Recevoir la newsletter

Qu’est-ce qu’une « organisation intelligente » ?

Article réservé aux abonnés

L’« établissement » ne restera pas une entité de référence dans le secteur social et médico-social. Telle est la conviction de Jean-René Loubat, psychosociologue-consultant et formateur libéral (1), qui décrit ici les conditions pour que réussisse la mutation inéluctable des organisations qui y œuvrent.

« Issus historiquement d’institutions traditionnelles (couvents, pensions, hospices, foyers, écoles, etc.), les établissements et services du secteur social et médico-social voient leurs organisations puissamment réinterrogées depuis quelques années, tout d’abord au niveau de leurs finalités, de leurs modalités d’accueil et de la qualité de leurs services, mais plus encore, aujourd’hui, au plan de leur configuration, de leur gestion des ressources, de leur capacité à innover et à évoluer. Ils sont appelés à vivre une mutation au sens quasiment organique du terme, qui est la contrepartie d’un professionnalisme accru et d’une place grandissante dans la société civile.

Les opérateurs gestionnaires envisagent des reconfigurations d’ensemble, que ce soit sous forme de regroupements (groupement de coopération sociale et médico-sociale), de réorganisation en pôles ou de manière plus innovante sous forme de plateformes de services. Ce qui est certain, c’est que l’établissement, au sens de la loi du 30 juin 1975, ne sera plus une entité de référence.

Qu’est-ce qu’une “organisation intelligente” ? Au-delà d’une appellation qui ne doit pas prêter à confusion – les anciennes organisations n’étaient évidemment pas stupides pour autant –, elle désigne une nouvelle conception d’organisations qui doivent répondre à un certain nombre d’attentes impérieuses. Au sens littéral, l’organisation intelligente doit posséder une capacité d’anticipation et une souplesse adaptative qui lui permettent de rendre plus intelligibles son environnement et son rapport avec celui-ci ; ce que l’on peut désigner par une plus grande “plasticité organisationnelle”.

Ces attentes vitales sont elles-mêmes induites par la rapide évolution du contexte sociétal dans laquelle nous nous trouvons. Nous pouvons les énoncer comme suit :

→ une posture prospective qui permet d’élaborer des scénarios plausibles et probables, d’anticiper les tendances sociétales mais aussi d’imaginer et d’innover ;

→ une réactivité importante aux variations de l’environnement et aux commandes sociales qui lui sont adressées ;

→ une plasticité dans sa reconfiguration qui lui permet de s’adapter rapidement à de nouvelles activités, orientations ou processus ;

→ une capacité à optimiser les ressources en vue d’abaisser des coûts qui sont devenus insupportables pour des communautés à faible croissance durable (2) ;

→ un management par la qualité permettant une amélioration continue en responsabilisant tous les acteurs et en mobilisant toutes leurs idées et suggestions.

Confrontant quotidiennement à des questions d’organisation, l’activité de consultant et de formateur permet de repérer certains obstacles récurrents à la mutation des organisations. Dans la plupart des cas, ces obstacles sont d’ordre systémique et culturel. Identifions quelques principes fondamentaux à prendre en compte pour tenter de dépasser ces obstacles.

Passer d’une organisation par contraintes à une organisation par objectifs

Une organisation est un “ensemble finalisé”, selon la très synthétique définition de Michel ­Crozier, c’est-à-dire la coordination de ressources (humaines et matérielles) en vue de réaliser un projet commun. Elle se manifeste concrètement par une rationalisation de l’action, un séquençage des processus et une spécialisation des tâches, afin de tirer le meilleur parti des ressources et des talents.

Les organisations par objectifs sont des organisations précisément centrées sur l’atteinte de résultats. Elles sont faiblement institutionnalisées, au sens où elles ne se conçoivent pas comme devant durer indéfiniment en l’état, où leur survie n’en constitue pas l’objectif premier. Elles sont en mesure de se défaire et de se reconstituer en fonction de leurs projets successifs et de leurs expériences.

Les organisations par contraintes doivent faire face à une multitude de contingences, de circonstances et autres situations-problèmes, qui induisent les emplois du temps et les tâches quotidiennes, multiplient les imprévus et les zones d’incertitude et pèsent sur les acteurs. Ces organisations, très présentes dans le domaine des services d’ordre social et relationnel, se caractérisent par leur déconnexion entre leurs clients, leurs objectifs et leurs modes de financement dont elles sont dépendantes. Coupées de tout marché actif, elles subissent des normes administratives et des orientations sur lesquelles elles n’ont que peu de prise. Cet état de fait n’est pas fatal, il est l’héritage d’un mode de management qui peut et doit s’inverser à terme.

