Tandem sur le pavé

« Tire-toi mon cœur tire-toi au diable et ne te retourne pas le carillon de minuit a poussé sa note et on est bons pour brûler aussi vifs que les étoiles. » Deux hommes sur une scène, deux « exclus », comme on les nomme désormais, se retrouvent au fil des jours et évoquent leur quotidien, les souvenirs d’une vie normale, leurs rapports avec les femmes, la défiance, la violence des rapports de rue, l’absence de perspectives, la finitude de la vie et la banalité de leur humanité. Telle est la pièce, écrite par l’auteur aus­tralien Daniel Keene, que propose actuellement à Paris la Compagnie du deuxième souffle (1). Alternant monologues et dialogues, les deux acteurs Philippe Blanchard et Jean-Pierre Vernizeau prêtent vie à Syd et Moe, deux personnages intemporels qui pourraient se cacher derrière les murs, dans les gares, sous les ponts ou les Abribus de n’importe quelle grande ville occidentale. En filigrane, ils évoquent aussi leur ami Franck, dont la vie semble une succession de malheurs encore plus sévères que les leurs. Comme pour rappeler que, après tout, il peut toujours arriver bien pire.

La mise en scène de Cédric Grimoin et les décors sont sobres. Peu d’accessoires. Le jeu est simple, direct, face au public la plupart du temps, pour laisser toute la place au vécu et à la transmission d’une expérience pas si rare, sans jamais tomber dans l’émotion gratuite. Une heure et dix minutes d’humanité vraie, dans les petites joies comme dans les grandes tristesses, qui semble combler le fossé qui sépare chacun de l’exclusion.