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Adoption : une parentalité à accompagner

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Les enfants proposés à l’adoption – de par leur âge, la présence d’une fratrie ou leur état de santé – peuvent être aujourd’hui très loin de l’enfant imaginé. D’où l’importance d’informer, de préparer et de soutenir les familles postulantes tout au long de ce difficile parcours. Si différentes initiatives se sont mises en place, elles restent néanmoins insuffisantes.

En 2012, 20 600 candidats à l’adoption avaient un agrément en cours de validité – et près de 9 000 demandes nouvelles sont enregistrées chaque année. Or, seulement 2 300 enfants ont été adoptés. Sept fois sur dix ces enfants sont nés à l’étranger et proposés à l’adoption par les pays d’origine parce qu’ils présentent certaines caractéristiques ne leur ayant pas permis de trouver une famille adoptive localement – enfants grands, fratries nombreuses, enfants atteints de pathologies ou handicaps sévères (voir page 23). Autant dire que devenir parent par adoption est moins que jamais une affaire d’improvisation. A des attentes interminables s’ajoute une incertitude de plus en plus grande quant à l’aboutissement du projet.

Le désir se porte toujours sur un bébé seul et en bonne santé, commente Anne-Marie Crine, psychothérapeute à la Maison de l’adoption du Luxembourg (1). Or, maintenant, « les propositions d’adoption concernent de plus en plus souvent des frères et sœurs dont les âges s’échelonnent entre 4-5 ans et la préadolescence, des fratries qui ont été retirées à leur famille dans des contextes de graves maltraitances ». L’accompagnement des postulants est donc essentiel pour les aider à formuler des projets réalistes, puis à faire face aux problèmes qu’ils peuvent rencontrer. « Il s’agit de ne pas laisser les parents monter seuls sur le ring », résume Anne-Marie Crine. La France, à cet égard, est à la traîne. La raison serait à rechercher du côté d’une volonté de non-stigmatisation. Les familles adoptives étant considérées comme « des familles comme les autres, il n’était pas nécessaire de mettre en place des dispositifs spécifiques pour elles », analyse le centre régional pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CREAI) de Picardie, dans une étude (voir encadré, page 21). Il constate pourtant un consensus « partagé par la quasi-totalité des acteurs » de l’adoption sur la reconnaissance de difficultés possibles des familles et de l’importance de leurs besoins de soutien.

DU DÉSIR À LA RÉALITÉ

Dans le parcours qui mène à l’adoption, la première étape est le « deuil de l’enfant biologique ». Quelque 500 000 couples consultent chaque année pour être aidés à concevoir un enfant – mais il y a « seulement » 22 000 naissances grâce à l’aide médicale à la procréation. Ces couples transitent par le champ médical et celui de l’adoption, soit successivement, soit, comme cela est aujourd’hui fréquent, alternativement – « un changement de registre que certains postulants ne comprennent pas, revendiquant un droit à l’enfant comme ils le font ou l’ont fait pour le droit à l’assistance médicale », explique Catherine Sellenet, chercheuse en sciences de l’éducation. Ce chevauchement entre les deux domaines contredit le modèle privilégié par les services sociaux, chargés d’étudier les demandes d’agrément, qui, en l’absence de renoncement à l’enfant biologique, considèrent la demande comme prématurée. « Cela amène les couples à des discours secondaires de conformité », estime Catherine Sellenet.

A ce stade, les candidats fragilisés par un diagnostic de stérilité et un parcours de PMA (procréation médicalement assistée) plus ou moins long, font l’objet d’une enquête sociale et psychologique vécue comme une intrusion – avec la peur de voir se fermer la dernière porte pour devenir parents, commente Françoise Toletti, responsable de l’accompagnement à la parentalité au sein de la fédération Enfance et familles d’adoption (EFA). Mais pendant cette période d’instruction de la demande, il n’existe aucun accompagnement obligatoire des candidats. C’est donc par leurs propres moyens – le plus souvent avec des associations de familles – que les intéressés doivent cheminer. Seuls 0,3 % des postulants se sont vu proposer par leur conseil général des conférences ou des ateliers thématiques pour faire avancer leur réflexion, selon l’étude du CREAI de Picardie.

A contrario, plusieurs pays européens (comme l’Italie, la Belgique et le Luxembourg) ont instauré une formation obligatoire préalable à l’introduction d’une demande d’agrément, afin que les personnes qui s’orientent vers l’adoption puissent se confronter à la réalité de cette manière de faire famille. En Belgique, ce volet pré-adoption comprend un minimum de cinq séances collectives de quatre heures, qui sont payantes. Elles sont animées par des professionnels des relations parents-enfants et/ou de l’adoption extérieurs à la procédure évaluative ultérieure, explique Anne-Marie Crine, conceptrice du dispositif. Tenant de la formation et du groupe de parole, ces rencontres visent à « aider les candidats adoptants à “dire”, à se mettre en jeu et à prendre conscience de leurs émotions, plutôt que de “leur dire”, afin de co-construire avec eux quelques savoirs fondamentaux en lien avec les thématiques abordées », explique Anne-Marie Crine.

Au nombre de ces dernières : les parcours de vie des enfants avant leur adoption et leurs effets potentiels sur la façon dont ils abordent la rencontre avec leurs nouveaux parents, les besoins des enfants selon leur profil, le processus d’attachement et les moyens de le favoriser, les représentations des candidats à l’égard de l’abandon et des parents de naissance de leur futur enfant. Ce programme destiné à préparer une parentalité plus éclairée favorise par là même un processus d’auto-évaluation et donc d’auto-sélection des candidats, constate la spécialiste : plus d’un tiers des participants renoncent ensuite à se lancer dans un processus adoptif – parmi lesquels beaucoup chez qui une grossesse s’est mise en route.

S’inspirant du schéma belge, Médecins du monde, plus important organisme (privé) agréé pour l’adoption internationale (OAA), a instauré en 2007 une préparation à la parentalité adoptive d’une journée, postérieure à l’agrément. Initialement facultative, celle-ci est depuis 2010 un passage obligé pour tous les candidats qui s’adressent à l’OAA. En 2011, un deuxième module de huit heures a été mis en place à l’intention des postulants prêts à accueillir des enfants âgés de plus de 5-6 ans et/ou des fratries. Quant aux candidats qui ont l’intention d’adopter des enfants présentant d’importantes particularités médicales, « on travaille avec eux au cas par cas », précise Geneviève André-Trévennec, directrice de l’OAA. En 2013, 84 % des enfants adoptés par l’intermédiaire de Médecins du monde appartenaient à ces catégories d’enfants dits à besoins spécifiques. « C’est ce changement de profil des enfants adoptés qui a accéléré notre réflexion sur l’accompagnement, explique Geneviève André-Trévennec. Les enfants proposés à l’adoption s’éloignent de plus en plus de l’enfant imaginaire. Or, plus l’enfant est loin du projet initial – par son âge, son origine, son état de santé –, plus les difficultés ultérieures à surmonter sont grandes, pouvant conduire aux échecs avec, par exemple, un réabandon de l’enfant à l’aide sociale à l’enfance (ASE). » D’après des études rétrospectives réalisées par Médecins du monde auprès de parents qui minorent sans doute le phénomène, 1 % des rejets parents-enfants ou enfants-parents évolue vers un abandon effectif. En prenant en compte l’ensemble des adoptions nationales et internationales, le CREAI de Picardie estime quant à lui à 3 % la proportion de celles qui évoluent vers une rupture familiale quelques années après. En extrapolant ces résultats – et sans prendre en compte le fait que d’autres clashs vont se produire à l’adolescence –, « il y aurait actuellement en France plus de 2 500 familles ayant un enfant adopté mineur qui seraient en grande difficulté », avance l’étude du CREAI.

L’importance d’accompagner les familles après l’accueil de l’enfant, notamment lors des premiers temps de tissage du lien, n’est plus à démontrer. C’est ce qui a encouragé les pays d’origine à renforcer leurs exigences en la matière. La Colombie, par exemple, exige des rapports détaillés sur la situation de l’enfant 3, 9, 15 et 21 mois après son arrivée.

Ce suivi – uniquement obligatoire pour les adoptions internationales – doit être réalisé par l’OAA ayant servi d’intermédiaire ou, à défaut, par les services de l’ASE. Ces derniers proposent également de plus en plus souvent un accompagnement aux familles ayant adopté un pupille de l’Etat. « Le besoin de soutien qu’expriment les familles depuis quelques années fait écho aux comportements difficiles que peut manifester l’enfant adopté, analyse Françoise Toletti, de la fédération Enfance et familles d’adoption. Ce sont les difficultés spécifiques de leur enfant, liées à son histoire avant l’adoption, qui en font des parents à besoins spécifiques. »

DES CONSULTATIONS ADAPTÉES

Identifiée par quelques pédiatres, souvent également parents adoptifs, la nécessité d’une prise en charge adaptée de l’enfant adopté et de sa famille a conduit ces médecins à ouvrir des consultations spécialisées. Il existe aujourd’hui 26 consultations d’orientation et de conseil en adoption (COCA), qui sont des espaces de soin pluridisciplinaires implantés en milieu hospitalier. Recommandées aux familles adoptives par les associations de parents comme par les pouvoirs publics, les COCA n’ont toujours pas de reconnaissance officielle, ni de financement dédié. Il s’agit pourtant de lieux-ressources dont l’expertise est précieuse à différentes étapes de la vie familiale : avant l’adoption, pour aider les futurs parents à décrypter le dossier médical de l’enfant qui leur est proposé ; après l’arrivée de l’intéressé, pour effectuer un bilan de son état de santé ; enfin, lors de moments-clés – comme à l’adolescence – pour conseiller les parents en butte à des problèmes éducatifs.

Au CHU de Nancy, la consultation d’orientation et de conseil en adoption créée en 2003 s’est dotée, quatre ans plus tard, d’un groupe de parole de parents adoptifs. « Ils réclament souvent du soutien pour leurs enfants, mais il n’y a pas que ces derniers qui sont en souffrance », constate Festus Body Lawson, pédopsychiatre référent de la COCA. Ce groupe fonctionne un samedi par mois grâce à la participation bénévole de deux pédo-psychiatres et de deux psychologues cliniciennes. Il réunit une vingtaine de participants majoritairement, mais pas exclusivement, parents d’adolescents.

L’idée est de les aider à libérer leur parole et, en particulier, à s’autoriser à dire du mal de l’aventure adoptive. « Après une énorme attente, l’enfant peut décevoir, explique Louise Dacqui, psychologue clinicienne. On s’aperçoit parfois d’emblée que la greffe n’a pas pris, que le niveau socio-culturel des parents adoptifs – universitaires, médecins, etc. –, n’est pas en adéquation avec celui dont est issu l’enfant. Il y a également des projections et des fantasmes très forts relativement aux pays d’origine, et des parents désarçonnés par certains comportements de leurs enfants – argent volé, nourriture cachée sous l’oreiller. » Dans ce cadre très soutenant, les parents peuvent reconnaître qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils détestent leurs enfants, qu’ils ne se connaissaient pas une telle violence. Ils découvrent aussi qu’ils ne sont pas les seuls à être confrontés à ces sentiments. « Ensemble, nous pouvons relativiser et même dédramatiser », explique Festus Body Lawson, qui se demande si les parents adoptifs ne sont pas plus exigeants envers eux-mêmes que des parents lambda. Eux-mêmes, d’ailleurs, reconnaissent devoir non seulement faire le deuil de l’« enfant idéal », mais aussi du « parent idéal » et s’accepter tels qu’ils sont – « ce qui n’est pas le plus facile ».

Jean-Louis Le Run, pédopsychiatre, chef de service de psychiatrie infanto-juvénile du pôle de Paris Centre-Est, a aussi l’expérience de difficultés dans l’adoption, complexes et douloureuses pour les parents et l’enfant. Nombre de situations critiques rencontrées dans les centres médico-psychologiques (CMP) du secteur « auraient gagné à être prises en compte plus tôt, avant que le lien ne se détériore de façon majeure », estime-t-il. Or les consultations classiques connaissent mal les questions d’adoption. Quant aux peu nombreuses COCA, elles sont débordées et souvent plus ­centrées sur les problèmes médicaux pédiatriques.

UN ACCOMPAGNEMENT ENCORE À LA MARGE

C’est pourquoi Jean-Louis Le Run a ouvert, début 2010, une consultation « adoption » de pédopsychiatrie, à même de proposer des suivis diversifiés. Besoin de réassurance de parents un peu angoissés, questionnements pressants sur leur origine d’enfants parfois très jeunes, crises d’opposition qui attaquent le lien parents-enfant et conduisent à un rejet ou, à tout le moins, à une mise en internat, enfants ou adolescents qui présentent des pathologies psychiatriques dépassant largement le cadre de l’adoption mais pour lesquels les parents ont trouvé cette porte d’entrée dans le soin : les problématiques qui s’expriment sont variées. Cette consultation médico-psychologique reçoit des demandes de Paris et de la région parisienne, mais aussi de familles de province. Aussi le pédopsychiatre préconise-t-il le développement de structures de ce type à l’échelon national – au moins une par département. « Ce n’est pas très difficile, ni très coûteux, puisqu’il s’agit de spécialiser des personnes-ressources au sein des équipes de secteur déjà existantes », affirme-t-il. En tout état de cause, il se révèle indispensable d’accompagner les parents et futurs parents de façon plus avertie qu’aujourd’hui. Peut-on compter sur une hypothétique future loi sur la famille pour définir une véritable politique de l’adoption (2), qui prépare et soutienne les familles à qui sont confiés des enfants extrêmement vulnérables ?

