entre les bons souvenirs et les moments moins sympas. »
Un caillou dans la chaussure
Ulric - Ed. Jarjille - 12 €
(1) Voir ASH n° 2809 du 10-05-13, p. 24.