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« Il faudrait changer le regard de la société sur les sortants de prison »

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Le projet de loi de prévention de la récidive, qui devrait être discuté en avril prochain, entend promouvoir les libérations conditionnelles. Mais comment prendre en charge les ex-détenus ? La sociologue Véronique Le Goaziou a enquêté au sein d’une importante association spécialisée dans l’accueil des sortants de prison. Elle analyse les conditions d’une réinsertion réussie.
Pour les anciens détenus que vous avez rencontrés, que signifie « se réinsérer » ?

Avant tout, c’est avoir des ressources, un logement et, si possible, un travail. C’est cette progression sociale qui, quelle que soit la façon dont elle se présente, leur permet de manifester les capacités morales dont ils pouvaient se croire dépourvus. C’est l’un des grands enseignements de cette enquête, qui contredit les idées reçues sur les ex-détenus qui ne s’en sortiraient pas faute des qualités psychologiques ou morales nécessaires. En réalité, c’est le contraire. On ne peut pas demander à quelqu’un de se projeter dans l’avenir si le présent n’est pas affermi par les éléments rudimentaires de la puissance sociale que sont le logement, le travail et l’argent. On pourra toujours trouver des contre-exemples, mais aucune des personnes que j’ai interrogées ne m’a dit qu’elle n’avait pas envie de s’insérer ni de travailler. Malheureusement, dans le contexte social et économique actuel, c’est extrêmement difficile. Le marché de l’emploi est très dur et c’est le parcours du combattant, sauf pour les rares qui viennent de milieux plus aisés ou qui bénéficient d’un bon niveau d’études.

Comment s’est déroulée votre enquête ?

L’association Arapej (1) accueille des personnes sortant de prison depuis une quarantaine d’années. Elle voulait dresser un bilan de son action en portant un regard sociologique sur l’accueil de ces publics. L’enquête proprement dite a été réalisée il y a trois ans, en coconstruction avec les équipes de l’association. J’ai réalisé une première série d’entretiens – pas loin de 80 – ainsi qu’une série d’observations sur site. Je voulais partir de l’expertise des publics, de ce que j’appelle leurs « savoirs vécus ». Je souhaitais comprendre qui étaient ces personnes avec leur parcours, leurs difficultés, leurs projets éventuels… Six mois plus tard, j’ai réalisé une seconde série d’entretiens auprès de 25 des personnes déjà interrogées. L’objectif était de mesurer comment elles avaient évolué et quel regard elles portaient sur cette période.

Quels sont les profils des personnes accueillies ?

L’Arapej travaille en grande majorité avec des sortants de prison, mais aussi avec des personnes venant de la rue. La plupart sont des hommes, presque tous issus de familles modestes avec des parcours scolaires chaotiques. Du côté des ex-détenus, on distingue trois groupes différents. Il y a d’abord les « professionnels » de la délinquance ou du crime, qui ont accumulé de nombreuses peines de prison au cours de leur existence et n’ont quasiment jamais eu de vie « normale ». Parmi ceux qui sont pris en charge, ce sont les moins mal portants, mais arrivés à un certain âge, ils sont fatigués par les séjours en prison et le délitement des liens familiaux et sociaux. Le deuxième groupe est celui des délinquants sexuels, de plus en plus nombreux en prison. Ils sont issus d’un peu tous les milieux, mais leur parcours familial et psycho­affectif a été en général assez chaotique. Enfin, il y a les petits délinquants, souvent issus des quartiers populaires. Ils ont commis des infractions aux stupéfiants, des violences, très souvent des vols. Ils ont cumulé de courts séjours en prison et n’ont jamais réussi à remettre le pied à l’étrier.

L’absence de liens familiaux et sociaux apparaît comme une constante…

Ceux qui ont conservé ces liens font en effet plutôt figure d’exception. Pour certains, ce délitement remonte à leur enfance mais, dans la majorité des cas, la rupture s’est produite soit lors de leur passage à l’acte, soit durant leur séjour en prison. Lorsqu’ils sortent de détention, ces anciens détenus ont, pour la plupart, perdu quasiment tout lien avec leur famille et leurs proches. Ils sont très seuls. Mais, parfois, ils se sont volontairement éloignés de leurs proches, surtout de leurs enfants lorsqu’ils en ont. En effet, beaucoup de pères ne souhaitent pas rencontrer leurs enfants durant ce qu’ils vivent comme une période de honte et de désarroi. Ils ont besoin de se ressourcer avant de pouvoir retisser du lien.

