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Ordonnance de 1945 : en chantier, la réforme est loin d’être aboutie…

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Même si les travaux sur le sujet ont commencé, le calendrier politique paraît peu favorable à une issue rapide. Certains préconisent d’abord des amendements dans le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, bientôt au Parlement.

D’abord prévue pour 2013, puis repoussée, au mieux, cette année, la réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs verra-t-elle bientôt le jour ? Elle n’est encore inscrite à aucun calendrier – politique ou parlementaire. Pour autant, a confirmé la garde des Sceaux, Christiane Taubira, le 25 février à l’Assemblée nationale, ses services se sont déjà attelés à la tâche, dans l’objectif de redonner au texte de la « lisibilité », de « re-spécialiser la justice des mineurs et redonner force à l’éducation », avec le souci de renforcer la notion de parcours. Soit de revenir sur les modifications subies ces dernières années, qui « visaient essentiellement à rapprocher la justice des mineurs de la justice des majeurs ».

Renforcer la césure du procès

Les travaux sont pour l’instant menés en toute discrétion. La ministre a, au mois de février, commencé ses consultations, après avoir reçu le compte rendu d’un groupe de travail technique réuni quatre fois par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Composé d’experts, d’avocats, de magistrats, de professionnels de la PJJ et de membres associatifs invités en qualité de personnes « qualifiées », il s’est penché sur plusieurs thèmes comme la détermination d’un âge de responsabilité pénale, la clarification et la simplification de l’éventail des réponses et la césure du procès pénal. Ce dernier projet consisterait à systématiser et à renforcer une idée introduite dans la loi « Mercier » du 10 août 2011, inspirée d’une revendication de l’Association française des magistrats de la famille et de la jeunesse (AFMJF) : séparer l’audience sur la culpabilité, qui permettrait une réparation rapide du préjudice subi par la victime, de celle du jugement, qui interviendrait après un temps éducatif suffisamment long pour trouver la réponse la plus adaptée à la personnalité du mineur, à l’évolution de son comportement et à sa conscience de l’acte commis. En 2011, l’AFMJF avait estimé que la loi avait détourné sa proposition, en permettant au parquet de renvoyer directement le mineur devant le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs.

« On nous annonce une réflexion soutenue en 2014, rapporte Fabienne Quiriau, directrice générale de la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant), qui a participé au groupe de travail. Il ne s’agirait pas d’une refonte totale, mais plutôt d’un réaménagement dans le souci d’articuler, de simplifier, de retrouver des modalités d’accompagnement un peu abandonnées. Pour notre réseau, l’enjeu est de porter l’idée de la diversité et de la modulation des réponses et de construire, en lien avec le milieu ordinaire, l’accompagnement du jeune dans un projet, au-delà de la sanction. »

Un âge de responsabilité pénale ?

La question de l’âge de responsabilité pénale, déjà polémique en 2008, lorsque Rachida Dati nourrissait le projet d’un nouveau « code pénal de la justice des mineurs », est loin d’être tranchée. Le risque serait grand, craignent certains, d’accentuer la répression au-delà du seuil fixé (probablement 13 ans, âge auquel le jeune peut encourir une peine). Les professionnels partagent, en revanche, la volonté de mettre fin aux doublons (l’avertissement solennel et l’admonestation font débat) et confusions, avec le souci de réintroduire de la cohérence dans l’échelle des mesures et des sanctions. « Nous voulons la restauration de la priorité éducative et la suppression des mesures à caractère probatoire ou hybrides, comme les sanctions éducatives qui s’apparentent à des interdictions ou obligations complémentaires. En outre, nous ne sommes pas favorables à la mesure d’activité de jour, qui cible une action prédéfinie alors qu’il revient à l’accompagnement éducatif de faire émerger les besoins particuliers du jeune et de prévoir une prise en charge globale », défend Maria Inès, co-secrétaire nationale du SNPES (Syndicat national des personnels de l’éducatif et du social)-PJJ-FSU. « Nous souhaitons rattraper ce qui a consisté ces dernières années en une démolition méthodique de l’ordonnance de 1945 et revenir sur une justice évolutive, centrée sur la personnalité du mineur », ajoute Christine Lazerges, professeur de droit pénal, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et membre du groupe de travail réuni par la DPJJ. Ce qui nécessiterait aussi « de revenir sur la composition pénale, les jugements à délai rapproché et sur le rôle croissant du parquet pour redonner sa place au juge des enfants », abonde Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ.

