Recevoir la newsletter

« Il faut redonner confiance aux associations dans la qualité de leur travail »

Article réservé aux abonnés

Le secteur associatif pourrait être durement touché, en 2014, par des suppressions d’emplois. A l’heure où l’engagement associatif est reconnu « Grande cause nationale 2014 » (voir ce numéro p. 5 et 14), c’est l’inquiétante prévision de Didier Minot, spécialiste du développement local et de l’éducation citoyenne. En cause, la baisse des subventions publiques, mais aussi l’impact de la RGPP et du système des appels d’offres.
Vous prévoyez pour 2014 une vague de plus de 30 000 suppressions d’emplois dans le secteur associatif. D’où vient ce chiffre ?

On recense 1 300 000 associations en France, dont 87 % n’emploient aucun salarié. Parmi les 170 000 autres, 128 000 emploient moins de 10 salariés et 7 700 plus de 50 salariés (dont 2 300 plus de 100 salariés). Le secteur social et médico-social arrive largement en tête avec plus de la moitié du total des emplois. Au total, l’emploi associatif représente 1 800 000 emplois, soit 1 million de postes en équivalent temps plein. Il faut savoir que les associations ont créé des emplois tout au long des années 2000 mais, en 2011, on a enregistré une première perte de 26 000 emplois. Il y a eu ensuite un petit ressaut puis, début 2013, on a comptabilisé à nouveau 9 500 pertes d’emplois, suivies d’une hausse de 0,1 % due essentiellement à la mise en place des emplois d’avenir. Avec l’aggravation du plan de rigueur, on ne voit pas comment la courbe de l’emploi associatif pourrait s’inverser cette année. Et 2015 risque d’être plus terrible encore.

Quels sont les secteurs touchés ?

Tous… Parmi les associations culturelles, la Cathode, implantée en Seine-Saint-Denis, vient de disparaître après vingt-cinq ans d’activité. Elle donnait la parole aux habitants de Seine-Saint-Denis par le biais de la télévision locale. Des clubs de prévention sont aussi concernés, en Seine-Maritime, dans le Loiret ou encore dans le Bas-Rhin. Des associations d’éducation populaire disparaissent. Je pense, par exemple, à Intolérage, à Marseille, créée il y a dix ans pour favoriser la tolérance dès la petite enfance, qui a fermé à la fin 2012.

La baisse des financements publics est-elle la cause principale de ces difficultés ?

Les subventions directes de l’Etat aux associations ont diminué de 30 % en cinq ans pour se concentrer sur quelques centaines de très grosses structures. En 2011, 750 associations recevaient 75 % du 1,2 milliard d’euros de subventions de l’Etat. Sachant que 42 % d’entre elles étaient des structures parapubliques. On peut citer l’AFPA [Association nationale pour la formation professionnelle des adultes], l’AFNOR [Association française de normalisation], les écoles des douanes, de nombreux musées, Météo France, HEC, les écoles catholiques, et même les œuvres sociales du ministère des Finances, qui émargent à 65 millions d’euros de subventions. Nous ne critiquons pas le principe. Nous estimons simplement que l’Etat doit être clair dans ses annonces. Il ne peut pas dire aux associations en souffrance qu’il les aide alors qu’il soutient en réalité des structures parapubliques.

La situation est-elle identique du côté des collectivités territoriales ?

L’analyse de leurs budgets montre que plusieurs facteurs convergent pour rendre difficile le financement des associations. Tout d’abord, la réforme fiscale intervenue en 2010-2011 les prive de la faculté d’augmenter l’impôt. Elles sont devenues dépendantes des décisions de l’Etat. Par ailleurs, les besoins augmentent de façon exponentielle, en particulier dans le domaine de la solidarité, alors que la dotation de fonctionnement versée par l’Etat diminue. Elle va baisser de 1,5 milliard en 2014 et de 3 milliards en 2015. On se retrouve avec un effet de ciseaux dénoncé par les associations d’élus. Les communes, jusqu’à récemment, parvenaient à s’en sortir car elles disposaient d’une certaine latitude pour augmenter les impôts. Mais pour la première fois cette année, elles ont diminué leurs subventions aux associations. Au nom de la rigueur, on sacrifie la vie associative dans ses composantes les plus porteuses de citoyenneté : l’éducation populaire, la culture, l’environnement, la défense des droits…

A cela s’ajoutent, dites-vous, les effets négatifs du fonctionnement par appels d’offres…

De fait, là où, auparavant, on demandait une subvention pour financer un projet, aujourd’hui, on se porte candidat à un marché public. Ce sont des logiques très différentes. Les appels d’offres ont le vent en poupe car les services juridiques des collectivités craignent la requalification des subventions en commandes publiques sous l’effet de la réglementation européenne. C’est aussi la conséquence d’un certain esprit managérial inspiré du New Public Management, qui se diffuse notamment dans les formations des fonctionnaires territoriaux. Les effets pervers des appels d’offres sont nombreux. Les associations sont mises en concurrence entre elles et aussi avec des acteurs privés, ce qui altère les échanges de bonnes pratiques et d’entraide. En outre, les petites associations n’ont pas la capacité administrative pour gérer ces dossiers. Enfin, les projets qui n’entrent pas dans des catégories prédéterminées sont éliminés d’avance. On asphyxie la capacité d’innovation des associations, qui deviennent de simples sous-traitants. On pourrait aussi évoquer les effets négatifs de la LOLF [loi organique relative aux lois de finances] et de la RGPP [révision générale des politiques publiques], la complexité croissante des démarches administratives et les nombreux retards dans le paiement des subventions. Aujourd’hui, il faut au moins un an de trésorerie d’avance pour s’en sortir.

Les fonds privés peuvent-ils prendre le relais des financements publics ?

A dose homéopathique, oui. Notre collectif lui-même est partiellement financé par deux fondations. Tout un courant prône actuellement cet appel aux acteurs privés, qu’il s’agisse du rapprochement avec les entreprises, du financement par des fondations d’entreprise, du crowdfunding – ou « finance participative » – sur Internet, ou encore de la mise à disposition gratuite de cadres d’entreprise. Le problème est que cela risque de ne bénéficier qu’à quelques centaines d’associations, que l’on va monter en épingle dans les médias, mais que cela ne peut pas être une solution pour les 1,3 million d’associations. Le financement par le mécénat d’entreprise ne représente que 4 % du financement total des associations. Même s’il augmente, il ne remplacera pas les 49 % de financements publics. Sans compter qu’il s’agit bien souvent d’aides non pérennes liées à la politique de communication des entreprises. C’est un système à la fois aléatoire et instrumentalisant.

Vous plaidez pour que l’on donne un cadre légal aux subventions associatives. Lequel ?

Le collectif des associations citoyennes participe depuis plus de un an à une réflexion en vue d’amender le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, actuellement en discussion. L’objectif est de pouvoir contrecarrer, un peu, le code des marchés publics et de sécuriser davantage les collectivités. C’est nécessaire, mais pas suffisant. Un changement d’état d’esprit est également indispensable avec une refonte des formations dispensées par le CNFPT [centre national de la fonction publique territoriale] et une revalorisation de l’image des associations, surtout du côté des milieux dirigeants, où l’on a tendance à les considérer comme des mangeuses de subventions.

Avec encore 50 milliards d’économies annoncées sur le budget de l’Etat, comment rester optimiste ?

On taille dans les dépenses publiques sans se préoccuper de l’utilisation des crédits ni de leur efficacité. C’est absurde. Les associations sont financées en moyenne à 50 % par les pouvoirs publics. Ainsi, en supprimant le poste d’un salarié associatif payé 30 000 €, on économise 15 000 € de subventions. Mais ce sont aussi 13 000 € de cotisations sociales qui ne seront plus versés et 20 000 € qui devront être sortis par l’assurance chômage. Où est l’économie ? Nous avons posé cette question au cabinet du Premier ministre, mais nous n’avons eu aucune réponse. Face à cette situation, le collectif s’est mobilisé en septembre dernier. Une pétition a recueilli un peu plus de 8 000 signatures, dont celles d’un millier d’associations et de 80 réseaux nationaux. Par ailleurs, nous développons une réflexion pour mettre en valeur le rôle sociétal des associations, qui reste énorme. Il faut mettre en avant leurs réalisations, leur redonner confiance dans la qualité de leur travail. Dans le domaine social, par exemple, nous rencontrons des gens démoralisés parce qu’ils sont soumis à des contraintes très fortes, notamment de la part des agences régionales de santé. Ils ont tendance à penser que tout est foutu. Mais non ! Il nous faut travailler sur l’autonomie associative et imaginer ce que l’on peut faire avec moins de moyens dans ce contexte défavorable. Nous nous battons à la fois pour maintenir les financements et des emplois et pour que les associations s’adaptent.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Ingénieur agronome, Didier Minot a été chargé de mission à la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar).

Il a aussi dirigé le Cridel (Centre de rencontres et d’initiatives pour le développement local) puis l’Ecole des territoires, et a présidé le RECit (Réseau des écoles de citoyens).

Depuis 2010, il participe au Collectif des associations citoyennes.

Il publie Des associations citoyennes pour demain (Ed. ECLM, 2013).

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur