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Redevenir maître de sa vie

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Dans le Haut-Rhin, un dispositif mobile vient en aide aux victimes d’infractions pénales. Depuis 2003, grâce à un solide réseau de partenaires, il intervient rapidement afin de limiter l’ancrage d’un traumatisme.

Voilà à peine cinq minutes que la ligne est ouverte et, déjà, Tarik Ofatah reçoit un appel. Après quelques secondes d’échange, il empoigne mallette et clés de voiture et abandonne un café à moitié avalé. Le directeur de l’association Accord68, à Mulhouse (1), se rend dans une agence bancaire où une jeune femme en stage a fait part à sa supérieure des menaces de mort qu’elle subit. Depuis qu’ils l’ont croisée en compagnie de deux garçons, ses frères veulent la marier de force.

« En général, nous sommes plutôt saisis par un acteur public, comme la police », précise Tarik Ofatah, qui se rappelle cependant être déjà intervenu dans une banque à l’issue d’un braquage. Mais cette fois c’est une salariée de l’agence qui, sur les conseils des services sociaux de la mairie, a appelé le Dispositif mobile d’accompagnement des victimes dans l’immédiat (Dimavi), mis en place il y a onze ans par Accord68. La ligne fonctionne en semaine de 9 heures à 20 heures, et jusqu’à 18 heures les week-ends et jours fériés. Son but : intervenir auprès des victimes d’infractions pénales aussi vite que possible après que l’acte a été commis ou révélé, et leur fournir un accompagnement à la fois juridique, social et psychologique. « Si vous n’intervenez pas dans l’immédiat, la personne se replie sur elle-même en se disant qu’elle ne pourra pas s’en sortir. Il peut y avoir des conséquences somatiques », avertit Anne-Marie Weibel, directrice du Service d’urgence sociale (S.UR.SO), un accueil de jour partenaire du Dimavi depuis sa création.

UN TRAVAIL SUR LE SENTIMENT DE CULPABILITÉ

D’où la nécessité, en plus d’être réactifs, de faire preuve d’une grande mobilité. « Les gens sont complètement effrayés par leur situation, il faut aller vers eux, là où ils se trouvent. Ils ont déjà fait l’effort de venir chez nous, ce serait compliqué d’aller ensuite dans les locaux d’Accord68. Plus nous leur évitons les démarches, plus les gens sont rassurés », souligne Anne-Marie Weibel. Accord68 possède à cet effet deux voitures banalisées prêtes à sillonner les 377?communes du Haut-Rhin. Les huit salariés de l’association assurent des permanences roulantes pour le Dimavi, parallèlement à leur activité sédentaire d’aide aux victimes, qui se tient tant dans leurs locaux qu’à la Maison de justice et du droit. A l’origine, la plupart sont juristes et formés à la victimologie. L’équipe comprend en outre une psychologue à mi-temps et une assistante sociale en cours de remplacement.

Lorsqu’ils rencontrent les victimes – de violence conjugale, d’agression sexuelle, de harcèlement, de vol… –, le but premier des professionnels de l’équipe est de les faire parler de ce qui leur est arrivé. « Ce n’est pas toujours facile de déballer tout ça, mais il faut leur permettre de se réapproprier leur histoire, détaille Tarik Ofatah. On travaille beaucoup sur le ressenti et le sentiment de culpabilité, qui revient souvent chez les victimes d’infrac­tion. Quand elles se sentent considérées et non jugées, ça facilite les choses. » Puis ils leur expliquent leurs droits. « Vu que ce qui vous est arrivé est interdit par la loi, vous pouvez porter plainte », précise, avec beaucoup de douceur, Isabelle Depommier, coordinatrice du service d’aide aux victimes d’Accord68, à une femme d’une vingtaine d’années battue et séquestrée par son conjoint pendant quatre mois. C’est l’assistant social du S.UR.SO de Mulhouse qui a appelé le Dimavi. Habituellement, les salariés d’Accord68 interviennent à peine le téléphone raccroché – si tel est le souhait de la victime –, mais cette fois un rendez-vous a été convenu de la veille pour le lendemain : cette jeune mère kosovare ne parlant pas français, il a fallu prendre le temps de trouver un interprète.

La voilà assise autour d’une table en compagnie de l’assistant social, d’une traductrice et d’Isabelle Depommier. Elle s’inquiète aussitôt : si elle porte plainte, la police va-t-elle répéter ses propos à son compagnon ? « J’ai peur », confie-t-elle, ayant réussi à s’échapper à la faveur d’un Nouvel An arrosé durant lequel son bourreau a manqué de vigilance. Isabelle Depommier lui explique comment se déroule un dépôt de plainte, ce que la démarche implique, et précise que cela n’aboutit pas toujours à une condamnation. Elle l’informe aussi que son conjoint étant le père biologique, il a des droits sur leur enfant, mais qu’elle aidera la jeune femme si celle-ci souhaite porter plainte, en se gardant bien d’influencer sa décision. « Il faut faire en sorte que les personnes prennent elles-mêmes les décisions, justifie Isabelle Depommier. Nous valorisons le fait qu’elles fassent des choix. D’autres personnes ont beaucoup décidé à leur place, donc elles nous demandent souvent ce que nous ferions si nous étions elles. Sur le coup, elles sont parfois un peu déçues que nous ne le leur disions pas, mais c’est d’une importance capitale pour dépasser ce qu’elles ont vécu. Nous leur montrons qu’elles sont en capacité de faire des choses. » Si les victimes souhaitent dénoncer leur agresseur, le Dimavi peut les accompagner physiquement au commissariat – ce que ne peuvent pas toujours faire les travailleurs sociaux. « Nous avons l’approche sociale, l’empathie, pour rassurer les personnes afin qu’elles entament leurs démarches. Mais nous n’avons pas cette mobilité qu’a le Dimavi, ni la possibilité de mobiliser une personne toute une journée, voire plus », reconnaît Michel Naegelen, assistant social au S.UR.SO.

Dans les cas de violences intrafamiliales – soit huit affaires sur dix, les violences conjugales étant ultramajoritaires –, le Dimavi évoque rapidement la possibilité d’appeler le 115, précisant aux victimes qu’elles ne sont pas obligées de rentrer chez elles, auprès de leur agresseur. Un moment crucial : décider de quitter un conjoint violent est une chose, mais sans soutien les victimes ont tendance à rebrousser chemin. Elles prennent peur, baissent les bras, pensent aux conséquences et décident souvent de retourner au domicile, qui reste malgré tout un point de repère majeur et, paradoxalement, un lieu rassurant. En intervenant immédiatement, le Dimavi fait office de béquille solide et les aide à aller au bout de leur démarche. Et même si, finalement, elles ne sautent pas le pas, « elles ne sont plus dans le même état qu’avant, assure Isabelle Depommier. Elles sont capables de dire à leur mari qu’elles peuvent porter plainte. Elles ont des outils et savent que nous pouvons les rattraper en cas de besoin. »

L’ÉVALUATION COMPLEXE DU DISPOSITIF

L’expérience Dimavi a débuté en 2003, sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo, alors ministre délégué à la ville. A l’époque, cinq communes se lancent dans l’expérimentation d’un service d’aide aux victimes d’urgence (SAVU) : Mulhouse, mais aussi Valenciennes, Blois, Marseille et Bordeaux, coordonné au sein de l’Inavem, la Fédération nationale d’aide aux victimes et de médiation. Néanmoins, craignant une confusion avec le SAMU, Accord68 décide de se détacher de la dénomination officielle SAVU et préfère le terme d’« immédiateté » à celui d’« urgence », trop connoté « santé ». Depuis 2003, deux SAVU ont ouvert, à Nanterre (Hauts-de-Seine) et à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), mais, faute de subventions, l’association de Blois a fermé, entraînant le service dans sa chute. Et les autres, Mulhouse compris, se savent également menacés. « Ces dispositifs coûtent cher et on n’en voit pas toujours la concrétisation, c’est compliqué à vendre », déplore-t-on à l’Inavem. Leur financement était initialement assuré par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), mais l’enveloppe n’était que temporaire, destinée uniquement à soutenir des projets innovants appelés à basculer ensuite dans les dispositifs de droit commun.