Chiffres

→ 2 300 enfants ont été adoptés en 2012 (contre 4 977 en 2005) : 731 pupilles de l’Etat (contre 841 en 2005) et 1 569 à l’international (4 136 en 2005).

→ Par zones géographiques, ces 1 569 enfants étaient 701 à provenir d’Afrique (dont 220 d’Ethiopie), 384 d’Europe (dont 235 de Russie), 255 d’Amérique (dont 159 de Colombie) et 229 d’Asie (parmi lesquels 76 nés au Vietnam et 63 en Chine).

Que deviennent-ils ?

Une étude réalisée en 2012 par le centre régional pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CREAI) de Picardie sur un échantillon représentatif de l’ensemble des adoptions nationales et internationales ayant eu lieu en 2005, 2008 et 2010 fournit un certain nombre d’enseignements sur le devenir des enfants adoptés (3). Au cours de leur scolarité, ces derniers ne semblent pas particulièrement à la traîne. C’est pourtant sur le terrain scolaire que les parents déclarent le plus de difficultés. Il y a un lien significatif entre cette perception – surtout présente chez les parents d’un niveau social élevé – et un certain nombre de caractéristiques de l’adoption. Il en est ainsi de l’âge des enfants à leur arrivée : les enfants adoptés après 6 ans ont beaucoup plus de risques de rencontrer des problèmes scolaires que ceux qui ont été adoptés entre 1 et 3 ans. Mais ce qui importe pour la réussite scolaire n’est pas tant l’âge à l’adoption que le temps passé par les enfants dans leur famille adoptive avant d’entrer à l’école : « Si cette durée est inférieure à 3 mois, la probabilité de rencontrer des difficultés par la suite est environ 3 fois plus élevée. »

L’âge des parents a aussi un impact important sur la scolarité des enfants – quel que soit l’âge de ces derniers lors de leur adoption. La situation la plus favorable est lorsque les adoptants ont en moyenne moins de 40 ans à l’arrivée des intéressés.

Les difficultés scolaires des enfants augmentent ensuite de façon notable et continue avec l’accroissement de l’âge des parents.

Sur le plan de la santé, sept enfants sur dix n’ont rencontré aucun problème après leur arrivée – hors maladies infantiles classiques. Parmi les autres, près de deux sur dix ont eu une pathologie physique, 15 % un trouble d’ordre psychologique et 3,6 % les deux types d’affection.

Les problèmes physiques touchent indifféremment les enfants, quel que soit l’âge auquel ils ont été adoptés. En revanche, les problèmes psychologiques croissent progressivement avec celui-ci : plus de la moitié (57 %) des parents ayant accueilli un enfant de 10 ans ou plus font état de telles difficultés, mais moins d’un quart de ceux qui ont adopté un enfant entre 3 et 6 ans et 10 % des parents dont l’enfant est arrivé entre 1 et 3 ans.

Notes

(1) Lors d’un colloque organisé le 25 novembre dernier à Paris par la revue Enfances & Psy, intitulé comme le dossier paru simultanément qui lui est consacré – « Adoption : quel accompagnement ? » – Enfances & Psy n° 59, 2013 – Ed. érès.

(2) Le 3 février, le gouvernement a annoncé qu’il ne présentera pas le projet de loi sur la famille en 2014, mais des députés socialistes et écologistes pourraient déposer des propositions de loi reprenant certaines de ses mesures, notamment sur l’adoption – Voir ASH n° 2846 du 7-02-14, p. 6.

(3) Lors de leur arrivée dans leur famille adoptive, environ un tiers des enfants avait moins de 1 an (dont la moitié originaire de France), un tiers avait entre 1 et 3 ans, un tiers était âgé de 3 ans ou plus – Cf. « Etude relative au devenir des enfants adoptés en France et à l’international », avril 2013 – Disponible sur adoption.gouv.fr – Voir ASH n° 2824 du 13-09-13, p. 6.

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