Recevoir la newsletter

Prévention spécialisée et prévention de la délinquance : des liens à construire ?

Article réservé aux abonnés

Alors que le Comité interministériel de prévention de la délinquance se penche sur le sujet, un rapport alimente le débat en montrant que des collaborations sont possibles. A condition que les éducateurs défendent leurs principes et soient force de proposition.

« Une inquiétude et un pari. » Tels sont les termes qui ont conduit, en 2012, au lancement de la recherche sur les liens entre prévention spécialisée et prévention de la délinquance, à l’initiative de l’Association départementale pour le développement des actions de prévention (Addap 13) à Marseille, explique en préambule le rapport qui en résulte, tout récemment rendu public (1). Pendant 18 mois, l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) a mené une enquête de terrain, pilotée par la sociologue Véronique Le Goaziou, en lien avec Laurent Mucchielli, auprès des services de l’association et de leurs partenaires sur plusieurs sites des Bouches-du-Rhône. « Les premiers entretiens réalisés auprès des éducateurs et des cadres de l’Addap 13, d’une part, et le vent mauvais qui a soufflé sur des associations de prévention spécialisée dans certains départements (Charente, Bas-Rhin, Seine-Maritime…) durant la durée de l’étude, d’autre part, ont renforcé le sentiment des sociologues que leur travail portait sur une pratique professionnelle inquiète pour son avenir », précise d’emblée le rapport. Mais, « loin d’une opposition binaire » entre deux champs politiques, « se faisait jour l’idée que l’enquête devait tenter de déterminer comment la prévention spécialisée et la prévention de la délinquance se nourrissent et se travaillent mutuellement lorsqu’elles sont mises en œuvre concrètement, sur des territoires, par les acteurs et les professionnels concernés ».

Eviter les confusions

En quoi les actions mises en œuvre par les éducateurs concourent-elles à la prévention de l’acte délictueux ou de sa réitération ? Quelle place les politiques locales de sécurité accordent-elles à la prévention spécialisée et quel rôle cette dernière entend-elle y jouer ? Le rapport souligne le décalage entre le « malaise des éducateurs lorsque l’on aborde la question de la délinquance de leurs publics » – ces derniers ne sont pas réductibles aux comportements délictueux, par ailleurs une dimension parmi d’autres de la marginalisation – et leur expertise sur le sujet. A tel point que, reconnus comme des acteurs uniques sur le territoire, en proximité avec les lieux de vie des jeunes et capables d’entrer en relation avec eux dans une relation de confiance, les éducateurs de rue sont de plus en plus sollicités par les institutions, dont les acteurs qui conduisent les politiques locales de sécurité. « Le risque n’est-il pas que les informations, l’expertise, l’ingénierie de projet, les ressources humaines et réflexives de la prévention spécialisée soient captées, voire placées dans l’orbite communale, les municipalités occupant graduellement une position stratégique pour l’octroi des subventions au secteur associatif ? » Le rapport répond en témoignant des diverses « tactiques et manœuvres » des éducateurs de prévention spécialisée pour respecter leurs missions dans les instances partenariales, tout en essayant de peser sur les décisions qui auront un effet sur leurs publics. Des « accommodements » ou négociations permanentes qui, sans forcément répondre à toutes les convoitises, visent à poser un cadre respectueux de l’intérêt du jeune, des principes d’action de la protection de l’enfance et de l’intimité des publics. Les éducateurs peuvent encore utilliser les informations à leur profit, notamment pour renverser les images véhiculées dans les cellules des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et pour privilégier les diagnostics sociaux et les réponses éducatives. Certains éducateurs y voient l’opportunité de faire changer l’image pesant sur les quartiers, de plaider en faveur de certaines situations difficiles.

Ils peuvent aller jusqu’à interroger les institutions sur leurs pratiques et leur fonctionnement. Décoder les incompréhensions entre les familles et l’école, ou transformer un cas individuel en problématique générale peuvent devenir des leviers d’actions, même si, bien sûr, la mise en place de ces manœuvres et leurs effets sur les représentations et les pratiques dépendent des contextes locaux, plus ou moins marqués par une politique répressive.

La parole de l’éducatif

« Une politique locale de sécurité n’est pas en elle-même un danger et il n’y a pas d’incompatibilité de nature entre la prévention spécialisée et des programmes de prévention de la délinquance », conclut l’étude. Si la prévention spécialisée est bien implantée dans le territoire, avec des effectifs suffisants et si elle exerce en permanence une vigilance locale, « alors elle peut incontestablement être force de proposition ». La contrepartie ? « Un travail sur [ses] propres peurs » et une « mise en visibilité » de ses pratiques et de leurs résultats. « On doit rentrer dans les instances. On doit donner à voir qui on est et ce qu’on fait, dit un cadre de l’Addap 13. Là où les pionniers de la prévention spécialisée ont dû faire dans la clandestinité, nous, nous devons communiquer. » Les éducateurs participent à la prévention de la délinquance, « plus on le dira, plus on pourra la faire à notre façon », argue un autre.

Sur un plan stratégique, la prévention spécialisée pourrait, si elle ne porte pas elle-même la parole de l’éducatif, être concurrencée et, à terme, disparaître. Elle doit, en outre, ouvrir deux chantiers de réflexion, recommande le rapport : l’un sur les possibilités d’accompagner les jeunes vers l’insertion, l’autre sur les actions centrées sur les actions collectives. Au moment où l’avenir du Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée reste incertain, le rapport insiste aussi sur la pertinence d’avoir un « lieu de définition d’une politique nationale de la prévention spécialisée… qui pourra aussi porter sa vision politique des problèmes sociaux et éducatifs ».

Ces conclusions ne manqueront pas de nourrir les débats. Elles rejoignent en tout cas la volonté du Comité national des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS), qui participe depuis plus d’un an à deux groupes de travail constitués par le Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD). L’un vise à la rédaction d’un guide sur l’impli­cation de la prévention spécialisée dans la politique de prévention de la délinquance, l’autre, qui associe également le Conseil supérieur du travail social, à faciliter et à sécuriser l’échange d’informations confidentielles au sein des groupes opérationnels des CLSPD, dans le respect de la loi et de la déontologie des différents acteurs concernés. Les dernières réunions sont prévues début avril. « Nous défendons farouchement l’idée que la prévention spécialisée doit rester dans la protection de l’enfance », explique Richard Pierre, président du CNLAPS. Si l’actualisation de la charte déonto­logique-type pour l’échange d’informations au sein des CLSPD a pour but d’inciter davantage les acteurs de la prévention spécialisée à participer activement à ces instances, « elle devrait être accompagnée d’un guide d’utilisation et comporter des avancées sur les garanties apportées aux professionnels » sur le respect des principes propres à leur champ d’action, assure-t-il. Le CNLAPS a par ailleurs l’ambition, d’ici à 2015, de rédiger un référentiel sur les fondements, les principes et les méthodes (notamment le travail collectif) de la prévention spécialisée. « Il faut conserver des principes, mais, par exemple, l’accompagnement vers l’insertion nécessite d’actualiser celui sur l’anonymat », précise Richard Pierre. Le président du CNLAPS compte, par ailleurs, défendre la place et la sécurisation juridique de la prévention spé­cialisée dans le cadre des travaux sur l’évaluation de la loi sur la protection de l’enfance.

Notes

(1) Disponible sur http://ordcs.mmsh.univ-aix.fr.

Côté terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur