Après la concertation nationale organisée sur le sujet et le comité interministériel des villes (CIV) (1) et les engagements contractualisés entre le ministre délégué chargé de la ville et les autres membres du gouvernement (2), la réforme de la politique de la ville prend aujourd’hui un tournant législatif après l’adoption définitive par le Parlement, le 13 février, de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, portée par François Lamy. Composé initialement de 18 articles, le texte en comprend 30 au final. Ses grandes lignes sont connues. Il s’agit de poser le cadre légal de la refonte souhaitée par le gouvernement, basée notamment sur un recentrage des moyens de la politique de la ville sur les quartiers les plus en difficulté, la poursuite de la rénovation urbaine ou bien encore le lancement d’une nouvelle génération de contrats de ville. L’accent est mis également sur la participation des habitants à la construction de la politique de la ville. Parmi les nouveautés apparues en cours de lecture parlementaire, on retiendra en particulier la reconnaissance législative de la discrimination « à l’adresse ». Ou bien encore la « résurrection » de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens travailleurs migrants dans leur pays d’origine. Tour d’horizon des principales mesures.
Depuis des années, les dispositifs se sont empilés au gré des réformes pour aboutir à un millefeuille indigeste. La nouvelle loi tend à davantage de simplicité avec un recentrage sur une géographie prioritaire unique et une seule dénomination : les « quartiers prioritaires de la politique de la ville ». Comment seront-ils désignés ? Le texte indique qu’ils seront caractérisés par :
→ un nombre minimal d’habitants ;
→ un écart de développement économique et social apprécié par un critère de revenu des habitants. Cet écart sera défini par rapport, d’une part, au territoire national et, d’autre part, à l’unité urbaine dans laquelle se situe chacun de ces quartiers, selon des modalités qui pourront varier en fonction de la taille de cette unité urbaine.
La loi renvoie à un décret – qui entrera en vigueur à une date qu’il fixera et au plus tard le 1er janvier 2015 –, la définition précise des modalités d’identification de ces quartiers. Leur liste, qui sera également établie par décret, fera l’objet d’une actualisation dans l’année du renouvellement général des conseils municipaux. Le ministre délégué à la ville estime que 1 300 quartiers sont potentiellement concernés (contre 2 500 actuellement).
Dans les départements et collectivités d’outre-mer, les quartiers prioritaires pourront être caractérisés par des critères sociaux, démographiques, économiques ou relatifs à l’habitat tenant compte des spécificités de chacun de ces territoires.
A noter : les quartiers qui relèveront au 31 décembre 2014 d’un zonage de la politique de la ville et qui, du fait de la refonte de la géographie prioritaire, ne seront plus identifiés comme prioritaires, feront l’objet d’un dispositif transitoire – dit « de veille active » – et, à ce titre, feront l’objet d’un contrat de ville (voir ci-dessous).
La loi fixe le cadre des contrats de ville de nouvelle génération, appelés à succéder aux contrats urbains de cohésion sociale (dont l’échéance a été reportée à fin 2014) pour mettre en œuvre la politique de la ville. Tous les quartiers populaires, qu’ils relèvent ou non de la géographie prioritaire, s’en verront proposer un. Ces contrats seront conclus à l’échelle intercommunale entre, d’une part, l’Etat et ses établissements publics (Pôle emploi, par exemple) et, d’autre part, les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés. Ils pourront également être signés par les régions et les départements, la Caisse des dépôts, les organismes de HLM ou bien encore les organismes de protection sociale. Ils s’inscriront dans la même temporalité que celle des mandats municipaux.
Le texte définit plus précisément les contrats de ville appelés à être signés au bénéfice des nouveaux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ils devront ainsi spécifiquement fixer, entre autres, les objectifs – notamment chiffrés – que les signataires s’engagent à poursuivre, la nature des actions à conduire et les modalités opérationnelles de leur mise en œuvre, les moyens humains et financiers mobilisés (au titre des politiques de droit commun, d’une part, et des instruments spécifiques de la politique de la ville, d’autre part) ou bien encore les indicateurs permettant de mesurer les résultats obtenus.
François Lamy présente la participation des habitants comme le premier axe de sa réforme. De fait, le premier article de son texte inscrit pour la première fois dans la loi le principe de « co-construction » de la politique de la ville avec les habitants. Plusieurs dispositions visent, par ailleurs, à favoriser l’intervention citoyenne dans les projets qui concernent leur vie quotidienne. Un article – dont les modalités d’application seront précisées par un arrêté – prévoit, par exemple, la mise en place dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville d’un « conseil citoyen ». Composé d’habitants tirés au sort et de représentants des associations et acteurs locaux, il sera associé à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des contrats de ville. On notera que la loi spécifie que les conseils citoyens exerceront leur action « en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics » et inscriront leur action « dans le respect des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de neutralité ». « Dans ce cadre, l’Etat apportera son concours à leur fonctionnement. »
Parmi les autres nouveautés, signalons encore la création d’un Observatoire national de la politique de la ville, instance ayant vocation à se substituer à l’Observatoire national des zones urbaines sensibles et au comité d’évaluation et de suivi de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Son rôle : analyser la situation et les trajectoires des résidents des quartiers prioritaires de la politique de la ville, mesurer l’évolution des inégalités et des écarts de développement au sein des unités urbaines, contribuer « de manière indépendante » à l’évaluation de la mise en œuvre des politiques en faveur de ces territoires et évaluer les progrès en matière de participation des habitants aux instances décisionnelles de la politique de la ville.
La loi prévoit également la création d’une dotation « politique de la ville » qui remplacerait la dotation de développement urbain, renvoyant toutefois à un rapport – qui devra être remis au Parlement avant le 1er septembre 2014 dans le cadre du débat budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2015 – le soin de définir ses modalités d’usage et de répartition.
Elle entérine aussi la future dissolution de l’Agence nationale pour la cohésion et l’égalité des chances (Acsé) ainsi que le transfert de ses activités, biens, droits et obligations dans le périmètre de l’Etat suivant des modalités et un calendrier prévus par décret et, au plus tard, le 1er janvier 2015. Une conséquence de la création prochaine d’un commissariat général à l’égalité des territoires, qui regroupera l’Acsé, le secrétariat général du Comité interministériel des villes et la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.
Dans un tout autre domaine, la loi prolonge de deux ans la durée du programme national de rénovation urbaine – portant ainsi le terme de ses engagements à fin 2015 au lieu de fin 2013 –, afin de « tenir compte du volume de crédits restant à engager et de sécuriser l’intégrité des conventions pluriannuelles conclues entre l’Agence nationale pour la rénovation urbaine et les porteurs de projets locaux », explique l’exposé des motifs. Le texte traduit aussi sur le plan juridique le lancement en 2014 du nouveau programme national de renouvellement urbain décidé lors du dernier CIV et visant en priorité « les quartiers présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants ».
Parmi les mesures issues des amendements adoptés en cours de lecture, on retiendra l’introduction de la discrimination en fonction du « lieu de résidence » dans le code pénal, le code du travail et la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Le lieu de résidence devient ainsi le vingtième critère juridiquement opposable de la législation française aux côtés du sexe, de l’origine, de l’âge, du handicap, etc.
Sous l’impulsion du gouvernement, la nouvelle loi modifie par ailleurs l’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles pour permettre la mise en place de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens travailleurs migrants dans leur pays d’origine, créée par une loi en 2007 (3), mais dont les décrets d’application ne sont jamais parus. La faute à des « obstacles juridiques importants, tant au regard des principes d’égalité et de non-discrimination que des règles de coordination de sécurité sociale », explique l’exposé des motifs de l’amendement gouvernemental. Le nouveau texte apporte ainsi divers ajustements à la loi initiale. Pour mémoire, l’aide est réservée aux travailleurs migrants de plus de 65 ans (ou d’au moins 60 ans en cas d’inaptitude au travail) qui résident en foyers de travailleurs migrants ou en résidence sociale. Pour la percevoir, il faudra prouver avoir vécu les 15 dernières années en France (sauf pour les ressortissants communautaires), avoir un faible revenu et effectuer des séjours de longue durée dans son pays. Le montant de l’aide, qui sera défini par décret, sera calculé en fonction des ressources de chacun. Elle ne pourra pas être perçue en même temps qu’une aide au logement ou qu’un minimum social.