Se doter de configurations circulaires et non linéaires, véritables plateformes de services

Le passage d’une juxtaposition d’établissements et services à un regroupement par pôles et départements – voire en des configurations matricielles croisant pôles d’activité et sites géographiques –, qui s’est déroulé à partir des années 2000, ne constitue qu’une étape vers une autre conception de l’organisation. Car il s’agit bien de dépasser le stade de la simple recomposition pour aller vers celui plus fondamental de la mutation.

La configuration linéaire juxtapose des établissements qui s’alimentent les uns les autres souvent sous la forme de filières. La configuration circulaire ou satellitaire propose un bouquet de services spécialisés, fortement interactifs et évolutifs, coordonnés entre eux afin de s’adapter à des projets de vie, des situations et des parcours afférents aux aléas de la vie. Concrètement, ce type de plateforme de services s’articule autour d’un centre fonctionnel. Cette configuration plastique permet tout particulièrement une mutualisation optimale des ressources, une adaptabilité structurelle aux besoins et aux exigences et une personnalisation des réponses.

Privilégier les structures légères aux établissements traditionnels

Ce principe est le moteur même de la désinstitutionnalisation qui pointe du doigt des structures toujours plus coûteuses du fait même de l’accroissement mécanique de leurs frais de fonctionnement, de maintenance et d’adaptation (ne serait-ce que par l’accroissement exponentiel des normes en tous genres). Externaliser ce qui peut l’être, utiliser les services de droit commun, préférer le service à la personne à l’entretien immobilier, rechercher des solutions simples à la place de dispositifs complexes.

Pratiquer le “juste ce qu’il faut”

Ce principe se révèle le contraire du “toujours plus”, pourfendu en son temps par François de Closets (3). Le principe du “toujours plus” constitue un tropisme naturel des sociétés humaines, ce qui explique d’ailleurs leurs crises et déclins cycliques car elles provoquent ainsi leur propre fin.

Fondées initialement pour atteindre des objectifs précis, pour répondre à des besoins pressants ou défendre des causes bien identifiées, les organisations finissent immanquablement par faire de leur propre survie leur but ultime. Elles obéissent alors à des stratégies d’extension territoriale et à des intérêts groupaux particuliers, et non plus à leurs buts initiaux… devenant toujours plus gourmandes en moyens et ressources. Ce qu’évoquent très bien Philippe Ducalet et Michel Laforcade (4) : “Les organisations sanitaires et sociales ont une originalité dont on ne sait s’il faut vraiment se réjouir : elles réussissent souvent à conserver leurs moyens alors qu’elles ont perdu leur sens. Telle institution continue à vivre alors que l’objet qui était le sien, sa raison d’être ont disparu. L’inertie du système est telle que les subsides continuent à lui être alloués même si la pathologie qu’elle traitait a disparu et si la population qu’elle accueillait a déserté.”

Le principe du “juste ce qu’il faut” s’applique à deux niveaux essentiels : répondre au plus près aux besoins de populations de bénéficiaires, mais juste à leurs besoins ; coûter ce qu’il faut, mais juste ce qu’il est nécessaire.

Par voie de conséquence, ce principe finit par concerner tous les niveaux de fonctionnement d’une organisation intelligente, comme l’organisation du travail, l’utilisation des ressources humaines, la gestion du temps, le système d’information, etc. Il ne s’agit cependant d’aucune façon de tirer vers le bas et de ne jurer que par le moindre coût ; l’expérience montre en effet que le moins cher finit parfois par coûter très cher… Précisons donc, si besoin en était, que le “juste ce qu’il faut” n’est pas un principe de restriction mais un principe de rationalisation. »

Contact : 97, rue Pasteur – 69300 Caluire-et-Cuire – Tél. 04 72 60 98 79 – jean-reneloubat@wanadoo.fr – www.jeanreneloubat.fr

Notes

(1) Il a notamment publié, en 2013, l’ouvrage intitulé Coordonner parcours et projets personnalisés en action sociale et médico-sociale (éditions Dunod).

(2) Ce que des experts économistes désignent par le vocable de « secular stagnation » (ou immobilisme économique durable), qui caractérise de manière chronique les sociétés occidentales qui n’ont cessé depuis les années 1980 de voir décliner leur taux de croissance et leur niveau d’emploi. Un tel phénomène rend le terme de « crise » impropre, au moins au plan économique, face à celui de « déclin » plus adéquat.

(3) Toujours plus, éd. Grasset, 1982 ; Encore plus, Fayard/Plon, 2006 ; Maintenant ou jamais, Fayard, 2013.

(4) Dans l’ouvrage Penser la qualité dans les institutions sanitaires et sociales, 2e édition – Editions Seli Arslan, 2004.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur