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Loi pénitentiaire et santé mentale des détenus au cœur des critiques du contrôleur des prisons

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Dans son dernier rapport d’activité, Jean-Marie Delarue pointe les obstacles à la mise en œuvre de la loi du 24 novembre 2009 et à une prise en charge adaptée des personnes détenues ou retenues souffrant de troubles psychiatriques.

« Il ne suffit pas de voter une loi pour transformer en profondeur la vie en prison et modifier les pratiques qui y ont cours », constate Jean-Marie Delarue dans son rapport d’activité 2013 (1) en faisant référence à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (2), qui, selon lui, « a connu une application contrastée ». Le contrôleur général des lieux de privation de liberté critique également le traitement réservé aux personnes détenues ou retenues souffrant de troubles psychiatriques, pointant de nombreux « obstacles à une prise en charge adaptée ». Il s’agit là du dernier rapport de Jean-Marie Delarue puisque son mandat s’achève en juin prochain, après six années passées à ce poste. Peut-être aura-t-il quand même le temps de voir le Parlement adopter la proposition de loi sur l’élargissement des missions de l’institution (3).

Une application « contrastée » de la loi pénitentiaire

La mise en œuvre de la loi pénitentiaire a « souffert d’une parution tardive des textes réglementaires d’application différée dans le temps – près de quatre années pour certains – et plus encore d’un contexte politique et social qui a conduit à une surpopulation pénale importante », déplore le contrôleur général. Estimant en outre que les « limites maintes fois apportées aux principes [consacrés par la loi], pour des raisons de maintien du bon ordre et de sécurité des établissements pénitentiaires, ont atténué la force de ceux-ci ». Sans excuser l’administration pénitentiaire, Jean-Marie Delarue reconnaît toutefois qu’elle n’a « pas toujours eu les moyens d’appliquer la loi dans toutes ses dimensions », « certainement » en raison de la crise économique qui a pu peser sur l’octroi de moyens supplémentaires. Au final, conclut-il, « la mise en œuvre de la loi a été mal accompagnée par l’administration centrale qui a laissé se développer de grandes disparités dans son application ».

Certes, des progrès ont été accomplis, notamment en matière d’accueil des arrivants et d’exercice des voies de recours au sein de la prison. Mais beaucoup reste à faire, estime le contrôleur général. Ainsi, par exemple, l’encellulement individuel, susceptible d’éviter les violences, est une « promesse non tenue ». Il est finalement « accessible à peu de maisons d’arrêt, en raison de leur encombrement ». Pour limiter les violences, les directeurs d’établissements pénitentiaires « changent la victime de cellule ou l’affectent au quartier d’isolement », regrette Jean-Marie Delarue. Et « il est malheureusement évident » que le délai accordé à l’administration pénitentiaire pour mettre en œuvre cette mesure – c’est-à-dire jusqu’au 25 novembre 2014 – « ne sera pas respecté ». Mais, « à défaut de parvenir dans l’immédiat à la totalité de cet objectif, la réglementation devrait s’efforcer d’y parvenir par paliers, en y faisant accéder certaines catégories présentant des traits spécifiques de vulnérabilité (personnes non francophones, sourds-muets…) ».

Le contrôleur relève par ailleurs que si, de manière générale, les établissements pour peines ont mis en place le parcours d’exécution de la peine (PEP) prévu par la loi, ce n’est pas le cas des maisons d’arrêt, « en raison de la brièveté de l’incarcération dans ce type d’établissements et de l’absence de recrutement de psychologues dédiés au PEP ». En outre, constate-t-il, à l’occasion des changements d’affectation ou des transferts de détenus, « les éléments du PEP élaborés dans l’établissement précédent ne sont pas systématiquement repris ». Jean-Marie Delarue recommande donc que des règles précises opposables soient édictées pour l’élaboration du PEP et son suivi dans le temps, y compris en cas de transfert entre établissements. Il suggère en outre « que les ressources humaines indispensables à la réussite d’un tel outil soient mises en place dans les établissements ».

Autre point de vigilance du contrôleur général: la domiciliation des détenus auprès de l’établissement pénitentiaire pour pouvoir exercer leurs droits civiques ou prétendre à leurs droits sociaux. Or, en 2012, seules 275 domiciliations ont été effectuées pour plus de 64 000 personnes détenues. Pour améliorer cette situation, Jean-Marie Delarue préconise que la loi ouvre la possibilité d’accorder aux détenus une domiciliation auprès du centre communal ou intercommunal d’action sociale proche du lieu où ils recherchent une activité dans le cadre d’une préparation à sa sortie.

L’institution pointe par ailleurs les « limites » de l’aide aux détenus indigents que l’établissement pénitentiaire doit octroyer, soit en nature (vêtements, nécessaire de toilette…), soit en espèces, à ceux dont les ressources ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins de base. « Sauf exceptions », cette règle est globalement appliquée, relève le contrôleur, qui note cependant des « différences d’interprétation qui peuvent aller à l’encontre de l’objectif recherché ». Par exemple, « les sommes versées aux personnes détenues dans le cadre de l’aide familiale sont parfois prises en compte pour déterminer si celles-ci peuvent ou non être qualifiées de personnes sans ressources suffisantes ». Ce qui est « contraire aux règles de droit commun », s’insurge Jean-Marie Delarue. Pour mettre fin aux situations de grande pauvreté des détenus, il suggère donc de revoir les règles de perception des minima sociaux et de généraliser un plancher de ressources fixe et hors ressources familiales pour le versement d’un pécule qu’il souhaite voir « substantiellement relevé ».

La santé mentale à l’épreuve de l’enfermement

Il faut absolument « mieux connaître l’importance des troubles psychiatriques dans les lieux d’enfermement », plaide par ailleurs le contrôleur général qui, constatant l’absence ou l’ancienneté des études sur ce sujet, recommande le lancement d’enquêtes épidémiologiques longitudinales dans tous les lieux de privation de liberté : prisons, centres éducatifs fermés (CEF), centres de rétention administrative (CRA) et hôpitaux psychiatriques. Il estime également que « tous les personnels intervenant en milieu fermé devraient recevoir une formation sur les troubles psychiques et psychiatriques, permettant de repérer de tels troubles et d’adapter leurs pratiques professionnelles, comme le prévoit le guide méthodologique sur la prise en charge des personnes placées sous main de justice » diffusé en 2012 (4).

Au-delà, Jean-Marie Delarue recommande d’organiser un accès à des soins psychiatriques en CRA, via les conventions conclues entre les centres et les établissements hospitaliers. Des vacations de psychiatres hospitaliers ou libéraux au sein des CRA devraient en outre être systématiques, estime-t-il. S’agissant des CEF, y compris ceux renforcés en professionnels spécialisés en santé mentale, le contrôle général préconise la signature systématique de conventions tripartites entre la protection judiciaire de la jeunesse, les associations et le secteur de la psychiatrie infanto-juvénile pour organiser « un véritable réseau de soins permettant une prise en charge alliant accueil en CEF et soins thérapeutiques. Ces soins doivent être accessibles aux adolescents présentant des troubles psychiatriques caractérisés mais aussi à ceux, qui, du fait de leurs souffrances psychiques, nécessitent un accompagnement soutenu », ajoute-t-il. Enfin, au regard des difficultés de prise en charge des troubles de la personnalité en milieu pénitentiaire, le contrôleur général recommande la création ou le renforcement du nombre de postes d’infirmiers et de psychologues dans les unités sanitaires.

LE CONTRÔLEUR DES PRISONS RÉCLAME DES EFFECTIFS SUPPLÉMENTAIRES

En 2013, le nombre de lettres adressées au contrôleur général des lieux de privation de liberté (4 116) tend à se stabiliser (+ 1 % par rapport à 2012). La plupart émanaient des personnes concernées (75,57 %). Pour les personnes hospitalisées, les principaux motifs de saisine ont trait aux procédures (37,13 %), aux relations avec l’extérieur (9,14 %) ou encore à l’accès aux soins (7,92 %). Les personnes détenues, elles, l’ont sollicité au sujet des transferts (13,79 %), des relations détenus/personnels (9,68 %) ou bien de l’accès aux soins (9,53 %). Entre janvier et novembre 2013, le contrôleur général a ouvert 446 dossiers d’enquête (contre 674 sur la même période en 2012), soit une estimation de 487 dossiers sur l’ensemble de l’année.

Autre point notable : le délai de réponse de l’institution s’est allongé, passant de 41 jours en 2012 à 62 jours en 2013. Ce qui reflète, selon le contrôleur général, la complexité des cas qui lui sont soumis. Aussi Jean-Marie Delarue demande-t-il des effectifs complémentaires pour ramener le délai de réponse à un seuil « acceptable ».

Notes

(1) Rapport prochainement disponible sur www.cglpl.fr.

(2) Voir ASH n° 2636 du 11-12-09, p. 41 et n° 2637 du 18-12-09, p. 45

(3) Voir ASH n° 2844 du 24-01-14, p. 11.

(4) Voir ASH n° 2783 du 16-11-12, p. 39.

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