Dans le cadre de la refondation des politiques d’intégration en matière de droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem a, en octobre 2013, demandé à Olivier Noblecourt, adjoint au maire (PS) de Grenoble chargé de l’action sociale et familiale, de piloter un groupe de travail sur le parcours des femmes immigrées en France. Le 20 février dernier, il a remis ses conclusions (1) à la ministre des Droits des femmes, qui a indiqué qu’elles pourraient donner lieu à l’adoption de mesures dans le cadre du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2) ou du prochain comité interministériel aux droits des femmes.
Selon le rapport, on assiste à une « féminisation des populations immigrées » – les femmes représentaient ainsi 52 % des immigrés en 2008. En outre, la grande majorité d’entre elles n’ont qu’une connaissance « très modeste » de la langue française à leur arrivée en France. A durée de présence en France égale, leur connaissance de la langue est même moindre comparée à celle des hommes, un différentiel « principalement lié à leur faible participation au marché du travail ».
Il faut donc améliorer les politiques publiques de l’accueil, estime l’adjoint au maire de Grenoble. « Si des progrès sont observables depuis quelques années avec la mise en place de l’OFII [Office français de l’immigration et de l’intégration] et des programmes régionaux d’intégration des immigrés [3], les politiques à destination des primo-arrivants souffrent encore d’un manque d’articulation et d’inscription des parcours sur le temps long. » Il préconise ainsi de « mettre en place un service intégré de l’accueil », reposant sur le décloisonnement des structures, le repérage et la qualification des acteurs. Et de préciser que ce service devra s’appuyer sur l’élaboration de conventions entre l’OFII et des structures capables de construire des passerelles pour inscrire les bénéficiaires dans un parcours (4). Selon lui, ce parcours doit être mis en place dès l’arrivée de la personne sur le territoire et comprendre « un vrai droit à la formation, tant luiguistique que qualifiante, pour l’ensemble des personnes en situation d’inactivité, ainsi qu’un service volontaire basé sur des activités de bénévolat et de découverte de la société d’accueil ». Dans ce cadre, Olivier Noblecourt propose, par exemple, d’« inclure, dès l’accueil, une information sur “la France, Etat de droit”, portant en particulier sur l’égalité entre les femmes et les hommes et sur la laïcité » ou d’« inscrire dans les plans départementaux d’accueil et d’intégration une meilleure articulation entre la politique d’accueil, la politique d’intégration et la politique des droits des femmes ». En matière de formation linguistique, il suggère de « fixer à l’OFII l’objectif d’augmenter le taux de prescription des actions linguistiques dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration [CAI] et [de] soutenir les associations qui proposent des cours d’alphabétisation et de français aux personnes migrantes ». L’élu suggère aussi d’« encourager et [de] développer les actions linguistiques qui permettent d’acquérir un niveau de certification, et [d’]ouvrir la possibilité d’accès à l’apprentissage d’un français fonctionnel à visée professionnelle, adapté à la recherche d’emploi ».
Olivier Noblecourt constate par ailleurs que « la migration s’accompagne d’un passage de l’emploi au chômage ou à l’inactivité » : si 58 % des femmes signataires d’un CAI étaient en emploi dans leur pays d’origine, seules 27 % d’entre elles retrouvent ensuite un emploi. Pour lui, « la déqualification concerne plus particulièrement les femmes diplômées [5] qui rencontrent des difficultés pour faire reconnaître et valoir le titre scolaire acquis dans le pays d’origine et sont contraintes d’accepter des emplois non ou très peu qualifiés ». Autre particularité pointée par l’élu : l’emploi des femmes immigrées se concentre surtout dans les services directs aux particuliers (services personnels et domestiques, hôtels et restaurants). Selon lui, la moitié d’entre elles travaillent dans ce secteur, dont les conditions de travail sont « pénibles », et qui n’offre que des « droits individuels restreints ». Afin de faciliter l’accès à l’emploi de ces femmes et de diversifier leur orientation professionnelle, le groupe de travail suggère notamment à l’OFII d’« organiser des demi-journées d’information collective sur les dispositifs de formation, les entreprises d’insertion, souvent méconnus », en faveur des bénéficiaires du CAI, qui seraient obligées d’y participer dans les deux premières années de résidence. Il préconise aussi de « développer les accords entre l’Etat et les acteurs économiques pour lutter contre les freins à l’embauche des femmes immigrées, en prévoyant des objectifs de progrès quantifiables, des évaluations régulièrement publiées, et en mettant l’accent dans chacun de ces partenariats sur une ou plusieurs dispositions spécifiques aux femmes ». Au-delà, Olivier Noblecourt recommande d’« engager un travail, en lien avec les partenaires sociaux, pour rendre possible la régularisation par le travail, le cas échéant en fixant une quotité horaire minimale et en simplifant les modalités de justification de l’activité professionnelle pour en bénéficier ».