Reste que le retard pris sur ce dossier sensible à l’approche des prochains scrutins électoraux, voire d’un remaniement ministériel, laissent les professionnels dubitatifs sur la perspective d’une réforme. « Pour avoir remis un rapport à Lionel Jospin sur le sujet en 1998, je sais combien il est difficile de réformer l’ordonnance de 1945. On va d’échec en échec », estime Christine Lazerges. La CNCDH, qui prépare un avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, juge qu’il faudrait dans un premier temps profiter de ce texte, dont l’examen au Parlement est prévu à partir du 14 avril, pour faire adopter des dispositions sur les mineurs. « Je crains que ce soit la seule loi de la mandature en matière pénale, il serait calamiteux que celle-ci se termine sans que l’on ait supprimé les tribunaux correctionnels pour mineurs et que l’on soit revenu sur l’amoncellement des mesures ! Et il serait un comble que la contrainte pénale [1] ne s’applique pas aux mineurs », explique la présidente de la CNCDH. A condition toutefois d’en préciser les contours et les moyens. Sans compter qu’il est difficile de prévoir ce qui pourrait ressortir d’un débat parlementaire sur l’ordonnance du 2 février 1945. « L’urgence est de supprimer des dispositions comme les tribunaux correctionnels pour mineurs », considère aussi Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny. La garde des Sceaux, bien que préférant élaborer un texte spécifique pour les mineurs, ne serait pas fermée à l’idée d’une suppression de ces juridictions par amendement à son projet de loi sur la récidive.

Comment, par ailleurs, le rapport du sénateur (PS) Jean-Pierre Michel sur la « PJJ au service de la justice des mineurs » (2), remis en janvier dernier au Premier ministre sans avoir été officiellement rendu public, va-t-il alimenter le débat ? Dans la droite ligne des ambitions de la garde des Sceaux, il a le mérite de réaffirmer « les valeurs fondatrices de la justice des mineurs », comme s’en félicite le SNPES, même si les syndicats émettent des réserves sur certaines de ses propositions. L’idée de créer une mesure éducative unique et modulable, par exemple, n’est pas vue d’un bon œil. « Attention au risque de mesure globale sans gradation, avertit Alain Dru. Il faut maintenir quelque chose de lisible, pas seulement pour les juristes ! L’autre risque est de laisser une grande latitude à l’administration, qui pourrait au sein d’une même mesure passer d’un placement en famille d’accueil à un placement en établissement par exemple, sans passer par le magistrat. Ce serait un grand danger en termes de garantie des libertés. »

DES PROPOSITIONS SUR LA PJJ MAL ACCUEILLIES

Les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont loin d’apprécier les propositions du sénateur Jean-Pierre Michel pour améliorer les pratiques de l’administration et les modes de prise en charge des mineurs. S’ils approuvent ses constats sur l’application brutale de la révision générale des politiques publiques et les effets du recentrage sur les mesures pénales, ils perçoivent plusieurs propositions comme « dangereuses » pour le service public de la PJJ. « On aurait pu espérer des propositions qui reviendraient sur ces restructurations, mais, au final, ce sont des nouvelles modalités de travail qui sont proposées », comme la possibilité de confier des mesures éducatives à des « personnes dignes de confiance », déplore le SNPES. Les syndicats ont également du mal à digérer l’explication de la crise traversée par les foyers éducatifs par un manque de motivation ou de compétence des professionnels. « Rien sur les conditions de travail » ou sur le poids des normes, qui réduisent les éducateurs « au rôle d’exécutants incapables de penser », s’insurge la CGT-PJJ. « Selon le rapporteur, ni l’augmentation du nombre de jeunes à 12, ni le remplissage imposé au nom des taux », notamment, « ne sont à prendre en compte ». L’organisation dénonce tout autant la référence aux bénévoles ou la préconisation d’élargir l’intervention du secteur associatif habilité dans le cadre pénal. « Dans cette logique, ce dernier pourrait se voir confier la mesure éducative unique proposée dans le rapport ! », s’alarme Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ.

Dans quelle mesure ces éléments vont-ils être pris en compte dans le cadre du « diagnostic partagé » conduit par la DPJJ ? « Les perspectives ne peuvent pas être déconnectées de la réforme de la décentralisation et des décisions qui seront prises suite au rapport sur la gouvernance territoriale des politiques sociales, dans le cadre de la modernisation de l’action publique qui va proposer une nouvelle répartition des compétences », pronostique Alain Dru.

Notes

(1) Prévue pour les majeurs par le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, elle consiste en une peine alternative à l’incarcération dans certains cas, composée de mesures d’assistance, de contrôle et de suivi adaptées à la personnalité du condamné.

(2) Voir ASH n° 2845 du 31-01-14, p. 12.

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