Habilitée par le ministère de la Justice et fonctionnant avec un budget de 400 000 €, Accord68 est subventionnée par l’Etat, le conseil général, l’agglo­mération et plusieurs communes du département. Les fonds du Dimavi proviennent, eux, exclusivement du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), à hauteur de 84 000 €en 2013, contre 100 000 € en 2010 et 2011. Une baisse qui préoccupe les partenaires quant à la pérennité de ce dispositif dont ils louent l’efficacité. Non seulement les pouvoirs publics ne placent pas les dispositifs mobiles d’aide aux victimes parmi leurs priorités, mais également un financeur a besoin de chiffres, d’éléments tangibles, pour apprécier la pertinence de l’outil. « Le fait de prendre en charge une victime permet d’éviter la rupture familiale, professionnelle, la détresse médicale, et d’économiser de l’argent à la Sécurité sociale, énumère-t-on du côté de l’Inavem. Mais nous n’avons pas réussi à faire évaluer ce que nous faisions gagner à la société par cette action, d’autant que nous nous occupons en général également d’autres membres de sa famille. Nous travaillons sur des outils d’évaluation, mais nous n’en sommes qu’au début. » En attendant, à Mulhouse, ­l’activité du Dimavi connaît une croissance exponentielle. En 2013, il est intervenu à 1 150 reprises sur l’ensemble du département, soit deux fois plus qu’en 2008. Une hausse de son activité liée en particulier à l’explosion des signalements de violences conjugales. « Il n’y a pas forcément plus de victimes, mais les femmes savent davantage demander de l’aide, où aller », analyse Tarik Ofatah, convaincu que c’est l’heureuse conséquence de la politique nationale menée par le gouvernement en faveur de l’égalité hommes-femmes.

Le Dimavi n’est jamais contacté directement par les victimes, mais toujours par des professionnels (police, gendarmerie, services sociaux, hôpital, etc.), qui jugent de la pertinence ou non de le saisir. Une victime qui semble pouvoir se débrouiller seule ne sera pas orientée vers l’association. Grâce à ce filtre, « 99 % des appels sont bien destinés au dispositif », se félicite le directeur. Au fil des ans, un solide réseau de partenaires s’est tissé, capable de prendre en charge la victime de bout en bout, si tel est son souhait. « Dans l’aide aux victimes, nous ne maîtrisons pas tout, puisque d’autres acteurs prennent les décisions. Nous devons prendre en compte les partenaires et ne pas faire à leur place », insiste Isabelle Depommier. Le Dimavi peut ainsi solliciter les services sociaux de la ville pour obtenir des bons alimentaires, appeler le 115 pour trouver un hébergement d’urgence, renvoyer les victimes vers le barreau de Mulhouse, avec lequel l’association a passé une convention pour l’accès à l’aide juridictionnelle… Les salariés ont une vision globale du réseau existant, sachant précisément qui fait quoi, et jouent un rôle de relais sans chercher à court-circuiter leurs partenaires. « Leur spécialisation et leurs connaissances législatives, notamment au niveau des violences conjugales, nous sont vraiment très utiles. Nous nous sentons nous-mêmes rassurés dans notre pratique », salue Michel Naegelen, l’assistant social du S.UR.SO, qui constate un manque de formation juridique dans le milieu social. Les personnels du Dimavi, qui participent aux réunions d’équipe de leurs partenaires – et inversement –, en profitent parfois pour glisser quelques notions de victimologie. Ils peuvent également prendre rendez-vous directement avec un policier référent pour un dépôt de plainte, et ainsi « réduire les périodes d’attente, et donc minimiser les zones d’incertitude pour les victimes », précise Isabelle Depommier. « Mais nous ne portons pas leur voix, nous ne les représentons pas. » Là où certains plaignants sont accueillis fraîchement par des policiers ou des gendarmes mettant en doute la véracité ou l’importance de leur récit, le Dimavi met pour sa part un point d’honneur à traiter toutes les personnes qui s’adressent à lui comme des victimes. « Nous ne remettons pas en cause, de quelque manière que ce soit, leur parole. La culpa­bilité sera déterminée par le tribunal », clarifie la coordinatrice du service, soucieuse de ne pas empiéter sur le rôle des autres acteurs de la chaîne.

