Leur public prioritaire diffère : les enfants pour la protection de l’enfance, les parents pour la médiation familiale. De même que leur finalité : exercer un suivi éducatif en vue d’assurer la sécurité (affective, éducative, matérielle…) de l’enfant pour la première, apaiser les conflits familiaux pour la seconde. Et pourtant, leurs effets se rejoignent. « Un enfant pâtit en général d’une séparation qui se déroule mal entre ses parents. Aussi reconstruire la communication parentale malgré les différends relève-t-il directement de l’intérêt de l’enfant », explique Jean-Marc Baudoin, responsable du Point rencontre-Médiation familiale de Châteauroux. Même constat pour David Pioli, coordonnateur du pôle « Droit, psychologie, sociologie de la famille » à l’Union nationale des associations familiales (UNAF) (1) : « A partir du moment où elle permet de pacifier les relations au sein de la famille, la médiation familiale participe en elle-même d’une dynamique protectrice pour l’enfant. »
C’est aussi un moyen efficace de prévention – un des axes majeur de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance : « Elle empêche que le conflit ne se cristallise avec, à la clé, de la maltraitance ou tout simplement une fragilisation psychologique de l’enfant », note Caroline Touny, médiatrice familiale. « En évitant une dégradation de la situation de l’enfant, la médiation familiale limite les risques d’une prise en charge future par un service de la protection de l’enfance, y compris les risques de placement », avance également Sophie Lassalle, secrétaire générale de la Fédération nationale de la médiation et des espaces familiaux (Fenamef).
Son utilité ne se situe toutefois pas qu’en amont des dispositifs de protection de l’enfance. Il existe en effet une surreprésentation d’enfants de couples séparés ou divorcés, parfois dans des situations extrêmement complexes, parmi ceux suivis dans le cadre d’une action éducative à domicile (AED) ou d’une action éducative en milieu ouvert (AEMO) (2). Comme l’indiquait l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) en 2007, 22 % des enfants signalés le sont en raison de conflits de couple ou de séparations difficiles – au deuxième rang des problématiques repérées (3).
Problème : « Les travailleurs sociaux de la protection de l’enfance sont mal armés pour faire face à ces situations de conflits familiaux très lourds », observe David Pioli. Ils « éprouvent de nombreuses difficultés à les traiter » dans la mesure où « ils n’ont pas les compétences pour les prendre en charge », renchérit le sociologue Fathi Ben Mrad (4). Et ce dernier de poursuivre : « Il arrive que le travailleur social n’arrive plus à prendre de recul par rapport au conflit : les parents ont en effet tendance à chercher son adhésion à leur cause ou à l’utiliser pour arbitrer leur différend. Au final, le conflit entrave le suivi de l’enfant avec pour conséquence possible la transmission du dossier à un autre travailleur social, le renouvellement de la mesure, voire le placement en institution. »
D’où « l’intérêt d’un recours à la médiation familiale menée parallèlement et qui complète l’accompagnement socio-éducatif », affirme Jeanne-Marie Trantoul, chargée de mission au pôle « Droit, psychologie, sociologie de la famille » à l’UNAF. « Mieux coordonner l’intervention des médiateurs et des travailleurs sociaux en fonction des besoins des familles permettrait de répondre bien plus finement aux problématiques rencontrées », renchérit Audrey Ringot, présidente de l’Association pour la médiation familiale (APMF). Certaines associations du secteur de la protection de l’enfance ont d’ailleurs fait le choix de se doter de leur propre service de médiation familiale.
Pourtant, cet outil reste globalement très peu utilisé dans le contexte de la protection de l’enfance. « Sur les 350 médiations que nous avons réalisées en 2012, seule une vingtaine concernaient des parents suivis par nos collègues de la protection de l’enfance », constate Marie Lewis, responsable du service de médiation familiale de l’association médico-sociale Olga-Spitzer, qui intervient dans plusieurs départements d’Ile-de-France. « Pour l’instant, penser à orienter les parents vers cette approche est encore loin d’être un réflexe pour un éducateur », abonde Christelle Kempa, responsable de l’Espace famille de l’Association départementale de sauvegarde de l’enfant et de l’adolescent (ADSEA) de l’Allier, qui compte un service de médiation familiale.
Il existe, en effet, de nombreux obstacles à la mise en œuvre de la médiation familiale en complément d’un suivi éducatif. L’insuffisante connaissance qu’en ont les travailleurs sociaux arrive en tête de liste. C’est particulièrement vrai lorsque le service de médiation familiale est externalisé et n’appartient pas à l’association de protection de l’enfance : « La communication entre les deux univers professionnels est alors très difficile : non seulement les travailleurs sociaux n’en ont qu’une vision vague mais ils estiment qu’y recourir peut distendre la continuité de l’accompagnement », observe Fathi Ben Mrad. De fait, il est beaucoup plus aisé pour les professionnels d’orienter vers la médiation familiale lorsque cette approche est proposée en interne. « La proximité des services permet d’attirer plus facilement l’attention de nos collègues éducateurs ou assistants de service social sur l’intérêt de la médiation familiale lorsque l’enfant se retrouve au cœur du conflit familial », remarque Christelle Kempa.
Ce n’est toutefois pas suffisant. De fait, même lorsque les médiateurs exercent au sein d’une association de protection de l’enfance, l’information circule mal compte tenu des pesanteurs institutionnelles et des frontières professionnelles : « Les médiateurs ont du mal à sensibiliser les travailleurs sociaux qu’ils côtoient, tant en raison de la séparation administrative et physique des services que du fait de postures professionnelles considérées comme imperméables l’une à l’autre », regrette David Pioli. « Il faut que les travailleurs sociaux aient le temps d’apprivoiser les médiateurs qui n’ont pas le même positionnement professionnel : le médiateur se situe différemment lors des réunions d’équipe par exemple », précise Myriam Rogez-Morange, responsable du service de médiation familiale de l’UDAF Pas-de-Calais.
Aussi, certains estiment qu’il faudrait inclure une sensibilisation à la médiation familiale dans la formation des travailleurs sociaux. « Le fait d’avoir une meilleure connaissance des spécificités de la démarche les invitera à y recourir davantage et de façon plus appropriée », approuve Fathi Ben Mrad. Tout en leur donnant un cadre pour mieux aborder cet outil avec les parents : « Beaucoup hésitent en effet à proposer une médiation familiale car ils redoutent d’être trop intrusifs dans la vie privée des familles », évoque Myriam Rogez-Morange.
Autre frein qui limite le recours de la médiation familiale : son caractère volontaire, qui s’oppose au cadre contraint de la protection de l’enfance. Certes, rien n’empêche un travailleur social qui suit une famille de conseiller aux parents de consulter un médiateur de leur propre chef. « Il peut les sensibiliser au fait que leur conflit a une incidence sur la situation de l’enfant », note Christelle Kempa. Voire, comme le suggère la médiatrice familiale Michèle Savourey, accompagner les parents au début de la première séance d’information ouvrant le processus de médiation familiale. Mais « il demeure difficile pour une famille faisant l’objet d’une ou plusieurs mesures éducatives sous contrainte – AEMO, enquêtes sociales… –, de s’inscrire dans une telle démarche », souligne David Pioli.
En outre, « ces personnes ont souvent de telles difficultés qu’elles n’ont ni la volonté ni la capacité d’adhérer à la médiation familiale », affirme Didier Chiron, directeur du service social en milieu ouvert au sein d’Areams (Association ressources pour l’accompagnement médico-social et social, ex-Sauvegarde 85), qui coordonne notamment une activité de médiation familiale et des services d’investigation éducative, d’AED et d’AEMO. Même constat pour Marie Lewis : « La médiation familiale s’appuie sur l’idée d’une responsabilisation des parents qui n’est pas toujours compatible avec la défaillance parentale à l’origine du suivi éducatif en protection de l’enfance. » Sans compter que, à la différence des mesures d’aide sociale à l’enfance qui sont gratuites, la médiation familiale a un coût à la charge des parents – calculé selon les ressources de chaque personne (5).
A ces principaux écueils, qui entravent le déploiement de la médiation familiale en protection de l’enfance, s’ajoutent les risques de confusion si le rapprochement n’a pas été bien pensé. Généralement de petite taille, les services de médiation familiale emploient souvent des médiateurs à temps partiel. Dans ce contexte, il n’est pas rare qu’au sein d’une même association un travailleur social formé à cette approche, partage son temps entre une activité de suivi éducatif en AEMO et une activité de médiation. Or « le médiateur, par définition impartial, devient juge et partie lorsqu’il propose une médiation familiale à la famille dont il suit l’enfant par ailleurs au titre de l’aide sociale à l’enfance », met en garde Roger Leconte, fondateur et président d’honneur de la Fenamef. « Il faut veiller à ce que les projets de service soit suffisamment clairs pour éviter ce type de configuration », note Sophie Lassalle. « Ce qui suppose d’avoir réfléchi en amont au rôle de la médiation dans le cadre de la protection de l’enfance et à la façon dont les médiateurs et les autres professionnels vont se coordonner », avance Jeanne-Marie Trantoul.
C’est en tout cas ce qu’essaie de faire Didier Chiron au sein d’Areams : « Même si les professionnels se connaissent les uns et les autres, ce qui a l’intérêt de générer une expertise intéressante en matière de parentalité, les lieux et les équipes sont bien différenciés de façon à ne pas créer d’amalgames. »
Autre obstacle, de taille : la frilosité des magistrats. Alors que les juges aux affaires familiales (JAF) l’utilisent de façon croissante dans le cadre de contentieux familiaux pour prévenir la dégradation du conflit dans l’intérêt de l’enfant (6), les juges des enfants sont encore peu nombreux à ordonner une médiation familiale. En région parisienne, le service de médiation familiale de l’association Olga-Spitzer, un des plus important de France, ne reçoit qu’une dizaine d’orientations par an effectuées par ces magistrats. « Au sein du service de médiation familiale de l’ADSEA de l’Allier, intervenir en protection de l’enfance sur injonction d’un juge des enfants reste encore extrêmement minoritaire », confirme Christelle Kempa.
Quant au service de médiation familiale de l’association Areams, en Vendée, il travaille exclusivement avec des JAF. « C’est un champ encore trop peu exploité alors même que les juges des enfants sont parfois confrontés à des conflits parentaux qui perdurent depuis des années, parfois jusqu’à la violence », regrette Myriam Rogez-Morange.
Les raisons de ce retard sont multiples : outre la méconnaissance de cet outil, le juge des enfants ne peut s’appuyer sur aucune législation précise pour ordonner la médiation familiale – à l’inverse du JAF qui peut se référer à la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale et à la loi du 26 mai 2004 relative au divorce. S’il veut demander une médiation familiale, le juge des enfants doit se référer à la loi du 8 janvier 1995 qui traite de la médiation judiciaire. En outre, étant donné le caractère volontaire de la démarche, il ne peut que recommander aux parents de se rendre à une séance d’information. A eux ensuite de décider ou non de poursuivre le processus.
Convaincus, comme l’expliquait dès 2007 Marc Juston, juge des affaires familiales au tribunal de grande instance (TGI) de Tarascon, que la médiation familiale peut être « une ouverture nouvelle pour le juge des enfants » (7), certains d’entre eux n’hésitent pas toutefois à demander des mesures de médiation familiale à titre principal – par exemple pour favoriser un règlement apaisé du conflit avant l’application de mesures plus contraignantes –, ou les combinent avec des mesures d’action éducative. « Quand il y a une situation conflictuelle durable entre les parents, je suis persuadée que la médiation familiale est souvent plus adaptée que certaines mesures d’AEMO reconduites d’année en année », affirme avec force Christina Rinaldis, juge des enfants au TGI de Pontoise.
Mais, dans certains cas, des confusions persistent : « Certains juges considèrent encore la médiation familiale comme l’équivalent d’une enquête sociale ou d’une expertise qui donne lieu à un rapport et qui va l’aider dans sa décision », regrette Sophie Lassalle. Or, contrairement au travailleur social qui évalue la situation et formule des propositions au juge, le médiateur, qui est neutre, n’est pas tenu de rendre des comptes aux magistrats – c’est seulement si elles le souhaitent que les personnes peuvent faire homologuer leur accord final, s’il y en a un. « Il nous faut donc rappeler encore et encore les objectifs de la médiation familiale », insiste Sophie Lassalle. Même son de cloche du côté de l’AMPF : « Nous devons continuer à nous rendre régulièrement à la rencontre des travailleurs sociaux et des juges des enfants et leur expliquer les spécificités de notre approche pour qu’elle puisse se développer de façon adaptée dans le contexte de la protection de l’enfance », confirme Audrey Ringot. Reste maintenant à espérer que les propositions du groupe de travail sur la coparentalité et la médiation familiale, qui devaient alimenter le projet de loi sur la famille, aujourd’hui suspendu, ne soient pas enterrées.
