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L’errance, une blessure transmissible

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Beaucoup d’exilées se retrouvent à mener une grossesse seules et en errance. Grands sont alors les risques de carences précoces de la relation mère-bébé.

« Vivre le temps de la périnatalité en errance physique ou psychique expose l’enfant à des risques énormes à court et à long terme. Cette périnatalité est une clinique du chaos sensoriel, du traumatisme, de la honte… et donc un désastre pour la construction du sujet », affirme Bernard Golse, chef de service de pédopsychiatrie à l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris. L’enfant doit en effet vite enclencher ses fonctions vitales, initier ses systèmes d’attachement et d’intersubjectivité et réguler ses expériences émotionnelles (plaisir-déplaisir), des chantiers profondément menacés par la grande précarité. « Les mauvais traitements faits aux femmes enceintes sont des violences faites au fœtus », insiste-t-il. La périnatalité en errance crée des traumatismes chez le bébé qui auront des répercussions sur son avenir. Mener sa grossesse en étant sans domicile fixe, accoucher dans des conditions délirantes, ne pas savoir où aller avec son enfant provoquent de surcroît un sentiment de honte. « Celui-ci va empêcher la mère et son bébé de construire une histoire. L’enfant héritera par ailleurs de cette honte d’être soi. Il peinera aussi sans doute à s’inscrire dans la filiation », prévient Bernard Golse, pour qui « la femme et le bébé ont besoin de tiers, reliants, pour les aider à être ensemble ».

A l’Hôpital mère-enfant de l’Est parisien, ouvert en 2010 dans le XIe arrondissement de la capitale, ces femmes en grande précarité, enceintes ou avec un bébé de moins d’un an, peuvent trouver un lieu sûr où établir les premiers liens, grâce à la prise en charge d’une équipe de soignants et de travailleurs sociaux sur de longs mois. Du fait de l’absence de papiers, de la difficulté d’accès aux soins…, le suivi de la grossesse des exilées – survenue dans le pays d’origine, lors de la fuite ou dans la communauté d’accueil et qui résulte souvent d’un viol ou d’un abus de faiblesse – se révèle chaotique, voire inexistant. Alors que « les puissants et dynamiques processus de la maternité doivent se dérouler dans un climat de sécurité, avec un entourage reconnu et bienveillant », souligne Jean Ebert, chef de service, cette grossesse est vécue dans l’exclusion et la solitude. Elle peut par ailleurs réactiver la mémoire traumatique, réveiller les traces psychiques laissées par les violences, provoquant des réactions peu compréhensibles pour les équipes qui n’y sont pas formées. Dans ce contexte, la priorité est donnée, au-delà du suivi médical et psychothérapique, au « prendre soin ». « Cela suppose l’acceptation et l’accompagnement par l’équipe des comportements agressifs, afin d’autoriser l’émergence des conflits infantiles et l’expression du vécu des violences », explique le pédopsychiatre.

Un travail est également mené sur les coutumes liées à la naissance du pays d’origine et le décodage des modes culturels français « pour permettre à la femme de donner sens aux actes de soin et de suivi proposés ». En parallèle, un accompagnement juridique et social vise à préparer au mieux l’avenir de la famille. Le travail partenarial est à cette fin fortement développé : services médicaux, psychiatriques, sociaux, protection maternelle et infantile, aide sociale à l’enfance, organisations non gouvernementales… « Les processus d’humanisation initiés ne peuvent se dérouler que si la continuité des soins et l’accompagnement dans la durée sont possibles », estime Jean Ebert. Et d’appeler à l’engagement : « La lueur d’espoir pour ces femmes violentées, torturées, que peut représenter cette vie en devenir doit nous inciter, en tant que professionnels mais aussi qu’êtres humains, au-delà des questions de santé publique, à combattre le cynisme et le fatalisme des discours de certains dispositifs. »

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