Parmi les partenaires du dispositif, il en est un de taille : le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) d’urgence Le Passavant, à Mulhouse, géré par l’association Accès. Grâce à une convention tripartite passée avec le 115 l’été dernier, 15 des 38 places du centre sont désormais réservées aux victimes de violences familiales orientées par le Dimavi. « Habituellement, les gens arrivent à nous par le 115. Or, souvent, les victimes ne l’appellent pas. C’est un public qui ne nous connaît pas forcément », constate Kheira Cheikh, chef de service au CHRS. Une ligne téléphonique « partenaire » a donc été mise en place entre le Dimavi, le centre d’hébergement et le 115, afin de pouvoir accueillir rapidement une femme ayant pris la décision de quitter le domicile conjugal, avec ou sans ses enfants (pour parer à cette éventualité, les voitures du Dimavi sont équipées de sièges enfants). Résultat, depuis l’ouverture des 15?places, toutes sont occupées sans discontinuer et, dès que l’une d’elles se libère, Kheira Cheikh envoie immédiatement un courriel au Dimavi pour le lui signaler.

TOUJOURS ASSURER UNE RÉPONSE IMMÉDIATE

Grâce à ce CHRS et à d’autres structures d’hébergement, le Dimavi assure avoir toujours trouvé une solution pour les femmes se retrouvant à la rue. « Je vois la différence entre l’avant et l’après-Dimavi, salue Kheira Cheikh. Chez ces femmes, tout se passe dans les premières heures et les premiers jours : si elles ne sont pas soutenues, elles rentrent chez elles. Or le Dimavi répond immédiatement, se déplace et a noué un partenariat avec la police. L’accompagnement physique est essentiel. Le fait qu’ils amènent la personne jusqu’ici permet de faire vraiment le relais, nous évitons une violence institutionnelle en plus du reste. La personne se sent non seulement soutenue, mais aussi contenue. » A l’image de cette trentenaire croisée dans les couloirs du CHRS, victime d’un conjoint très violent. Orientée par le 115 vers le Dimavi, elle a dormi dans un premier temps dans un hôtel de Colmar, puis a rejoint le CHRS d’urgence. Elle est manifestement ravie de revoir Isabelle Depommier, qui l’avait aidée lorsqu’elle avait décidé de quitter son compagnon. « Elle m’a accompagnée pour le dépôt de plainte et pour récupérer mes affaires [2]. Sans eux, je ne serais pas là », confie-t-elle. Ce que confirme Tarik Ofatah : « Les femmes sont méconnaissables entre le moment de la prise en charge d’urgence et deux ou trois mois après. Mais c’est l’ensemble de la chaîne qui fait qu’elles vont mieux. Nous sommes complémentaires. » Le CHRS aimerait d’ailleurs aller plus loin et permettre au Dimavi d’assurer un accompagnement juridique et psychologique au sein même du centre d’hébergement, car, « les premières semaines, les femmes ne sortent pas d’ici, même pour effectuer des démarches », argumente Kheira Cheikh.

Face à des situations aussi variées qu’émotionnellement lourdes, et afin d’analyser leur pratique et d’évacuer les tensions, les salariés d’Accord68 bénéficient tous les mois ou mois et demi d’un suivi par un psychothérapeute. « Certaines situations très difficiles ont un impact sur l’intervenant. Il est fondamental d’avoir une écoute », avance Isabelle Depommier. Les personnes qui sollicitent le Dimavi peuvent, elles aussi, être suivies psychologiquement. Telle cette stagiaire victime de menaces de mort, rencontrée le matin même à la banque. En activant ses réseaux dès la fin de l’entretien, le directeur d’Accord68 lui a trouvé plusieurs pistes d’hébergement éloignées de Mulhouse, ainsi que le souhaitait la jeune femme, enfin prête à couper les ponts. « Nous n’allons pas la lâcher », promet-il.

Notes

(1) Accord68 : 12, rue du Chêne – 68100 Mulhouse – Tél. 03 89 56 28 88 – info@accord68.org.

(2) Si les victimes le souhaitent, le Dimavi les escorte, aux côtés des policiers, pour aller au domicile chercher leurs effets personnels.

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