Parmi les autres freins à l’emploi des femmes immigrées, l’absence d’accès aux modes de garde des enfants. Aussi le groupe de travail invite-t-il le gouvernement à mettre en oeuvre la disposition du plan « pauvreté » qui fixe un taux minimum d’accueil de 10 % des enfants en situation de pauvreté dans les crèches (6). Mais aussi à accompagner cette mise en œuvre par la formation des professionnels à la diversité culturelle.
Selon la première enquête nationale sur les violences envers les femmes, les femmes étrangères nées hors de l’Union européenne sont « nettement plus souvent » victimes de violences – notamment au sein du ménage – que les autres femmes, relève le groupe de travail. Il préconise, « pour laisser aux victimes étrangères de violences conjugales le temps de se rétablir après leur mise en sécurité, de leur délivrer un titre pluriannuel, dans le prolongement des recommandations du rapport “Fekl” [7], et de permettre le renouvellement du titre de séjour pendant toute la durée de la procédure pénale » contre l’auteur des violences. En outre, poursuit Olivier Noblecourt, il convient, « pour que la victime […] puisse bénéficier des dispositions protectrices du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, [de] prendre en considération les attestations d’associations, les témoignages, les certificats médicaux, le dépôt d’une plainte et, en l’absence de condamnation, les mesures alternatives aux poursuites dans l’établissement des faits de violences permettant la délivrance d’un titre de séjour ».
Au-delà, l’élu a aussi constaté que 14 % des femmes immigrées – et plus particulièrement 9 % des jeunes femmes âgées entre 26 et 30 ans – se sont mariées alors que leur consentement était nul ou altéré. Comme la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (8), pour lutter contre ce phénomène, il préconise, entre autres, de « sensibiliser, par voie de circulaire, les magistrats, notamment du parquet, sur la possibilité d’utiliser le dispositif de l’ordonnance de protection pour empêcher de sortir du territoire une personne majeure qui craindrait d’être mariée de force à l’étranger ». Ou encore de « s’assurer que les auditions des futurs époux, devant les autorités consulaires, soient séparées lors de leur demande de certificat de capacité à mariage ».
(1) L’égalité pour les femmes migrantes – Février 2014 – Disponible sur
(2) Voir ASH n° 2817 du 5-07-13, p. 5.
(3) Des programmes qui, pour Olivier Noblecourt « n’ont pas toujours été en mesure d’associer les différents partenaires impliqués dans le parcours d’intégration ».
(4) Le groupe de travail préconise, par exemple, d’« organiser des passerelles de l’OFII vers les CIDFF [centres d’information sur les droits des femmes et des familles] et les associations spécialisées : information systématique des primo-arrivantes de l’existence de lieux ressources, remise de dépliants et de plaquettes, organisation de permanences CIDFF ou autres associations sur plateformes OFII, etc. ».
(5) Selon le rapport, en moyenne, 45 % des immigrées, toutes origines confondues, ont un diplôme équivalent ou supérieur au baccalauréat, les femmes provenant des pays non-européens ayant toutefois un bagage scolaire « moins important ».
(6) Voir ASH n° 2794 du 25-01-13, p. 39.
(7) Voir ASH n° 2810 du 17-05-13, p. 5.
(8) Voir ASH n° 2819-2820 du 19-07-13, p. 24.