Ces ex-détenus n’arrivent pas dans le dispositif par hasard…

Ils ne viennent pas à l’Arapej par plaisir : c’est le fruit d’un cheminement personnel. Hormis les plus jeunes, la plupart ont bien conscience que, seuls, ils n’y arriveront pas. Beaucoup ont déjà expérimenté les sorties « sèches » – c’est-à-dire les sorties de prison sans rien de prévu –, qui débouchent le plus souvent sur la récidive. Ils sont donc demandeurs d’une prise en charge, parfois dans le cadre de mesures d’aménagement de peine. Ils ont entendu parler des associations en prison, par des travailleurs sociaux, des conseillers d’insertion et de probation, le juge d’application des peines ou d’autres détenus.

Quel regard ces sortants de prison portent-ils sur leur parcours ?

Très psychologisant, quasi moralisateur. Ils sont extrêmement durs envers eux-mêmes. Aucun de ceux que j’ai rencontrés n’a cherché à justifier ses actes par des conditions sociales et économiques défavorables. Ils ne brandissent pas la fameuse « excuse sociale » tant dénoncée par certains responsables politiques. Bien sûr, ils sont aussi le fruit de déterminants sociaux économiques défavorables, mais ils ne les revendiquent pas. Il est vrai qu’ils sont un peu obligés de s’interroger sur eux-mêmes car un projet d’insertion passe forcément par un travail sur soi. Les travailleurs sociaux aussi les amènent à ce questionnement. Par ailleurs, il est sans doute plus simple d’analyser son parcours à l’aune de ses propres capacités qu’au regard d’une situation socio-économique sur laquelle on n’a aucune prise.

Le respect et l’écoute restent essentiels dans le travail d’accompagnement social…

J’ai été frappé par l’importance de la relation entre les personnes accueillies et les travailleurs sociaux. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus la personne est loin de l’emploi et de l’insertion sociale, plus sa relation avec les accompagnants et le regard que ceux-ci portent sur elle comptent. Les professionnels l’ont parfaitement compris. Le regard, la façon d’accueillir, le ton de la voix…, ces ex-détenus y sont extrêmement sensibles justement parce qu’ils n’ont rien, ou presque, sur le plan social. A l’inverse, pour ceux qui sont plus proches de l’insertion, la relation avec l’accompagnant occupe moins de place. Ils attendent plutôt des réponses concrètes, car ils ont repris de la puissance sociale.

Que se passe-t-il quand leur situation n’évolue pas positivement ?

Le rapport au temps est une dimension centrale dans cette prise en charge. Une personne sortant de prison a besoin d’un temps minimal pour se poser. Faute de cela, se projeter dans le futur est quasiment impossible. De façon imagée, je dirais que pour prendre son élan, il faut un sol stable, sinon on se casse la figure. En revanche, passé une certaine durée, si les personnes n’ont pas l’impression d’avoir posé des jalons vers l’insertion, les choses se dégradent. Elles ont le sentiment de stagner et, du coup, elles peuvent manifester un ras-le-bol et une plainte généralisée. Le temps, qui leur était profitable au début, devient un ennemi.

Quels enseignements tirez-vous de votre recherche menée au sein de l’Arapej ?

Il faut d’abord éviter à tout prix les sorties « sèches ». Personne ne devrait sortir de prison sans une solution en termes d’hébergement et de ressources. Les sorties aménagées permettent de limiter la récidive. Les magistrats et les travailleurs sociaux le savent bien. Malheureusement, la justice manque de juges d’application des peines, de conseillers d’insertion et de probation et, surtout, d’une réelle volonté politique en ce sens. Par ailleurs, on observe un cruel déficit de places dans les structures telles que l’Arapej, et ce n’est pas normal. Enfin, et c’est sans doute le plus difficile, il faudrait changer le regard de la société sur les ­sortants de prison. Ceux-ci sont considérés avec méfiance ou totalement ignorés. Alors que tant de gens ont des difficultés, ceux qui ont ­commis des actes délinquants criminels sont un peu la cinquième roue du carrosse.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Véronique Le Goaziou, sociologue, est chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES-CNRS).

Elle publie Sortir de prison sans y retourner. Parcours de réinsertion réussis (disponible sur www.laurent-mucchielli.org).

Elle est aussi l’auteure, avec Laurent Mucchielli, de La violence des jeunes en question (Ed. Champ social, 2009) (2).

Notes

(1) Créée en 1976, l’Arapej (Association réflexion action prison et justice) Ile-de-France s’est donné pour mission d’accueillir en priorité les personnes sortant de détention ou placées sous main de justice, mais aussi celles en grande difficulté sociale. Elle gère 20 établissements et services.

(2) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 46.

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