Le Conseil national consultatif de la médiation familiale en a donné une définition officielle en 2002 : La médiation familiale (8) « est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution ». Développée d’abord aux Etats-Unis et au Canada, elle apparaît en France à la fin des années 1980. Entrée dans le code civil par la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale, elle est confortée en 2004 par la loi qui réforme le divorce. Son objectif : aider les parents à l’exercice consensuel de l’autorité parentale en prévenant les conflits ou en atténuant leurs effets dans l’intérêt des enfants – que ce soit sous la forme d’une médiation conventionnelle (décidée librement par les parties) ou d’une médiation judiciaire (ordonnée par le juge). Particularité : même judiciaire, la médiation familiale reste toujours confidentielle et volontaire (9). Titulaire d’un diplôme d’Etat créé en 2003, le médiateur familial organise la rencontre, restaure le dialogue, identifie les points de désaccord et accompagne l’élaboration de solutions concrètes quel que soit le conflit familial (séparation, succession compliquée, rupture de liens avec la famille pour un jeune adulte ou encore désaccord empêchant les grands-parents de voir leurs petits-enfants…). Il exerce dans des associations du secteur social et médico-social, dans des associations dédiées à la médiation familiale, dans des services publics ou parapublics (CAF, MSA…) et parfois en secteur libéral.
« Alors que les déclarations d’intention sont chaleureuses et prometteuses, personne ne veut prendre en compte ce que la médiation familiale représente en termes de coût (salaires, charges sociales…) », s’inquiète Jean-Marc Baudoin, directeur du Point rencontre-Médiation familiale de Châteauroux et trésorier de la Fédération nationale de la médiation et des espaces familiaux (Fenamef). La convention d’objectifs et de gestion (COG) signée en juillet dernier entre la CNAF, principal financeur de la médiation familiale sous la forme d’une prestation de service, et l’Etat prévoit certes 50 % de crédits supplémentaires pour le soutien à la parentalité, dont 7 % pour la médiation familiale. « Mais cet apport doit s’accompagner d’une multiplication par deux des mesures de médiation familiale : il est donc insuffisant », pointe Sophie Lassalle, secrétaire nationale de la Fenamef. D’autant que si « la prestation de service couvre théoriquement 66 % des dépenses, en réalité, le chiffre tourne plutôt autour de 50 % ; il faut donc aller chercher le reste ailleurs », précise-t-elle. Notamment auprès des ministères de la Cohésion sociale et de la Justice, des conseils généraux, des CAF, de la Mutualité sociale agricole, des centres communaux d’action sociale… Ce qui, dans le contexte actuel, se révèle peu évident. Résultat : certains services de médiation familiale ferment leurs portes. « Les seules associations qui résistent sont celles qui ont encore des fonds propres », relève Sophie Lassalle. Malgré ses 12 financeurs, l’équilibre financier du service de médiation familiale de l’association Olga-Spitzer en région parisienne est précaire : « Les financements de la direction générale de la cohésion sociale s’effondrent, voire disparaissent, et les conseils généraux se montrent de plus en plus prudents », constate Marie Lewis, sa directrice. « Régulièrement nous nous posons la question de notre survie », admet également Jean-Marc Baudoin.
(1) L’UNAF a copiloté une fiche technique intitulée « La médiation familiale dans le contexte de la protection de l’enfance » réalisée par le groupe d’appui à la protection de l’enfance présidé par la Convention nationale des associations de la protection de l’enfant (CNAPE), avril 2013 –
(2) La première est une mesure administrative qui s’exerce à la demande du responsable de l’aide sociale à l’enfance sous l’autorité du président du conseil général en vue de prévenir les dangers qui pèsent sur l’enfant ; la seconde est une mesure judiciaire qui s’exerce à la demande du juge des enfants lorsqu’il existe un danger avéré pour le mineur.
(3)
(4) In « Médiation et protection de l’enfance. Le travail social à l’épreuve de la conflictualité parentale » – Politiques sociales et familiales n° 107 – Mars 2012.
(5) D’après un barème national fixé par la CNAF (de 2 à 131 €). Sauf pour les médiateurs familiaux libéraux qui ont leur propre barème.
(6) Deux expérimentations en cours – la double convocation et la tentative de médiation familiale préalable à l’audience – pourraient d’ailleurs, si elles sont évaluées positivement, être généralisées et renforcer son déploiement dans le cadre de la justice familiale.
(7) Dans une intervention datée du 13 juin 2007 retranscrite en ligne sur
(8) Voir aussi le numéro juridique des ASH intitulé « La médiation familiale. Une voie d’apaisement des conflits » – Décembre 2010 – 15 € –
(9) Le juge ne peut qu’enjoindre aux personnes d’assister à une première séance d’information.