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« L’expérimentation du lycée Galilée a permis de réduire l’absentéisme et l’échec scolaire »

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Comment lutter contre l’échec scolaire, notamment dans les zones d’éducation prioritaire ? Les enseignants du lycée Galilée, à Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine, mènent depuis 2008 une ambitieuse expérimentation. Bernard Hugonnier, spécialiste de l’éducation, qui lui a consacré un ouvrage, en tire des enseignements pour l’ensemble du système scolaire.
Comment vous êtes-vous intéressé à l’expérience du lycée Galilée ?

Je participe à un séminaire sur l’efficacité de l’école avec Monique Aquilina, la proviseure qui a initié cette expérience. Lorsqu’elle me l’a racontée, j’ai été très intéressé car non seulement elle donnait de bons résultats, mais, en plus, c’était la première fois que je voyais un groupe de professeurs mener une expérimentation réussie et durable avec le soutien des syndicats et de leur hiérarchie. Il m’a semblé que cette expérience était riche d’enseignements, tant pour les lycées que pour les collèges.

Quel est le profil de cet établissement ?

Gennevilliers est situé dans les Hauts-de-Seine, le plus riche département de France, mais c’est une ville plutôt défavorisée. Créé en 1975 et entièrement rénové en 2003, le lycée Galilée se trouve en ZEP [zone d’éducation prioritaire] et regroupe des filières générales et technologiques. Il reçoit en majorité des enfants issus de l’immigration, soit 935?élèves pour une centaine d’enseignants. Dans les années 2000, l’échec et l’abandon scolaires y étaient assez fréquents. On sentait une baisse de motivation, même chez les bons élèves. Des efforts avaient été entrepris, mais sans grand résultat.

Comment est née cette expérimentation ?

En 2008, le recteur de l’académie de Versailles a rappelé aux proviseurs que la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, de 2005, leur permettait de mener des expérimentations et de développer un enseignement personnalisé. Il leur a donné carte blanche. Une dizaine de lycées ont répondu favorablement, dont celui de Gennevilliers, où Monique Aquilina venait d’être nommée. Un petit groupe de professeurs s’est immédiatement proposé pour lancer une expérimentation sur quatre classes de seconde.

Pourquoi seulement des secondes ?

En première et en terminale, il y a beaucoup plus d’options. Il était plus simple de mener ce projet au niveau de la seconde, qui est plus homogène. Par ailleurs, le passage en seconde marque une étape importante pour les jeunes. Ils quittent le collège, où ils sont encore considérés comme des enfants, pour intégrer le lycée, où ils deviennent de jeunes adultes. On leur demande de prendre davantage de responsabilités, de participer davantage en classe… et souvent ils ont du mal à s’adapter à cette nouvelle situation.

Concrètement, en quoi consiste cette expérimentation ?

La première décision a été d’attribuer une salle à chaque classe. Jusque-là, les élèves bougeaient entre les cours, ce qui induisait une perte de temps et de concentration considérable. Mais le plus important a été la modification de l’emploi du temps, d’abord en réduisant le nombre des cours magistraux qui nécessitent une attention particulière. Il n’y en a plus qu’un par jour, durant les deux premières heures de la matinée. Une heure, c’est en effet trop court pour faire à la fois de la théorie et de la mise en application. Or c’est par les exercices que les enfants comprennent la théorie. Mais dans les établissements en ZEP, beaucoup de jeunes ne font pas ce travail à la maison, souvent parce que personne ne peut les aider. D’où l’idée de regrouper sur deux heures le cours théorique et les exercices. Tous les autres enseignements – deux heures le matin et deux heures l’après-midi – se font en classe dédoublée afin de permettre aux élèves d’acquérir non seulement des connaissances, mais aussi de développer des compétences sociales au sein de petits groupes de travail. Bien sûr, cela impose plus de travail aux professeurs, qui ont accepté de le faire sans être payés davantage. Par ailleurs, deux heures hebdomadaires sont désormais dédiées au soutien des élèves en difficulté et un après-midi par semaine est consacré à des activités culturelles et artistiques, avec une dizaine de sorties sur l’année. L’objectif était d’améliorer l’attractivité du lycée grâce à ces activités périscolaires. Il y a eu quelques difficultés d’organisation, mais cela a créé une véritable dynamique. Enfin, la composition des classes a été équilibrée entre bons et moins bons élèves, un système d’études a été mis en place, un système d’évaluation différencié instauré, l’interdisciplinarité développée et un apprentissage de la méthodologie organisé en début d’année par petits groupes. Cette expérimentation repose, on le voit, sur des choses très simples, mais qui ont constitué une véritable révolution pour l’établissement.

Le travail en équipe a aussi été fortement développé…

Il y avait déjà, au lycée Galilée, une certaine habitude de travail en équipe, notamment au sein d’un groupe de professeurs de physique. Ils faisaient déjà, sans le formaliser, de l’accompagnement de jeunes professeurs. Cet état esprit s’est renforcé à partir du moment où ils ont créé l’équipe pédagogique qui leur a permis de développer ce projet. L’élément déclenchant a été le fait d’avoir carte blanche de la part du proviseur et du rectorat. Les 50?enseignants des classes de seconde ont d’ailleurs participé. Ils ont décidé eux-mêmes de ce qu’ils allaient faire. Ce n’est pas le fait d’une instruction ministérielle descendue d’en haut. Ce projet était vraiment le leur.

Quels ont été les résultats ?

Il y a moins d’absentéisme, moins d’échec scolaire, et l’orientation vers les classes supérieures est meilleure. Concrètement, les redoublements en fin de classe de seconde ne sont plus que de 14 % (contre 30 % en moyenne en ZEP) et les notes sont plus élevées de 1 à 1,5 point par rapport aux autres classes de seconde. Pourtant, le niveau d’exigence des professeurs a augmenté grâce à la concentration accrue des élèves. Il faut souligner que cette expérimentation est profitable même aux élèves les plus faibles. En outre, l’ambiance de travail s’est améliorée, les relations entre les enseignants et les élèves sont plus agréables, moins tendues… Une enquête menée auprès de 38?élèves de première passés par une seconde expérimentale montre que 68 % sont convaincus que ce système les a aidés à réussir. Enfin, le turnover des enseignants a diminué.

Ce dispositif est-il généralisable ?

Cela relève d’une volonté politique. Le recteur de l’académie de Versailles a donné carte blanche aux enseignants. Un autre aurait peut-être imposé un dispositif préformaté. Pour peu qu’on leur fasse confiance, les enseignants peuvent prendre des initiatives et se montrer responsables. On sous-estime leurs capacités, notamment en raison du centralisme de l’Education nationale. Dans un pays démocratique, il n’est plus possible que le ministre donne des instructions valables pour l’ensemble des établissements. A l’heure de la montée en puissance des régions, pourquoi ne décentralise-t-on pas l’Education nationale ? Je sais que certains craignent que cela crée des inégalités entre territoires, l’école républicaine étant garante que les mêmes moyens soient accordés à tous. Mais l’Etat pourrait mettre en œuvre une péréquation financière, comme cela se fait dans de nombreux pays. Il faut préciser que l’expérimentation du lycée Galilée n’a rien coûté, sauf aux professeurs qui travaillent davantage. Ils ont bénéficié d’heures supplémentaires au départ, mais plus depuis la reconduction de l’expérimentation. Ce qui montre la force de leur engagement.

Ce type d’initiative est-il une solution face à la montée des inégalités à l’école, pointée par le récent rapport PISA ?

Ce système pourrait inspirer de nombreux autres établissements scolaires, des lycées, mais aussi des collèges, et pas seulement en ZEP. On trouve des élèves en difficulté dans tous les établissements et, bien souvent, on ne fait pas grand-chose pour eux. En France, on a coutume de gérer l’échec scolaire par le redoublement. A 15 ans, 28 % des élèves ont redoublé au moins une fois. C’est beaucoup plus que dans les autres pays industrialisés. Mettre en œuvre ce type d’organisation dès le collège permettrait sans doute de réduire les inégalités scolaires et de limiter le déterminisme social dans l’accès à l’enseignement supérieur. Mais j’insiste, si l’expérimentation du lycée Galilée a marché, c’est qu’il y avait dans cet établissement un noyau de professeurs mobilisés et expérimentés. Les établissements scolaires où enseignent beaucoup de jeunes enseignants peu aguerris, ce qui est souvent le cas en ZEP, auront du mal à se saisir de ce type d’initiatives.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

L’économiste Bernard Hugonnier a notamment été directeur adjoint pour l’éducation à l’OCDE. Il est directeur du Centre d’analyse des politiques d’éducation, maître de conférences à Sciences-Po et membre du conseil scientifique du ministère de l’Education nationale. Il publie Vaincre l’échec scolaire : l’expérience du lycée Galilée (Ed. Economica, 2014) et Le déclin de l’école républicaine (Les Editions du Net, 2013).

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